Céline Vanderborght (Smart City Manager): “s’assurer de disposer des ressources nécessaires pour réaliser la mission”

Interview
Par · 02/08/2017

Céline Vanderborght est un cas un rien particulier puisque son rôle de “smart city manager” s’exerce au niveau de la Région Bruxelles-Capitale, au-delà donc de la ville de Bruxelles (qui dispose, elle-même, d’une smart city manager) pour englober les 18 autres communes et la problématique globale d’une “smart region”.

Nommée à ce poste voici déjà près de deux ans, elle fait déjà office de référence pour d’autres responsables municipaux. Voyons comment elle perçoit son rôle et ses responsabilités.

Régional-IT: Quelles sont selon vous les compétences, les qualités que doit avoir – ou acquérir – un(e) “smart city manager” ?

Céline Vanderborght: Je vois trois rôles principaux dans la fonction de Smart City Manager: de la communication, de la coordination et du partage de connaissance.

Les thématiques Smart City sont complexes et variées et les enjeux parfois effrayants. Il faut donc être capable de faire preuve de pédagogie, de vulgarisation, prendre le temps d’expliquer des aspects parfois plus techniques ou rébarbatifs et rassurer sur les systèmes que l’on met en place (échange de données et surveillance, protection de la vie privée, inclusion digitale…).

La coordination revêt un aspect particulièrement important dans les projets Smart City car, à l’inverse de projets IT classiques, les domaines et les intervenants sont démultipliés. On fonctionne généralement sur une base de 6 domaines, qui vont de la mobilité à l’énergie, en passant par la culture et le “smart living” (aménagement “intelligent” des maisons, habits connectés et nouveaux modes de vie).

De même, les acteurs forment ce qu’on appelle une “quadruple hélice”: les pouvoirs publics, les sociétés privées, le monde académique et les citoyens. La mise en relation de toutes ces parties prenantes est un travail titanesque. Cela demande un grand niveau de sociabilisation, d’écoute, de flexibilité. Cela nécessite d’avoir un bon carnet d’adresses de personnes de référence au niveau des administrations, des entreprises TIC, des groupes d’intérêt, des universités et des associations citoyennes. Cela demande du temps et de la disponibilité pour tisser des liens solides avec tout cet écosystème (également le soir, le week-end, et souvent de manière informelle).

Enfin, des connaissances typiques sont nécessaires. Je pense en particulier à des notions de base d’un point de vue technique (plate-forme, API, réseau, senseurs, Internet des Objets, open data, interface utilisateurs, potentialités du big data…) et juridique (protection des données, utilisation des images vidéo, cyber-sécurité, cahiers de charges innovants…).

Il faut aussi des connaissances plus spécifiques sur les projets Smart City: les projets qui réussissent ailleurs, les plates-formes Smart City, les indicateurs de performances Smart City, les méthodologies de co-création et de living labs, par exemple.

Dans quelle structure, à quel niveau de décision, un(e) smart city manager doit-il (doit-elle), s’insérer ?

Chaque ville propose un système de gouvernance particulier, qui dépend bien sûr de sa taille, de son état d’avancement et de son insertion dans une structure plus large (régionale et nationale). A Bruxelles, nous aimons parler de Smart Région plutôt que de Smart City !

Nous avons pour la première fois une Secrétaire d’Etat en charge de l’Informatique et de la Transition digitale, Bianca Debaets, qui s’est vraiment saisie des enjeux de la smart city. Plusieurs événements importants autour de la smart city ont déjà eu lieu et un site portail a été lancé.

Je travaille pour ma part au sein du CIRB (Centre Informatique pour la Région Bruxelloise) sur lequel Madame Debaets a la tutelle, tout en couvrant de manière transversale l’ensemble de la Région et de ses compétences. La prochaine étape sera la mise en place au CIRB d’un Smart City Office qui assurera ce rôle de gouvernance.

Enfin, en Région bruxelloise, le Gouvernement a lancé l’initiative digital.brussels qui rassemble toutes les actions relatives au digital (NextTech, PRI – Plan Régional pour l’Innovation – et Smart City).

En tant que Smart City manager, je dois donc gérer l’articulation entre le pouvoir politique et les administrations, superviser le système de gouvernance Smart City régional une fois qu’il sera mis en place et piloter l’initiative digital.brussels en partenariat avec deux autres organismes régionaux. Le Smart City manager participe activement au comité régional de contributeurs qui alimente le site portail et coordonne son contenu.

