Alstom: des start-ups et centres de recherche pour hybrider l’innovation

Pratique
Par · 03/07/2019

Du côté de Charleroi, des passerelles sont en train de naître entre des industriels connus, voire historiques, de la région et un univers plus jeune et turbulent – celui des start-ups. Un bel exemple en est sans doute Alstom dont on retrouve le nom cité dans plusieurs contextes: société-sparring partner de jeunes pousses tentant une “accélération” via le programme MoveUp de Digital Attraxion ; équipe de développeurs et ingénieurs “délocalisée” à Co.Station ; futur locataire et animateur de l’A6K, le hub Advanced Manufacturing (R&D, prototypage, co-création, co-innovation) qui emménagera d’ici quelques mois sur le site de l’ancien tri postal ; …

Le tout sur fond de sauce-de-renouveau que l’équipe Catch s’efforce aujourd’hui de faire prendre. L’une des recettes consiste à mettre plus immédiatement en contact “corp” et start-ups, de manière régulière voire quotidienne, dès le stade de la naissance d’une idée ou d’une esquisse de modèle business. “Tout un écosystème à (re)construire. Parmi les enjeux, compenser le déficit d’attractivité de Charleroi, ouvrir la porte des industriels aux jeunes pousses, comprendre les problématiques des corp et évoluer vers la smart specialization”, résume Mathieu Demaré, qui cumule les casquettes de “Village director” chez Co.station Charleroi et de responsable “écosystème créatif et numérique” du côté de Sambrinvest.

Découvrir de nouveaux horizons

Depuis un peu plus d’un an, une équipe Alstom a pris ses quartiers à Co.station, occupant un étage du deuxième bâtiment qu’a investi cet espace d’hébergement et d’accompagnement pour start-ups techno à deux pas de son premier site, mais toujours sur les quais de Sambre en face de la gare de Charleroi Sud.

Dans les tout premiers temps, Alstom avait envoyé à Co.Station trois équipes de huit personnes travaillant notamment à la conception de solutions de signalisation ERTMS pour engins ferroviaires autonomes, auxquelles s’était joint un chercheur du Cetic. Mission: travailler sur des projets d’échange de données et de coordination automatique entre locomotives et équipements venant de divers constructeurs.

Après avoir évalué l’intérêt de l’environnement Co.Station, Alstom a décidé, en septembre 2018, d’y installer une équipe de 35 personnes, dont une majorité de développeurs IT.

Le but est non seulement de leur procurer un espace dédié et une proximité avec des start-ups (dont le projet ou la technologie pourrait s’avérer intéressant) mais aussi pour pouvoir jouir d’un accès géo-thématique immédiat avec ce que propose Co.station comme animations, événements…

Par exemple, des conférences, exposés ou ateliers sur des technologies de pointe (IoT, blockchain…) ou encore la possibilité de nouer des relations avec de nouveaux profils d’apprenants (BeCode est installé à un jet de pierre).

“Alstom, comme de nombreuses entreprises, à un gros besoin de profils high-tech en tous genres: développeurs IT, ingénieurs électroniciens, spécialistes de tests industriels, compétences en sécurité…”, souligne Mathieu Demaré. “Pouvoir repérer des profils et les accueillir dans de bonnes conditions, dans un espace dédié, accessible, est un des avantages qu’un espace de coworking peut leur procurer…”

Parrain d’accélération

Mathieu Demaré: “La participation d’Alstom à la première édition de MoveUp [le programme d’accélération de start-ups numériques de Digital Attraxion] fut un peu un galop d’essai. Ils ont par exemple appris comment procéder pour découvrir un “bon projet” sur lequel ils pourraient collaborer avec une start-up et comment s’organiser eux-mêmes. Entre une société telle Alstom et une start-up, la forme que prend la démarche d’innovation ou la R&D est évidemment très différente…

Pierre Meunier (Alstom): “Travailler avec des start-ups nous apporte beaucoup en termes d’ouverture d’esprit. Participer au programme MoveUP nous permet de tester des technologies, d’aller jusqu’au stade du prototype et du use case concret, de nous faire un avis tangible sur une technologie.”

