Le numérique, moyen et non finalité pour la participation citoyenne

Pratique
Par · 07/09/2018

Voici deux ans, trois entités communales – Andenne, Fernelmont et Wasseige – décidaient de se liguer en une même association pour lancer un GAL (Groupe d’Action Locale) (1) dans le cadre d’un projet Leader co-financé par l’Europe (2). Nom de baptême: Meuse@Campagnes.

Leur projet commun comportait non seulement les habituels accents de développement rural, de promotion de l’agriculture, des liens sociaux et autres volets du même genre mais avait surtout l’originalité, en tout cas au niveau de Wallonie, d’inclure une dimension “smart” basée sur une stratégie numérique appliquée à un territoire rural.

Objectif: “valoriser la citoyenneté par le numérique”. Ambitieux. Les responsables du projet veulent en fait amener édiles et citoyens à s’approprier le numérique, sans en faire une finalité mais plutôt un moyen.

La conviction de Jean-Pierre Trésegnie, responsable du volet Citoyenneté numérique au sein du GAL, est que la participation citoyenne est la clé des changements que promet et qu’induit le numérique. Encore faut-il dégripper le mécanisme, la serrure.

Amener édiles et citoyens à s’approprier le numérique, sans en faire une finalité mais plutôt un moyen.

Le projet en tout cas se donne pour ambition de démontrer, par la pratique et des réalisations, que “le numérique peut être un appui aux dynamiques citoyennes, faciliter les relations entre les élus et la population et devenir un outil de cohésion sociale.”

Des édiles convaincus mais encore à mobiliser

A l’origine, l’idée d’inclure une dimension “smart territory” est venue du bourgmestre de Fernelmont, convaincu de l’intérêt du numérique. Il allait évidemment trouvé une oreille plus qu’intéressée du côté d’Andenne, plutôt active dans les projets orientés numérique (base de données open data, initiatives orientées culture, commerces…).

Pour la mise en oeuvre, l’identification d’outils et plates-formes pouvant mettre cette dimension sur orbite, les responsables du GAL se sont en outre tournés vers le BEP (Bureau économique de la Province de Namur).

Même si l’amorce est venue des édiles, c’est actuellement l’équipe du GAL elle-même qui est à la manoeuvre pour imaginer et déployer les premiers projets et initiatives. Fer de lance: Jean-Pierre Trésegnie, dont le profil convient tout particulièrement bien à l’intention – comme en atteste son petit portrait en encadré ci-dessous).

Jean-Pierre Trésegnie (GAL Meuse@Campagnes): “À travers le développement de plates-formes en ligne et l’animation autour du numérique, via des échanges et de la co-construction de projets, l’ambition est d’associer plus étroitement les citoyens à la gouvernance du territoire, de renforcer le lien social, de stimuler la participation citoyenne, de faire naître des projets collaboratifs et participatifs.”

La priorité que se donne l’équipe du GAL est de convaincre, de motiver et d’embrigader les citoyens, les associations voire les acteurs économiques locaux, de “faire prendre la sauce”. Au stade actuel, les projets, idées et initiatives sont donc pensés et proposés par le conseil d’administration de GAL, en lien direct avec les différentes pistes du programme stratégique élaboré au départ. 

Portrait de Jean-Pierre Trésegnie

Géographie de formation, Jean-Pierre Trésegnie a effectué un premier virage professionnel vers le monde du numérique voici une quinzaine d’années lorsqu’il a commencé à travailler pour la Chambre de Commerce de Liège. Chargé de mettre en oeuvre le site Internet de la CCI, il s’est retrouvé avec la double casquette de community manager et de formateur, faisant notamment découvrir aux entreprises les possibilités des réseaux sociaux.
Il s’est ensuite lancé comme formateur indépendant, initiant, en sessions individuelles, les seniors aux secrets du numérique.
En 2017, il rejoignait l’équipe du GAL Meuse@Campagnes. Il se décrit comme “passionné par tout ce qui touche au Web et toujours prêt à transmettre mes connaissances. Je ne suis pas un technicien ou un informaticien mais je comprend les outils jusqu’à un certain point et, ayant “connu l’autre côté”, j’aime expliquer les choses…”

Leurs thèmes sont “génériques mais portent sur des sujets vivants, propres à rencontrer l’intérêt actif des citoyens et des associations”, souligne Cécile Mestrez, chargée de la coordination. “Il s’agit d’émuler la base, par exemple dans le domaine du tourisme durable”.

L’implication réelle, concrète, des élus, pour proposer par exemple des thèmes d’action, des projets, ne sera recherchée que dans un deuxième temps. Entre-temps, les élections communales de cette année seront passées par là. Le projet du GAL (qui court jusqu’en 2021) pourra alors s’appuyer sur des collèges renouvelés et sur la durée de leur mandat pour insérer ses actions dans la stratégie communale. Il s’agira aussi, dans cette deuxième étape, de pousser les autorités locales à accepter le principe des open data, de leur faire “libérer” les données publiques en leur possession.

