MediSpring: l’éditeur (médical) qui joue la carte coopérative

Portrait
Par · 27/03/2019

Voici un an, une initiative assez inhabituelle voyait le jour sur le marché. Inhabituelle en ce sens que ce sont des utilisateurs d’une solution de gestion qui, face à la disparition abrupte du logiciel qu’ils utilisaient, ont décidé purement et simplement de ne pas passer sous les fourches caudines du prestataire qui avait signifié son arrêt de mort mais qui, au contraire, ont décidé d’initier eux-mêmes une solution de rechange.

MediSpring est en effet née à l’initiative de médecins généralistes à qui l’on venait de signifier que le logiciel Epicure qu’ils utilisaient jusque là (on parle ici de quelque 1.500 médecins wallons) ne serait plus supporté, ni même commercialisé, à partir de la fin 2018, par Corilus, cette dernière ayant procédé à l’acquisition de MedicalSoft, auteur dudit Epicure.

Un an après, la solution MediSpring est opérationnelle, utilisée par plus d’un millier de médecins, qui ont ainsi pu migrer à partir de leur solution antérieure.

Gestion de pratique médicale

Ce ne sont évidemment pas les médecins eux-mêmes qui se sont mis à développer la solution. Partant de zéro, la structure (une coopérative – voir ci-dessous) ne disposait pas au départ d’une équipe de développement interne. Les fonds injectés par les quelque 400 premiers coopérateurs ont donc été utilisés pour rémunérer les premiers prestataires embrigadés (B12 Consulting et NSI) et pour payer les licences des outils tiers utilisés comme “raccourcis” afin de lancer rapidement une solution.

Parmi eux, la plate-forme de gestion back end, de type, développée en Java, de Taktik (que cette société utilise elle-même pour sa solution iCure). La nouvelle structure s’est par ailleurs reposée sur les compétences techniques d’Antoine Pairet, à qui l’on doit la solution DentiSphere (une solution de gestion des accréditations, des agendas et d’échanges de données médicales pour dentistes). Ce même Antoine Pairet qui, d’emblée, devint le directeur technologique de MediSpring.

Aujourd’hui, MediSpring s’apprête à engager: “6 ou 7 personnes dans un premier temps, chiffre sans doute doublé en 2020. Cela nous permettra de réduire progressivement l’appel à des collaborations externes – même si elles resteront nécessaires pour des besoins ciblés”, indique Sébastien Deletaille, nommé Pdg de la société en fin 2018 (il fut le fondateur de Real Impact Analytics, quittant l’année dernière la société, devenue entre-temps Riaktr, en raison notamment d’un désaccord avec les nouveaux actionnaires).

Les profils actuellement recherchés sont ceux de développeurs. “Les besoins concernent des travaux qui s’étendront sur plusieurs années. Au-delà de 2019, les innovations visées se situeront dans le domaine de l’intelligence artificielle, du NLP (traitement automatique du langage naturel), de la reconnaissance vocale, de l’aide à la décision…”

Dans l’immédiat, les renforts seront alloués à des développements front end, à des tâches d’assurance qualité, d’amélioration de l’expérience utilisateur…

La solution aujourd’hui et demain

Actuellement, le public auquel s’adresse la solution de gestion de pratique médiale MediSpring se compose de médecins et d’assistants, “qu’ils pratiquent à titre individuel ou en groupe, qu’ils soient des généralistes ou des spécialistes.”

Fonctionnalités proposées? Gestion de dossier médical, ligne de temps (historique des consultations et examens), encodage de nouvelles consultations, calendrier, réception de messages venant de la plate-forme eHealth, connexions avec les mutuelles…

MediSpring se veut aussi une solution de gestion pour les postes médicaux de garde et les réseaux multidisciplinaires, proposant des fonctions de gestion partagée entre multiples prestataires et intégration du trajet de soins.