Nous sommes encore dans une phase d’apprentissage mais nous avons déjà pu apprendre ce qu’Alstom cherchait. On a ainsi pu dégager quelques constats vertueux, surtout dans le domaine des mentalités et sur la manière de commencer à concilier deux cultures.

Au niveau de Co.station, cela nous permet aussi de repenser nos espaces de travail, d’intégrer de nouveaux éléments correspondant aux nouveaux modes de travail et de collaboration.”

Marier innovation interne et externe

La “culture” de l’innovation commence bien entendu en interne. Pour favoriser une émulation innovatrice, le groupe organise par exemple un concours annuel qui permet à chaque site (105 au total, répartis dans 60 pays) de présenter un ou plusieurs projets. “Nous enregistrons de l’ordre de 500 candidatures par an”, indique Sonia Thibaut, responsable communications pour le Benelux. Seize sont retenus qui peuvent ainsi poursuivre leur petit bonhomme de chemin…

Nommé directeur Innovation du site carolo d’Alstom voici environ un an (après avoir été notamment directeur R&D and Innovation pour le groupe Transport Information Solutions à Paris et directeur du centre de développement carolo depuis 2015), Pierre Meunier s’emploie à développer des relations et collaborations plus systématisées et structurées, “moins opportunistes”, avec les universités, les centres de recherche et les start-ups.

Cette recherche de collaboration en innovation concerne essentiellement plusieurs axes privilégiés par Alstom: l’industrie 4.0, la numérisation, l’intégration de nouvelles technologies dans les processus de production et de développement. Avec ses deux centres d’excellence (R&D) – électronique de puissance et signalisation grandes lignes -, le site de Charleroi a potentiellement de multiples fers d’innovation à mettre au feu.

Quelques exemples de projets Alstom

Le numérique imprègne un nombre croissant de processus, équipements et solutions Alstom. Que ce soit du côté électronique de puissance (conversion d’énergie) ou signalisation pour infrastructures ferroviaires.

Exemples: la numérisation intégrale de la commande de contrôle d’un convertisseur d’énergie, avec pilotage des composants, collecte de données (pour régulation, diagnostic, optimisation).

Dans le domaine de la signalisation ferroviaire, la tendance est au déploiement d’objets connectés, à “intelligence embarquée”, avec collecte de données, remplacement des câblages traditionnels par des connexions fibre, distribution des mises à jour logicielles, enrichissement fonctionnel (détection d’incident, de présence d’engins ferroviaires, redondance, sécurisation…).

Autre domaine “chaud”: les engins autonomes (bus, trains…). Alstom, comme beaucoup d’autres, s’y intéresse de près: développement de capteurs, échanges de données entre équipements venant de différents fabricants, algorithmes de conduite ou d’optimisation énergétique (des développements qui se font notamment à Charleroi), etc.

La réalité augmentée est également un “outil” qu’Alstom utilise d’ores et déjà dans divers scénarios. Notamment pour guider les techniciens et ingénieurs chargés d’installer des équipements à bord de trains. “La disposition physique des voitures varie d’un fabricant à l’autre et, bien souvent, la documentation technique est déficitaire”, explique Pierre Meunier. “En recourant au scan 3D et à la réalité augmentée, l’intervention des installateurs est grandement facilitée.”

Autre usage de la réalité augmentée: la projection des équipements Alstom sur les habitacles de train existants afin de visualiser précisément l’encombrement et la disposition idéale et déterminer le choix des pièces mécaniques.

Comme on le verra plus loin dans l’article, la réalité virtuelle ou augmentée était aussi le fil rouge des deux projets sur lesquels Alstom est venu se greffer pour les accompagner et valider, lors de la dernière édition en date du programme d’accélération MoveUp de Digital Attraxion.

