Confinement. Moment propice, voire nécessaire, pour se former au numérique

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Par · 25/03/2020

Avec le “lockdown” actuel qui force les entreprises (qui le peuvent) à fermer leurs portes et à passer en mode télé-travail plus ou moins généralisé, les questions qui se posent sont multiples. Comment mettre en oeuvre les processus pour permettre aux employés de continuer à opérer efficacement à distance? Les infrastructures et outils existent-ils et conviennent-ils? Les employés disposent-ils des outils mais aussi des compétences nécessaires pour continuer à travailler? Et n’est-ce pas le moment idéal pour consacrer ne fut-ce que quelques heures par jour ou par semaine pour se former et acquérir de nouvelles compétences largement teintées de numérique et de “nouveau mode de travail”?

Pour pallier à la situation et venir en aide ou en appui aux entreprises, une vaste réflexion et un processus d’adaptation accéléré sont notamment en cours du côté d’Agoria et des Centres de compétence.

Nous avons fait le point avec Laura Beltrame, responsable de la cellule Capital Humain chez Agoria Wallonie et par ailleurs présidente du conseil d’administration du centre de compétence Technofutur TIC (Gosselies). Nous avons aussi recueilli le témoignage de Richard Roucour, directeur adjoint et responsable technique et pédagogique chez Technocité, Centre de compétence montois qui, en urgence comme d’autres, a dû s’adapter à la situation. Son témoignage fera l’objet d’un tout prochain article.

Be the Change. Now!

Rapide rappel… Fin 2018, le constat des besoins – importants voire cruciaux – en compétences nouvelles, notamment numériques, de la population active et des entreprises belges (à l’horizon 2030) avait été posé par l’étude Be the Change effectuée par Agoria en collaboration avec Roland Berger et les trois services régionaux de l’emploi (Forem, Actiris, VDAB). En jeu, la pertinence, la compétitivité et la pérennité de l’économie.

Un ensemble de 24 compétences, dont 15 numériques (collaboration dématérialisée, maîtrise d’outils, programmation…) et 9 appartenant à la catégorie “soft skills” (travail en équipe, gestion de projets…), avaient été identifiés, rappelle Laura Beltrame. L’étude avait également fait l’inventaire des profils appelés à évoluer ou à se transformer, voire à naître, des profils répartis à travers 16 secteurs d’activités différents.

Laura Beltrame (Agoria Wallonie): “Profiter de cette période de télé-travail forcé pour utiliser tous ces outils qu’on n’a pas l’occasion, d’habitude, d’utiliser ou d’apprendre à maîtriser.”

Le constat, l’analyse des carences et des besoins, ayant été fait, restait le plus difficile: adapter et renforcer l’offre de formations. Certes, on savait qu’il ne fallait pas traîner mais qui aurait pu prévoir l’urgence dans laquelle on se trouve de permettre aux personnes actives de continuer à opérer efficacement en recourant à des connaissances, outils et procédures imposées par le travail à distance?

Pour ce qui est du diagnostic de l’existant et de l’adaptation de l’offre de formations, “on en était encore au début du cheminement”, indique Laura Beltrame. “La situation actuelle a donné un brusque coup d’accélération.”

Ces derniers jours, les choses se sont dès lors précipitées.
Demande a été faite aux différents Centres de compétence (on parle ici spécifiquement de la Wallonie) d’examiner et de mettre en oeuvre une adaptation de leurs modules de formation afin de les rendre pertinents et efficaces dans les circonstances actuelles.

Cette semaine encore, Agoria devrait lancer un appel aux entreprises (selon des modalités encore à préciser: communication via son site? contacts directs?) afin de recueillir leurs avis et demandes sur la nature exacte de leurs besoins en formations (numériques) de leurs employés: maîtrise d’outils de télétravail, de collaboration à distance, compétences numériques plus pointues telles que programmation, développement, support, etc…
Ces besoins seront alors synthétisés et relayés vers les Centres de compétence “qui, eux-mêmes, recevront sans doute, en direct, des demandes émanant de leurs clients [entreprises] habituels.”