A court et moyen terme, la société se donne d’autres objectifs. La priorité va à l’offre d’un outil de migration. “La multitude de formats et normes de données médicales complique sérieusement tout abandon de logiciel de gestion médicale en faveur d’une autre solution. Nous voulons en priorité travailler sur cette problématique pour faciliter les migrations des médecins, que ce soit vers MediSpring ou un autre logiciel.”

Autre chantier dans lequel se lance MediSpring: le federated learning ou apprentissage (automatique) fédéré. On touche ici à l’analyse de données via recours à des algorithmes d’intelligence artificielle qui opèrent sur les données médicales sans empiéter sur les mécanismes de protection de la vie privée. Le principe? Les analyses par algorithmes s’effectuent sur les bases de données des “gardiens” de ces données (hôpitaux, médecins), sans que les données doivent être exportées vers des serveurs tiers. Seuls les modèles prédictifs (par exemple) générés par les algorithmes travaillant en mode distribué sont exportés et centralisés. 

Ce principe s’aligne sur celui adopté en Belgique pour les réseaux santé et qui ne prévoit pas la centralisation des données santé.

Les nouvelles règles, les méta-modèles, les “apprentissages” résultants sont ensuite réexpédiés vers les “différentes pratiques de chaque utilisateur pour les enrichir et participer au progrès médical.”

Aux yeux de Sébastien Deletaille, cette pratique de l’apprentissage distribué permettra aux hubs régionaux (Réseau Santé Wallon, Abrumet…) de devenir des centres d’innovation. A cet égard, un parallèle peut être immédiatement tiré avec le projet INAH (Institute of Analytics for Health) initié par la cellule CATch, en collaboration notamment avec le Cetic. “Des contacts ont bien évidemment été pris”, déclare Sébastien Deletaille, “mais aucune collaboration n’a encore été formalisée.”

Enfin, l’ambition de MediSpring est de dépasser son socle de départ, en termes de clientèle (les anciens utilisateurs d’Epicure).

Consolidation du marché

On l’a vu, MediSpring est avant tout une réponse à une situation essentiellement vécue côté wallon. Mais au-delà de l’offre d’une solution pour les anciens utilisateurs d’Epicure (quelque 1.500 médecins wallons concernés), la coopérative vise plus large. “Dans un premier temps, nous voulons croître dans nos deux territoires d’origine que sont la Wallonie et Bruxelles, en attirant des utilisateurs venus d’autres solutions. Mais nous visons également le marché néerlandophone parce que MediSpring a une réelle identité belge. Et nous avons également des ambitions au-delà des frontières…” Dans un deuxième temps en tout cas.

“Notre premier but sera d’atteindre rapidement une masse critique, de devenir n°1 ou n°2 sur le marché local et de nous attaquer ensuite à des marchés verticaux, avec une solution pour dentistes, pharmaciens, spécialistes…”

Sébastien Deletaille (MediSpring): “On compte actuellement une vingtaine de solutions sur le marché belge. A terme, il ne devrait en subsister que trois ou quatre.”

“Le marché belge des logiciels de gestion de pratique médicale est extrêmement fragmenté”, indique Sébastien Deletaille. “Beaucoup toutefois n’ont guère évolué depuis de très longues années et présentent par exemple encore des interfaces d’un type qu’on rencontrait dans les années ’90.” MediSpring, elle, revendique la jeunesse et la modernité de son framework et une adéquation aux exigences de labellisation réglementaire les plus récentes.

Face à la fragmentation du marché, MediSpring estime avoir de réelles chances d’émerger. “On compte actuellement une vingtaine de solutions sur le marché. A terme, il ne devrait en subsister que trois ou quatre.”

Sébastien Deletaille estime d’ailleurs qu’il n’y a plus aujourd’hui, sur le marché local, que “quatre ou cinq solutions qui comptent réellement”, à savoir celles de Corilus, de Cegedim (Health Data Management Partners) (groupe français auquel appartient HDMP- Health Data Management Partners – auteur de la solution HealthOne), de CompuGroup Medical (acteur allemand qui propose les solutions Daktari et Windoc), d’Xperthis (avec la version OmniPro pour cabinets privés) et… MediSpring.