Recourir à des ressources ou sources d’inspiration et de co-création externes peut avoir plusieurs avantages. A commencer par le fait de soulager la charge qui pèse sur les équipes internes. Ensuite, cela permet aussi et peut-être surtout d’ouvrir la voie à de nouvelles perceptions et idées. “Les chercheurs universitaires et les start-ups travaillent autrement, développent parfois plus vite, sur des choses plus pointues”, indique Pierre Meunier.

“Travailler avec des start-ups [par exemple, dans le cadre du programme MoveUp de Digital Attraxion] est le mode de collaboration sur lequel nous avons le moins d’expérience mais cela nous apporte beaucoup en termes d’ouverture d’esprit. Cela nous permet de découvrir des technologies naissantes que d’autres font mieux que nous.

Participer au programme MoveUP nous permet de tester des technologies, d’aller jusqu’au stade du prototype et du use case concret, pour nous faire un avis tangible sur une technologie. Peut-être ne garderons-nous que 2% de ce qu’on aura testé mais on aura beaucoup appris sur les potentiels que cela représente.”

Lors de la deuxième édition de MoveUp (qui s’est terminée début mai), Alstom s’est intéressé plus spécifiquement aux projets portés par Altheria Solutions (formations en réalité virtuelle) et Big Bad Wolf (conception de produits en AR/VR).

Le projet mené avec cette dernière (la phase de validation du use case n’est d’ailleurs pas terminée) avait pour but d’explorer l’utilité de la réalité virtuelle comme solution permettant d’améliorer le processus de création de nouveaux pupitres de conduite. “Lorsqu’un nouveau pupitre est conçu pour les cabines de locomotive, les conducteurs sont impliqués afin de donner leur avis sur les aspects ergonomiques, la disposition des manettes et boutons, etc.”, explique Pierre Meunier. “Généralement, on procède par maquettes et prototypes. La réalité augmentée permet d’améliorer le processus de conception en permettant de simuler les instruments et leur disposition sur le pupitre.” Gain de temps, de coûts et d’interaction avec les bêta-testeurs…

Mathieu Demaré (Co.station): “En mettant dans une même pièce quelques corp et une vingtaine de start-ups qui y déroulent leur pitch, on fait ressortir des choses que ni les unes, ni les autres, ne cherchaient au départ.”

 

L’autre projet-pilote, mené avec Altheria Solutions, concernait le recours à la réalité virtuelle ou augmentée pour la formation des opérateurs chargés de l’assemblage des équipements de puissance. “Le contact thermique entre les composants doit être parfait. Ces composants sont en outre fragiles et coûteux.” Résultat, toute mauvaise manipulation non seulement sur la chaîne de montage mais aussi dès le stade de la formation des opérateurs alourdit la facture. D’où l’intérêt de faire appel à la réalité augmentée ou virtuelle pour gagner en efficacité. Sans casse.

Systématiser et structurer l’exo-inno

Le programme MoveUp de Digital Attraxion n’est pas le seul canal via lequel Alstom s’ouvre aux start-ups… Des contacts ont ainsi été établis avec plusieurs jeunes pousses ayant des compétences en méthodologie et outils de développement de logiciels – en l’occurrence Respect-IT et Enspirit – ou encore avec Guardis, dans le domaine de la cybersécurité.

Avec cette dernière, un use case dédié à la sécurité, physique et cyber, des drones a été concocté en collaboration avec ALX Systems et AW Europe. Dans le cadre du programme wallon CPSET. 