Participation citoyenne

Comme signalé plus haut, pour encourager l’adhésion des citoyens et des associations, susciter leur contribution – en idées et échanges -, les premiers projets s’articulent autour de thèmes génériques “qui ne provoquent pas le débat”.

L’un des outils d’échanges et de participation mis en oeuvre est une plate-forme collaborative. En accord et avec l’aide du BEP, le GAL a en fait dupliqué, à l’échelle locale des trois entités concernées, la plate-forme G1idée du BEP, un espace de consultation et de forums sur des sujets thématiques.

Rebaptisée eureka.g1idee.be, la plate-forme du GAL a été mise en ligne en mai 2018. Sur base des projets proposés par le GAL, le citoyen a ainsi l’occasion de donner son avis, de proposer des idées, de répondre à des sondages… “La plate-forme n’a pas été construite dans un esprit de forum et de débat, au sens strict du terme, mais plutôt comme un outil permettant de venir enrichir les idées.”

La tentation du débat, des commentaires moins “co-constructifs” n’est évidemment jamais très loin. Comment l’éviter? “Tout est dans l’art de poser la question, de la cadrer”, estime Jean-Pierre Trésegnie. “Le but est de co-construire, de faire naître de nouvelles idées au gré des échanges.”

Pour faire participer, contribuer, l’un des défis est de convaincre de l’utilité, de démontrer que l’utilisation des outils n’a rien de bien sorcier, mais aussi, et sans doute surtout, de bien choisir les outils. Non seulement pour qu’ils soient conviviaux, simples, mais aussi qu’ils aient cette petite touche de neutralité et d’esprit citoyen. Les outils open source, vu sous cet angle, portent en eux des arguments de conviction.

L’enjeu des données

Qu’elles viennent des autorités communales ou qu’elles soient glanées, “contribuées” par le citoyen et les associations, les données constituent l’enjeu, la condition sine qua non de la réussite de tout projet ou initiative qui serait lancée. “Sans forcément savoir au départ, quand on les sollicite ou collecte, ce qu’on en fera réellement”, souligne Jean-Pierre Trésegnie. “La première étape consiste à constituer un patrimoine numérique, à travailler sur le bottom-up. Il s’agit d’intéresser et de faire participer les citoyens, de collecter des informations – patrimoniales, historiques, environnementales… Des informations sur lesquelles on pourra capitaliser, non pas pour les “monétiser” mais pour les exploiter en vue d’avoir une meilleure connaissance de la gestion du territoire.”

Dans chaque village, il existe par exemple au moins une “bibliothèque vivante”, déjà connue ou qui s’ignore. L’un ou l’autre citoyen qui est une réelle encyclopédie, qui a engrangé une multitude de documents et informations, ou qui a accumulé une connaissance dans un domaine particulier… Cette richesse d’informations doit être récoltée, transposée dans des réceptacles numériques afin de pouvoir l’exploiter – et l’immortaliser – au bénéfice de la communauté. Travail de fourmi ou de bénédictin, mais qui apportera sa petite pierre à l’open data et à la co-construction citoyenne.

Cécile Mestrez (GAL Meuse@Campagnes): “Nous avons décidé de démarrer avec la collecte des données et l’implication citoyenne, avant de travailler ensuite à la participation des élus.”

Faire participer à la création de solutions, à l’enrichissement des données est un autre levier pour embrigader les citoyens. Encore faut-il que la forme que prendra l’exercice soit, elle-même, attractive. On pourrait certes se contenter de demander au citoyen de fournir un fichier de données, dans un format quelconque, et de l’intégrer à la base de données générale, pour alimenter les applications ou les sites. Mais cela ne “parle” guère et n’est pas réellement source d’implication active.

Une fois encore le terrain doit venir au secours de l’implication. Le GAL Meuse@Campagnes en est encore à ses premiers pas en la matière mais ses responsables ont par exemple imaginé des “cartoparties” en s’appuyant sur les outils OpenStreetMap.

Pour les besoins des projets à connotation touristique du GAL, de simples citoyens, intéressés à l’idée d’enrichir les données patrimoniales du territoire, prennent leur GPS, leur smartphone ou tablette, et leur bâton de pèlerin pour procéder à des relevés, souvent selon un thème défini au préalable. Relevés, coordonnées, détails textuels, photos voire vidéos sont récoltés et viendront compléter les cartes open source existantes.

La première “cartopartie” du GAL, début août, avait pour but de documenter un nouveau circuit touristique potentiel sur lequel seraient pointés à la fois les commerces classiques existants, les points d’intérêt et les producteurs locaux. “Cela permettrait à l’avenir de renseigner un touriste ou un randonneur sur la présence d’un producteur local ou sur la possibilité de déguster un produit local dans tel ou tel lieu de restauration… Du genre: “ici, vous pouvez boire un jus de pomme venu directement de la ferme voisine.”

