Carence de profils IT? De quoi parle-t-on? Que faire?

Hors-cadre
Par · 10/05/2019

Refrain bien connu: on manque de profils IT pour satisfaire les demandes d’emploi tandis que les formations n’arrivent pas à combler le fossé.

Quelles mesures prennent par exemple le Forem ou les différents Centres de compétences (formation) dédiés ou orientés IT/numérique en Wallonie? Les mesures du gouvernement visant à faire davantage porter les efforts sur les métiers “en pénurie” commencent-elles à porter leurs fruits? Quels types de stratégie ou de mesures sont envisagés par le Forem ou les Centres de compétences, face à une pénurie qui risque encore de s’aggraver du fait de l’évolution constante à la fois des technologies, des métiers et des compétences requises?

 

Nous allons égrener ces questions et interrogations au fil d’une petite série d’articles, à paraître à partir d’aujourd’hui.

Déséquilibre offre/demande

Agoria parle d’environ 8.000 postes vacants, côté wallon, requérant des profils IT. En 2018, le Forem dit avoir diffusé 13.205 offres d’emploi correspondant à des postes IT disponibles (voir le tableau ci-dessous pour une répartition des types de profils demandés). Ce chiffre porte à la fois sur des CDI et de l’intérim.

Par ailleurs, en cette fin avril, la base de données du Forem indiquait une “réserve” de profils (ou des compétences) IT se montant à 2.613 unités, certains profils étant davantage représentés que d’autres – ne répondant donc pas forcément à l’ampleur de la demande dans chaque métier. Les pourcentages repris dans le tableau ci-dessous en attestent.

Postes proposés en 2018 en Wallonie  (Forem + flux hors Accent, Actiris et VDAB)

Réserve de main d’œuvre en Wallonie (au 30/04/2019)

Web designer 65 6 %
Gestionnaire d’exploitation informatique 778 11 %
Analyste informatique 2 065 7 %
Développeur informatique 6 883 16 %
Web développeur 152 8 %
Spécialiste de réseaux 775 3 %
Géomaticien 10 0 %
Analyste business 235 4 %
Chef de projet informatique 2 124 8 %
Technicien de maintenance en informatique 118 38 %
Total 13 205 2 613

Le pourcentage élevé de profils “techniciens de maintenance” est particulièrement remarquable. D’une part, par son ampleur (38% de la totalité de la “réserve de main d’oeuvre”). D’autre part, comme le souligne d’ailleurs le Forem, parce qu’il s’agit là d’un métier qui “tend à disparaitre, vu les évolutions des métiers et outils de l’informatique”. Cette disparition explique d’ailleurs, selon l’organisme, que ces chercheurs d’emploi ne trouvent pas chaussure à leur pied et qu’ils constituent une grosse part de la réserve.

Une “conversion” serait donc plus que nécessaire.

En matière de comparaison offre / demande, le discours tenu par la majorité politique en place en Wallonie depuis deux ans a souvent été de dire, avec insistance, qu’il y avait là plus qu’un paradoxe inacceptable.

Le fait est que la disparité est interpellante – mais elle est tellement flagrante que tout le monde l’a depuis longtemps remarquée et ce serait faire un procès d’intention que d’affirmer que rien n’a été fait pour y remédier. Les (bonnes) recettes, toutefois, n’ont pas encore été imaginées.

Attention aux conclusions simplistes

Du côté des observateurs, en ce compris au plus proche des sphères de décisions publiques, on tient par ailleurs à nuancer l’analyse noir/blanc (demande pléthorique vs inefficacité dans l’offre de profils adéquats).

Oui, il y a une disproportion, voire un fossé (en chiffres, sinon en nature) entre offre et demande mais la “réserve” qu’affiche la base de données du Forem (qui n’est qu’un reflet partiel de la réalité sur le marché) n’en est pas pour autant figée. “Il y a une assez forte rotation en termes d’entrées et de sorties journalières”, souligne par exemple Yves Magnan, directeur général ad interim du Forem (branche Formation professionnelle).