CPSET (Cyber Physical System in Energy conversion & Transport), porté par les pôles de compétitivité Logistics in Wallonia, Mecatech et Skywin, vise la mise en oeuvre d’une plate-forme et de solutions de contrôle et de commande d’“entités physiques” (terrestres, aériennes…). Les projets sur lesquels les acteurs concernés (Alstom, ThalesAlenia Space, Cenaero, Cetic, AW Europe, Sonaca) se concentrent impliquent des développements en matière d’ingénierie de modélisation, de cyber-sécurité, de gestion et d’optimisation énergétique, d’intelligence embarquée… Technologies et thématiques: gestion d’objets connectés, gestion d’actifs, production et gestion d’énergie, méthodologies et outils de développement (avec préservation et récupération du “patrimoine” programmatique historique et migration des anciennes technologies de développement logiciel – par exemple au travers du projet Morse), modélisation, systèmes complexes, véhicules autonomes…

Dans le cadre de ce programme CPSET, Alstom croise donc également le chemin de start-ups associées à l’un ou l’autre projet spécifique.

Alstom sera par ailleurs l’un des “locataires” de l’A6K (Atelier 6000), ce centre dédié à l’Advanced Manufacturing qui sera inauguré dans quelques mois à Charleroi. “Nous y aurons une équipe de 40 personnes dès le mois de septembre”, déclare Pierre Meunier. Une équipe dont la composition variera en fonction des projets qui y seront conduits en collaboration avec d’autres acteurs.

“Le but est de créer des contacts, d’y travailler notamment sur divers projets thématiques. Notamment le projet M@SSCoT (numérisation du centre de commande et des processus de commandes de contrôle), auquel sont notamment associés le Cetic et ThalesAlenia Space. “L’A6K est l’opportunité de créer un écosystème, avec des interactions régulières avec les autres acteurs, les chercheurs, les start-ups mais aussi le centre de formation E6K et BeCode.”

BeCode… Encore un acteur carolo avec lequel Alstom a noué des liens. La société est intéressée à y dénicher de potentiels nouveaux employés. Elle s’y implique donc en participant à la sélection des futurs apprenants, en proposant des sujets de stage et en accueillant l’un ou l’autre stagiaire. Pierre Meunier évoque par ailleurs la possibilité de s’impliquer dans les formations à l’Intelligence artificielle que BeCode organise désormais (à Bruxelles). “Nous pourrions proposer un use case pour l’exploitation du big data à des fins de maintenance prédictive, via le développement de moteurs analytiques.”

Win-Win

Si l’un des objectifs est de mettre en contact et de permettre tant aux grandes (ou moyennes) entreprises et aux jeunes pousses de trouver des terrains d’intérêt commun, les actions que développe Co.station à destination des “corp” ont aussi une visée égoïste: “il est important pour nous de pouvoir avancer l’argument de la présence d’une société telle qu’Alstom pour attirer des start-ups”, déclare Mathieu Demaré. “Mais il faut aussi pouvoir ajouter d’autres arguments tangibles. Par exemple, une identification, en amont, de poches thématiques d’innovation ou la mise en oeuvre de nouvelles méthodologies de co-création ou d’émergence d’écosystèmes.

Le catalogue d’activités de Co.station, dans ses différentes implantations (Bruxelles, Gand), est un atout. Tout comme la présence, plus ponctuelle, d’un acteur de l’idéation et de l’incubation tel qu’Engine…”

Mathieu Demaré (Co.station): “Alstom a bien l’intention de conserver une présence à Co.station pour contribuer à son innovation et continuer à co-construire, notamment dans le domaine de la mobilité intelligente.”

 

Un autre levier sur lequel Co.station compte s’appuyer, en contribuant à le développer, est celui de la formation. BeCode, le futur E6K, les relations tissées avec Technofutur TIC et l’Ifapme en sont les premiers ingrédients.

Si Alstom apprend à mêler innovation interne et externe, Co.station attend aussi de la société qu’elle contribue à faire maturer son propre cheminement en termes de nouveaux types et modes d’innovation et de mise en oeuvre de méthodologies nouvelles. Plus particulièrement dans le domaine de la “mobilité intelligente” (ferroviaire mais aussi fluviale), de l’industrie 4.0, de la maintenance industrielle… Autant de thèmes qui figurent en bonne place dans les axes de renouveau sur lesquels mise la cellule Catch…