MoveUp. Qu’ont retiré les “corp” de ce programme d’accélération de start-ups?

Hors-cadre
Par · 16/05/2018

Apparier des entreprises ou des acteurs locaux de référence à des projets de start-ups dans le cadre d’un programme d’accélération, avec pour mission pour les “corp” partenaires de fournir conseils, guidance, appui au développement et test/validation de la solution “dans un domaine où elles cherchent des solutions, un produit ou un service que peuvent proposer ces start-ups numériques”, n’a rien de simple.

Lorsque la sauce prend, le résultat peut être intéressant, pour les deux parties, mais les embûches sont nombreuses. C’est ce qu’a pu constater l’accélérateur Digital Attraxion lors de la première édition de son programme MoveUp.

L’une des entreprises qui s’était mise sur les rangs – Lutosa – a fait faux bond en raison de… son rachat par le groupe canadien McCain qui ne voyait pas l’utilité de servir de sparing partner à une start-up.

Deux sociétés qui s’étaient dites intéressées par le concept n’ont pas trouvé chaussure à leur pied parmi les projets participants.

Un autre projet, bien que jugé intéressant, a mis plus de temps que prévu pour en arriver au stade de prototype, ne permettant pas à la corp., peu intéressée par la phase de développement du matériel, de s’impliquer dans la définition ou l’affinement des utilisations et applications potentielles.

Comme on peut le voir, tous les cas de figure peuvent se produire et constituer des duos gagnants corp/start-up s’avère être un apprentissage en soi.

Non que MoveUp veuille changer de formule pour sa deuxième édition: il y eut en effet des résultats concrets et positifs qui incitent à poursuivre dans cette voie. Exemple? Le projet AirWafi qui a trouvé en l’Aéroport de Charleroi un allié sur lequel s’appuyer (relire notre article). Ou encore la Ville de Tournai qui a permis au projet Smogey d’affiner son scénario et qui s’apprête à intégrer la solution dans son propre site Internet. Plus de détails plus loin dans cet article.

Alstom rempile

Autre preuve que l’idée d’appariement entre acteur de référence et start-up séduit et est jugée utile, deux des “corp” ayant participé à la première édition de MoveUp – Alstom et l’Aéroport de Charleroi – rempilent pour la deuxième session. Et de nouveaux noms se disent intéressés par le thème choisi (l’industrie 4.0). Parmi eux, quelques beaux noms tels que Thales Alenia Space, la Sonaca ou encore Engie Cofely.

Alstom est donc l’un des “récidivistes”. Alors même que la première expérience n’a pas été totalement concluante – pour des raisons qui tiennent davantage au timing qu’à la nature du projet accompagné. Projet choisi lors de la première édition: Drone Technixx, une solution de relevés topographiques géolocalisés de haute précision via drone, avec offre de services afférents pour l’industrie et le secteur de la construction.

Parmi les applications potentielles du drone topographique de Drone Technixx: l’inspection de portiques ferroviaires. Source: Drone Technixx.

En quoi ce projet intéressait-il potentiellement Alstom? “Jusqu’à présent, dans le cadre de notre R&D, nous nous appuyons sur des outils mis en oeuvre par la Région [wallonne], par exemple les programmes collaboratifs instaurés par les Pôles de Compétitivité [Mecatech et Logistics in Wallonia]”, explique Pierre Bruynseels, directeur opérationnel de la branche Traction.

“La collaboration s’y déroule avec des partenaires établis, dans tous nos secteurs d’activités: électronique de puissance, développement de nouveaux concepts de signalisation, voire même d’alimentation – par exemple pour l’optimisation de sous-stations intelligentes.

Participer au programme MoveUp était pour nous une première, en termes de collaboration avec ce genre d’incubateur. Nous y avons vu un levier d’accélération pour l’innovation digitale, dans la mesure où ils pouvaient nous apporter des compétences, des moyens, des modes de travail qui ne sont pas forcément les nôtres.

Drone Technixx nous est apparu comme un partenaire potentiel pour nous aider dans la reconnaissance topologique de réseau, un domaine que nous n’avions pas encore envisagé par nous-mêmes étant donné qu’il est en marge de nos solutions traditionnelles. Notre approche avait toujours été une observation au départ d’équipements embarqués sur les trains.”

Mais il y avait, dans les motivations d’Alstom autre chose que les éventuels débouchés en matière de topologie de précision. “Collaborer avec une start-up fait aussi partie du mécanisme d’innovation. Cela permet de découvrir de nouvelles manières de travailler.

La démarche consiste à apprendre au fur et à mesure que le projet avance au lieu de partir d’une hypothèse de départ et d’attendre le résultat. On part d’une problématique et non plus d’un scénario fixé au préalable, selon un principe de collaboration continue. S’ouvrir à un partenaire extérieur pour traiter une problématique… c’est là que commence l’innovation.”

Pour sa deuxième participation au programme MoveUp, Alstom désire mettre à profit les enseignements “méthode” tirés de la première édition pour optimiser ce que la société peut éventuellement en tirer. “Nous voulons améliorer le retour. Il s’agira notamment d’exprimer une problématique plus précise, déjà orientée vers nos activités existantes, que ce soit au sein de nos ateliers ou au service des opérateurs qui sont nos clients.”