L’un des éléments qu’il serait utile de “creuser” est de déterminer le profil, les caractéristiques (communes ou non), de ceux et celles qui figurent pendant une longue période ou quasi indéfiniment dans la base. Le profil “technicien de maintenance” est, de ce point de vue-là notamment, un bout de réponse…

Une autre question immédiate porte sur l’offre de formations et leur adaptation pour mieux “activer” cette réserve de profils. A cet égard, souligne notamment Pascal Balancier, consultant à l’AdN, le Forem n’est pas le seul en cause ou le seul pourvoyeur potentiel de formations. Les entreprises elles-mêmes, celles qui cherchent des collaborateurs, ne sont pas dédouanées de ce rôle. Bien au contraire. “Mais le souci vient notamment du fait que, bien souvent, les PME n’ont pas les moyens ou ressources, ou le temps, de former leurs collaborateurs – contrairement aux grandes entreprises…”

Le déséquilibre offre / demande dépasse par ailleurs largement la situation dans la “réserve” du Forem. Des chiffres de l’IWEPS (Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique) en attestent. Selon des statistiques publiées voici un an, pas moins de 16,4% de la population wallonne dans la tranche d’âge 18-24 ans correspond à la notion de “NEET” (not in education, not in employment, not un training). Des jeunes qui ne sont pas (ou plus) aux études, qui n’ont pas d’emploi et qui ne sont pas en formation. Voir le rapport de l’IWEPS à cet égard.

Chiffre interloquent mais, une fois encore, à interpréter avec précaution et discernement. La cohorte est loin d’être monolithique. Loin de correspondre uniquement à des jeunes “en décrochage” (social, scolaire), il y a, parmi eux, une proportion non négligeable de diplômés du supérieur. Et cette proportion était en augmentation en 2018.

Par ailleurs… on ne retrouve pas ou pas forcément ces jeunes, diplômés, du côté du Forem… C’est à eux que s’adressent potentiellement (et non exclusivement) de nouveaux programmes ou initiatives du genre BeCode, E19, les programmes-“pilote” des Centres de Compétences (tel que la PlayZone de Technobel ; voir plus loin)…

Pénurie, tension, avenir

En Wallonie, le Forem ne pointe que quatre métiers IT en pénurie (voir notre encadré ci-dessous pour la définition des différents concepts – “métier en pénurie”, “en tension”, “critique”…): analyste IT, analyste business, développeur IT et chef de projet informatique.

S’y ajoutent deux métiers correspondant à des fonctions critiques: gestionnaire d’exploitation informatique et développeur Web.

Problème: la catégorisation des métiers et profils, telle que l’effectue le Forem, est fort large – développeur, par exemple, recouvre forcément une série de domaines, de langages…

Un brin de terminologie

Métier d’avenir
Dans les définitions qu’en donne le Forem, les “métiers d’avenir” correspondent à une catégorie définie davantage en termes “qualitatifs” que quantitatifs. Ce sont des métiers “qui sont – ou seront dans un avenir proche – de plus en plus recherchés par les entreprises”.
“Ce concept s’inscrit dans un horizon de trois à cinq ans et recouvre trois catégories: les nouveaux métiers, les métiers actuels dont le contenu évolue [Ndlr: ce qui, vu l’évolution induite par le numérique, provoque un gros risque d’inflation en nombre…], les métiers avec un potentiel de croissance en effectifs.
Parmi eux, les métiers qui “revêtent une importance stratégique en Wallonie et/ou pour lesquels il existe des acteurs de formation susceptibles de favoriser l’émergence ou le développement de ces compétences” font l’objet d’une “analyse plus approfondie en termes de déclinaison en compétences d’avenir”.

Métier porteur
Métier qui “semble favoriser l’insertion à l’emploi des demandeurs d’emploi”. Paramètres retenus: degré de satisfaction des offres d’emploi, difficulté des employeurs à trouver des candidats, taux de sorties (mise à l’emploi), et calcul d’indice de tension (nombre de demandeurs d’emploi inoccupés par rapport au nombre d’offres connues du Forem).

Métier ou fonction critique
C’est le stade juste avant l’état de pénurie, autrement dit, des métiers et profils “en tension”.
Ils se caractérisent par des difficultés à recruter “en temps et en heure” les bons candidats – pour diverses raisons. Notamment: diplômes requis, expérience nécessaire, langues à maîtriser, problèmes de mobilité…

Métier en pénurie
Un métier est considéré “en pénurie” par le Forem “si le nombre de demandeurs d’emploi dans la réserve de main-d’œuvre est insuffisant par rapport au nombre de postes d’emploi diffusés par Le Forem pour ce même métier.” Le ratio déclencheur? Il y a pénurie si le ratio est inférieur à 1,5 (moins de 15 personnes “disponibles” pour 10 opportunités d’emploi).

Et l’image est tronquée dans la mesure où “métier en pénurie” ne correspond pas entièrement aux besoins, parfois criants. Ainsi, de gros besoins en “data scientists” ne sont pas catégorisés comme étant de la pénurie puisque ces profils sont considérés comme des “métiers d’avenir”. “Data scientist est un nouveau métier pour lequel, proportionnellement, il n’y a pas encore énormément d’offres d’emploi. Mais il entrera sans doute bientôt dans la catégorie “métier critique”. Idem pour tout ce qui touche à l’Intelligence Artificielle, où l’on constate une croissance des besoins…”, estime Yves Magnan.