Céline Vanderborght: “En tant que Smart City manager, je dois donc gérer l’articulation entre le pouvoir politique et les administrations, superviser le système de gouvernance Smart City régional et piloter l’initiative digital.brussels en partenariat avec deux autres organismes régionaux.”

Quels sont les premières choses auxquelles doit veiller et mettre en place un Smart City manager ?

Comme pour tous les projets d’envergure qui ont trait à la gestion de la ville, c’est-à-dire des projets de grande complexité sur du long terme, la Smart City nécessite des objectifs, des ressources, un planning, des personnes et du financement.

La première chose à faire sera d’établir une stratégie, ensuite de la déployer dans un plan d’actions et enfin de s’assurer de disposer des ressources nécessaires pour réaliser la mission pour laquelle on l’engage.

Céline Vanderborght: “La première chose à faire sera d’établir une stratégie, ensuite de la déployer dans un plan d’actions et enfin de s’assurer de disposer des ressources nécessaires pour réaliser la mission pour laquelle on l’engage.”

La deuxième étape, une fois le plan établi, sera de convaincre les politiques du bien-fondé des projets Smart City, en particulier la valeur ajoutée pour le citoyen (améliorations concrètes de sa vie quotidienne), la valeur ajoutée pour les pouvoirs publics (la notion de “business case”, c’est-à-dire quel gain en termes de travail et/ou de ressources que va générer le projet) et la valeur ajoutée en termes de retombées politiques (impact sur l’image et la communication de la Région, la ville ou la commune).

Une fois ce plan validé, le Smart City manager devra organiser deux composantes très particulières des projets Smart City qui sont la co-création et l’innovation. Ce plan Smart City validé par le Gouvernement doit être affiné et prioritisé avec la participation active des autres parties prenantes de la Smart City – les citoyens, les entreprises et les chercheurs. Enfin, les projets prioritaires, généralement novateurs, doivent être réalisés en partenariat avec le monde académique et les entreprises. A chaque moment du projet, un équilibrage devra se faire entre ce qui est réalisé par les pouvoirs publics ou par les entreprises et comment cette répartition des rôles sera encadrée, en particulier sur le sujet sensible de la propriété et de la valorisation des données.

De quelles expériences concrétisées éventuellement ailleurs un Smart City manager peut-il s’inspirer ?

Des milliers de projets existent à travers le monde et en particulier en Europe. Je recommande le rapport “Mapping smart cities”, publié par le Parlement Européen en 2015. Le Smart City Institute de Liège (HEC) a également publié une étude approfondie sur 11 projets Smart City en Belgique.

Bruxelles fait partie du réseau de villes Eurocities, dont un groupe de travail s’intitule Knowledge Society qui traite de la thématique Smart City, assure une veille sur les financements européens y afférents et organise des visites de projets dans les villes du réseau.

Pour les indicateurs de performances Smart City, nous utilisons les Digital Economic and Society Index et nous suivons les recommandations du projet européen CityKeys.

Notre projet de plate-forme urbaine d’échange de données, également appelé Smart City Platform, reposera sur les spécifications mises au point dans le groupe de travail européen “Urban Platform”.

Dans quelles ressources un Smart City manager peut-il puiser pour assumer son rôle – forums de discussion, “clubs” ou associations, documents de référence, outils, personnes-ressources… ?

Les informations sur la smart city bruxelloise sont  disponibles sur le site SmartCity.brussels.

Du contenu plus approfondi se trouve dans les cours en ligne (Coursera, INRIA, Open University) et dans le livre Pieter Ballon “Smart Cities – Hoe technologie onze steden leefbaar houdt en slimmer maakt”.

Il est également utile de consulter les sites européens que je citais, ainsi que celui du Smart City Institute.

A noter encore que la VUB a lancé une chaire smart city.

Dernière question: comment peut-on juger de l’efficacité de l’action d’un Smart City manager ?

Comme tout le monde… La hiérarchie du Smart City manager fixe des objectifs annuels qui doivent être atteints.

Dans le deuxième volet de ce coup de projecteur sur le rôle d’un Smart City manager, nous donnons la parole à d’autres responsables smart city – de villes, cette fois. A savoir, ceux de Namur et Bruxelles mais aussi à Nathalie Crutzen, directrice du Smart City Institute. Lire ici…