Notons au passage qu’outre sa participation au programme MoveUp, Alstom a également décidé de “se frotter” au monde des start-ups en basant une équipe de 10 personnes au Co.Station de Charleroi. Voir notre autre article pour plus détails.

Tournai – incuber et ensuite intégrer 

Participer, comme acteur-acolyte, au programme MoveUp s’inscrivait, pour la Ville de Tournai, dans le droit fil des actions et projets relevant de sa stratégie “smart city”. “C’était l’occasion de découvrir des applications qui pourraient être utiles pour la ville, ou au développement desquelles nous pourrions contribuer”, indique Nicolas Desablin, conseiller auprès du cabinet du bourgmestre.

Sous ce prisme, deux projets avaient été identifiés. D’une part, cPark, appli de partage d’informations sur les possibilités de parking en rue. De l’autre, Smogey, un projet de portail d’informations et de conseils centralisant les initiatives locales éco-responsables ayant un impact positif sur l’environnement (réduction des déchets, circuits courts, mobilité douce).

La collaboration avec cPark n’a guère duré, pour des raisons de modèle économique et de finalité de l’appli. “Nous étions surtout intéressés par la dimension informations aux citoyens et automobilistes de l’appli. Du genre, informations sur les zones de parking payantes, les durées de stationnement autorisées…”, explique Nicolas Desablin. “Par contre, l’autre volet – avertissement des automobilistes en cas de risques de contravention – était difficile à justifier vis-à-vis de notre partenaire services qu’est CityParking. Et cela rentrait également en contradiction avec notre philosophie de rotation des véhicules devant favoriser le commerce local. Or, ce volet était justement celui sur lequel la start-up misait surtout…”

Les contacts avec Smogey, par contre, ont été maintenus tout au long des cinq mois du programme d’accélération. Lors du démarrage de MoveUp, Smogey en était encore au stade de la simple idée. A l’issue du programme d’accélération, le projet était devenu start-up. Prénommée Green SmartMove, son ambition est de proposer une solution qui puisse s’intégrer directement dans les sites Internet des villes et communes utilisatrices.

“Les rencontres furent du genre informel, entre le porteur du projet, le directeur IT de la Ville ou moi-même”, explique Nicolas Desablin. “Le but était essentiellement de rester au courant de l’évolution de la solution et de donner quelques conseils et avis.

Nous avons par exemple poussé Smogey a se concentrer sur les éléments de la solution qui la différencient réellement de ce qui existe déjà sur le marché. Le volet mobilité douce ou durable concernait un concept déjà largement exploité, contrairement aux volets davantage axés sur les circuits courts. Nous avons par ailleurs aidé l’équipe à tenir davantage compte des contraintes des marchés publics.”

Le rythme des réunions – une tous les deux ou trois mois – peut paraître bien léger. “Mais il serait difficile d’en tenir davantage, compte tenu d’agendas chargés. Pour tout ce qui touche au business plan et aux aspects plus économiques, les start-ups peuvent de toute façon recevoir l’aide de l’intercommunale de développement économique [Ideta pour la Wallonie picarde]”, se défend Nicolas Desablin.

Au final, la Ville se dit satisfaite de l’expérience et devrait bientôt intégrer la solution Smogey à son propre site Internet.

Choc des cultures

L’un des enseignements retirés de l’expérience par les responsables tournaisiens est que le modèle appli payée à l’usage, qui est l’un des favoris des acteurs de l’économie numérique, est en nette contradiction avec les habitudes et les pratiques des acteurs publics. En quoi une collaboration dans le cadre d’un programme tel que MoveUp peut-il rapprocher ces deux approches?

“Les start-ups éprouvent des difficultés à rentrer dans un schéma de marché public”, estime Nicolas Desablin. “Il y a, entre le démarchage souvent très dynamique, voire agressif, des start-ups et la réalité que sont les mécanismes de marché public une réelle confrontation de mentalités.”

Une expérience du genre MoveUp est un premier pas vers un rapprochement, du moins Nicolas Desablin l’espère-t-il. “Le cadre des marchés publics a déjà été légèrement assoupli. Pour des projets en-dessous de 30.000 euros hors TVA, des procédures simplifiées ont été imaginées mais les administrations publiques ont toujours l’obligation de passer par une mise en concurrence. Ce qui peut être source de difficultés dans le cas d’un produit ou service très spécifique. On ne connaît pas toujours les autres solutions…

Et pour des projets et des budgets plus importants, nous sommes obligés de demander des garanties importantes pour lesquelles les start-ups n’ont pas toujours les épaules assez larges. On se tourne donc souvent vers des sociétés classiques mais à qui il manque la flexibilité, le dynamisme et l’adaptabilité des jeunes pousses.”

Nicolas Desablin (Ville de Tournai): “En tant que smart city, notre rôle est aussi d’aider de jeunes sociétés qui se lancent.”

Autre contradiction dans les modèles: des applis qui sont souvent proposées en mode abonnement. “Nous ne pouvons pas prendre un abonnement pour plus de quatre ans. Au bout de quatre ans, il faut en passer par une remise en concurrence. Cela pose parfois des difficultés, lorsque cela implique un changement de solution après quatre ans.

Peut-être serait-il bon que le législateur, si possible au niveau européen, pense à ce genre de scénario, prenne des mesures pour favoriser la collaboration entre services publics et start-ups…”