Sus à la pénurie

L’actuel gouvernement wallon a voulu mettre l’accent sur les métiers en pénurie, “incitant” les organismes publics de formation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi à “favoriser” des actions devant réduire ces pénuries. Parmi les mesures prises, rappelons l’octroi de primes pour ceux qui suivent des formations menant vers des profils en pénurie (le Forem annonce que 3.000 de ces primes sont en instance de paiement) ou encore le programme “Coup de poing”

Le Forem a mis cette exhortation en pratique en participant, par exemple, à la création de formations “sur-mesure”, basées sur une bonne dose d’alternance. Dans le domaine de l’IT et du numérique, des parcours de formations assortis d’une promesse d’engagement à la clé par les sociétés qui en bénéficient directement ont été mis en oeuvre (programme Coup de poing).

En ont bénéficié à ce jour: NRB/Afelio, Computerland, Atos, Prodware et ITDM. Profils concernés: développeurs Java chez Afelio, analystes business pour Atos, Prodware et Computerland, développeur IT chez ITDM.

Autre initiative du Forem: les “Mardis d’avenir”, qui sont l’occasion d’organiser des sessions d’information et de “séduction” à destination des demandeurs d’emploi. Ces Mardis s’organisent potentiellement sur un vaste éventail de thèmes – l’IT et le numérique sont parmi eux.

Le but: “Leur présenter un métier d’avenir, avec témoignage concret d’une société active dans le créneau visé”, explique Yves Magnan. “Nous voulons ainsi attirer l’attention des demandeurs d’emploi vers des métiers qui pourraient ou devraient les intéresser et lutter ainsi contre la désaffection dont souffre notamment le marché de l’emploi IT.”

La méthode: une convocation est envoyée à des demandeurs d’emploi dont le Forem estime qu’ils pourraient convenir, moyennant remise à niveau éventuelle, pour des postes thématiques à pourvoir. 

Le terme “convocation” est explicite: le demandeur d’emploi qui reçoit l’invitation à participer à la séance d’informations doit se présenter. Quitte à constater, le jour venu, que son profil ou ses inclinaisons personnelles ne correspondent pas. “On le réoriente alors vers un métier autre que l’IT. En matière d’IT et du numérique, la difficulté [pour la sélection des personnes à “convoquer”] vient du fait qu’il n’est pas aisé, sur base du profil enregistré dans notre base de données, de déterminer, si les compétences indiquées ne portent pas directement sur l’IT, qui a envie ou la possibilité de s’engager dans cette voie. Tout le monde peut potentiellement devenir informaticien ou développeur mais il faut déterminer lors de l’entretien ou via des tests si l’on a en face de soi un passionné, un geek ou un profil potentiel…”

Si c’est là une difficulté, en termes de pré-sélection et d’identification de profils potentiellement “activables”, cela laisse aussi une large marge de manoeuvre…

Des profils théoriques à améliorer

L’un des problèmes rencontrés, de longue date, est que les profils stockés dans la base de données “Réserve de main d’oeuvre” du Forem sont parfois sujets à caution. Historiquement, ils ont été – et continuent d’être – constitués sur base déclarative. Autrement dit, lors d’un entretien ou en se manifestant en ligne, les demandeurs d’emploi déclarent détenir telle ou telle compétence.

Yves Magnan (Forem): “Face aux métiers en pénurie, des solutions via écrans publicitaires génériques n’opèrent pas. Il faut passer à un message plus personnalisé et individualisé.”

Un travail d’affinement et de vérification de ces assertions est toutefois à l’oeuvre du côté du Forem. “Nous envisageons d’introduire une certaine dose d’intelligence artificielle afin de rendre la base de données plus pertinente et de pouvoir analyser les profils et leur envoyer systématiquement des invitations, offres de formation…”

L’outil analytique opérant en arrière-plan de la solution Mon Profil [mise en ligne sur le site du Forem] permettra par exemple de détecter automatiquement des compétences qui feraient défaut à un candidat pour pouvoir postuler utilement. Des formations à ces compétences manquantes lui seront alors proposées…

En remplissant leur petite fiche, les chercheurs d’emploi sont toujours invités à indiquer quels sont leurs compétences et degré de maîtrise de chacune d’elles. Cela reste donc du déclaratif, même s’il est plus descriptif et affiné que par le passé. “Le questionnaire, qui prend une quinzaine de minutes à remplir, oblige par exemple chacun et chacune à se poser les bonnes questions. Oui, cela reste du déclaratif mais davantage structuré”.

 

A suivre: De nouvelles formations à inventer – Des ressources qui demeurent insaisissables – Des “compétences” numériques certes, mais lesquelles ? – Que font les Centres de Compétences ?