Cette philosophie de l’open source et des open data peut aider les communes et territoires à se constituer un patrimoine numérique.”

D’autres activités participatives devraient à l’avenir être imaginées par les collaborateurs du GAL, dans toute une série de domaines: transition énergétique, circuits courts, biodiversité, promotion de l’agriculture dans les écoles…

Des outils-levier

“La plate-forme eureka.G1idee n’est qu’un outil parmi d’autres, un élément de plus destiné à renforcer les actions et animations. Le numérique n’est qu’un outil qui doit venir en appui du travail effectué sur le terrain”, insiste Jean-Pierre Trésegnie.

Tout nouveau projet passe donc par une étape préalable obligatoire: faire émerger une idée via des rencontres “dans la vie réelle”, notamment par le biais de rencontres entre politiques et représentants des citoyens organisées dans le cadre de la CLDR (Commission locale de développement rural), organe participatif constitué pour les besoins des ODR locaux (Opérations de Développement Rural, qui se définissent comme “un ensemble coordonné d’actions de développement, d’aménagement et de réaménagement entreprises ou conduites en milieu rural par une commune”).

“La plate-forme ne remplacera jamais cette étape [lisez: les rencontres physiques]. Elle n’en sera que le prolongement. C’est en cela que le numérique peut apporter quelque chose, venir enrichir et renforcer la cohésion sociale. Pas la remplacer.”

Jean-Pierre Trésegnie (GAL Meuse@Campagnes): “La plate-forme eureka.g1idee ne remplacera jamais l’étape d’idéation sur le terrain. Elle n’en sera que le prolongement. C’est en cela que le numérique peut apporter quelque chose, venir enrichir et renforcer la cohésion sociale. Pas la remplacer.”

D’autres projets et outils sont en préparation. Ainsi, à Fernelmont, un projet d’agenda partagé des initiatives locales, réalisé en open source, qui servira à la fois aux citoyens, aux associations et aux autorités locales et qui devrait s’étoffer au fil du temps pour devenir un socle d’échanges, d’offre de services mutualisés.

Le GAL envisage aussi de tirer parti de l’outil de crowdfunding CiLo (Crowdfunding des Initiatives LOcales) lancé en mai dernier par le BEP. Histoire d’aider à financer certaines actions ou projets.

Pérenniser… au-delà du GAL

Aussi intéressants soient-ils, les projets et outils mis en oeuvre par et au niveau du GAL risquent de buter contre une date de péremption. Un projet GAL, qui dépend en partie de financements européens (et régionaux), n’a évidemment aucune garantie de pérennité au-delà de la date-butoir (2021 dans le cas du GAL Meuse@Campagnes).

Comment, dans ces conditions, faire en sorte que les plates-formes, outils, applications, sources de données, processus de participation et de co-construction citoyennes demeurent exploitables et viables au-delà de cette date limite probable?

Dès à présent, un projet a été lancé afin de mettre toutes les données (historiques, publiques, générées par les citoyens…) à disposition via des bases de données open data locales. Le modèle et le levier, en la matière, seront la base créée par la ville d’Andenne: AndenneDB. Relire l’article que nous lui avions consacré.A découvrir également, dans ce dossier, le projet de bibliothèque participative Andana. 

Andenne mettra son expertise en matière d’open data, de génération et extraction de données, à disposition des deux autres communes afin de dupliquer la solution et de faire naître une FernelmontDB et une WasseigeDB.

Andenne, notamment via Marc-Laurent Magnier, responsable ICT pour la commune, mettra son expertise en matière d’open data, de génération et extraction de données, à disposition des deux autres communes afin de dupliquer la solution et de faire naître une FernelmontDB et une WasseigeDB. A terme, on y trouvera, pour chaque entité communale, les informations déjà existantes (coordonnées de commerce etc.) enrichies de nouvelles données (environnementales, relevés en tous genres, infos sur les producteurs locaux…). De quoi servir de terreau à la création de nouveaux outils – tourisme, gestion du territoire, culture, vie associative… “La chose est possible dans la mesure où les silos de données auront été cassés”, souligne Jean-Pierre Trésegnie.

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(1) GAL: Groupe d’Action Locale. Un GAL se définit comme un “ensemble de partenaires socio-économiques privés et publics installés dans des territoires ruraux et chargés de la mise en place d’une stratégie de développement organisée en accord avec le programme européen Leader.”  [ Retour au texte ]

(2) Programme européen Leader – acronyme de “Liaison Entre Acteurs de Développement Economique en milieu Rural”. Ce type de projet, mis en oeuvre par les GAL, est une “approche de développement local visant à associer les acteurs locaux, dans les zones rurales, à la conception et à la mise en oeuvre de stratégies, à la prise de décision et à l’affectation de ressources pour le développement de leurs zones rurales.” Les projets sont co-financés par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et les Etats ou Régions. En Wallonie, une partie du financement est assuré dans le cadre du Programme wallon de Développement Rural (PwDR).

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