Les avantages (et défis) de la jeunesse

En raison de sa nouveauté technologique, MediSpring estime avoir un argument de poids pour se faire sa petite place au soleil sur le marché des solutions e-santé – en dépit… de cette même jeunesse, d’une notoriété encore à façonner et du fait que “les médecins n’aiment pas changer de logiciel”, comme le souligne Sébastien Deletaille.

Sébastien Deletaille (MediSpring): “Les exigences pour être labellisés ne font que croître. Les contraintes régulatoires auront pour effet d’éliminer les petits acteurs.”

MediSpring compte donc faire valoir la modernité de son framework (Java, Angular…), son adéquation aux contraintes de labellisation et convaincre les utilisateurs de solutions telles que Daktari ou Windoc de migrer vers sa solution à l’aide de l’outil de migration qu’elle prépare et qui devrait être disponible d’ici quelques mois.

Les concurrents, bien entendu, verront eux aussi dans l’ancienneté et les difficultés d’évolution des solutions qui ne représentent que quelques pour-cents du marché une occasion de capter de nouveaux clients. MediSpring peut-elle réellement faire le poids face à des concurrents plus puissants?

Sébastien Deletaille estime que le bouche-à-oreille entre professionnels et que la dynamique induite par le modèle “coopératif-contributif” choisi joueront en faveur de sa solution. “En investissant dans la solution, l’utilisateur sait qu’il mise sur le développement de fonctionnalités voulues par des médecins et que tout ce qui n’est pas investi en R&D revient en finale aux coopérateurs-utilisateurs.”

Un modèle coopératif

Nous le disions en début d’article, l’initiative est inhabituelle. En ce compris par la forme juridique et opérationnelle qu’a décidé de prendre l’éditeur. MediSpring a en effet été constituée sous forme de coopérative constituée essentiellement de médecins.

Les premiers deniers récoltés vinrent donc de ceux-là même qui ne voulaient pas plier l’échine devant ce qui fut perçu comme un diktat de Corilus.

Il y avait du monde lors de la constitution de la coopérative MediSpring…

Originalité supplémentaire – qui est et sera d’ailleurs déterminante pour le succès de la solution: pour devenir utilisateur de MediSpring, les praticiens (médecins généralistes, spécialistes, paramédicaux) doivent devenir coopérateurs. Quatre “profils” sont prévus: coopérateurs garants, coopérateurs investisseurs, coopérateurs utilisateurs, et investisseurs institutionnels (parmi ces derniers, la SRIW via la Sowecsom).

“La majorité de nos coopérateurs sont des coopérateurs-investisseurs”, précise Sébastien Deletaille. Ils piochent dans leurs propres deniers (ticket d’entrée: 1.000 euros) pour soutenir la société. “Ils interviennent purement dans une optique d’investissement, n’ayant pas besoin eux-mêmes du logiciel.”

Sébastien Deletaille (MediSpring): “Avec plus de 1.000 utilisateurs, nous desservons déjà environ 10% des médecins généralistes.”

La mise des coopérateurs-utilisateurs, elle, est structurée en deux volets: 300 euros pour l’achat initial de la solution, et une licence annuelle de 1.000 euros.

La “philosophie” coopérative ne s’arrête évidemment pas à la seule dimension financière. Les coopérateurs ont droit au chapitre au sujet des décisions prises et de l’orientation donnée au logiciel. “Lors de la phase de lancement, plus de 200 médecins ont proposé des suggestions d’amélioration. C’est d’ailleurs là à nos yeux ce qui fera le succès futur de la solution.”

Par ailleurs, les “utilisateurs participatifs” s’impliquent également dans la gestion. Que ce soit en prêtant main forte au helpdesk, en envoyant des mails ou en jouant les ambassadeurs/preneurs de contact avec des décideurs – au niveau médical, hospitalier voire public. 

Enfin, l’assemblée générale (où chaque coopérateur aura une et une seule voix, quelle que soit l’importance de sa mise de fonds) sera ouverte à tous “et proposera des ateliers où ils pourront s’exprimer et influer.”