Auto-évaluer ses compétences

Autre projet pour lequel la crise sanitaire actuelle donnera sans doute un coup d’accélération: l’outil d’auto-évaluation de compétences numériques, destiné à tout citoyen ou personne active.

Voici ce que nous déclarait, l’automne dernier, Dominique Demonté, directeur d’Agoria Wallonie, à propos des attentes des entreprises et de cet outil: “Jusqu’ici, la mesure qui rencontre le plus de succès est celle d’un scanning des compétences actuelles des employés et du delta à combler. Pour cette évaluation, les entreprises pourront, sans doute d’ici quelques mois, faire appel à un outil que le Forem et l’AdN notamment sont en train d’élaborer.” Relire notre article “Agir de front pour lutter contre la pénurie de compétences numériques”

Le développement se poursuit. Phase atteinte: un test dans une série d’entreprises: Safran, Fabricom, Alstom, Prayon, la SWDE (société wallonne des eaux)… “Nous devions recueillir leur feedback cette semaine à l’occasion d’une rencontre qui, désormais, se déroulera sans doute via Skype.” Le but étant d’intégrer d’éventuelles demandes d’adaptations (structure du contenu, logique de navigation, interface…) avant de pouvoir lancer l’outil…

Sur base des réponses que le citoyen/professionnel lambda donnera via cet outil, il sera orienté pi il recevra une recommandation de suivre telle ou telle formation lui permettant de combler ses lacunes ou besoins.

Adapter les formations

Les contacts pris ces derniers jours par Agoria ont pour but de pousser et de faire en sorte que les Centres de compétence (à commencer par les Technofutur TIC, Technifutur, Technobel, Technocité…) adaptent leurs formations existantes, destinées tant aux demandeurs d’emploi qu’aux personnels d’entreprises et personnes actives, à une “consommation” à distance. Les Centres, eux-mêmes, bien entendu, n’ont pas attendu la démarche d’Agoria pour s’atteler à la “dématérialisation” de leurs formations en présentiel… Mais Agoria est venu avec certaines recommandations. A savoir? “Les formations devront être rendues plus modulables, plus courtes, afin que les destinataires puissent par exemple s’adonner à une formation pendant une demi-heure ou une heure par jour.” A distance, bien entendu.

Recommandation a par ailleurs été faite de rendre les contenus de télé-formation exploitables sur différents types d’équipements. Non seulement des ordinateurs de bureau mais aussi des tablettes ou des smartphones. C’est là une évolution qui avait d’ailleurs été préconisée depuis un certain temps, notamment suite à une réflexion conjointe avec des acteurs tels que le Forem et l’AdN.

Autres paramètres plus que recommandés pour l’adaptation: rendre la formation la plus aisée d’accès et la plus conviviale possible.

A noter que tous les modules ne se prêteront pas forcément à ce “reformatage”… Pour ceux qui pourront être adaptés, l’opération pourrait être rapide, estime Laura Beltrame, “de l’ordre sans doute de quelques jours”.

Eviter redondance et inefficiences

Dans l’ensemble, le volume d’activités que des Centres de compétence tels que Technofutur TIC (Gosselies), Technifutur (Liège) et Technocité (Mons) effectuent à destination des travailleurs est sensiblement moindre que le catalogue d’activités visant les demandeurs d’emploi. “Même si on note, depuis quelques années, un effet d’accélération pour des services de formation aux entreprises. Notamment dans une perspective d’upskilling, mais la proportion demeure minime”, note Laura Beltrame.

La situation actuelle va-t-elle modifier les choses? Encore trop tôt pour le dire. Chez Technocité, ce pan d’activités est à l’arrêt, les quelques entreprises qui demandaient se genre de prestation ayant stoppé les contrats en raison de la crise du coronavirus. Et le centre estime que l’offre d’opérateurs commerciaux, en matière de formations (professionnelles, numériques) à distance, est suffisamment importante pour ne pas nécessiter un effort spécifique en la matière.

Chez Agoria Wallonie, le point de vue est moins tranché. Une évaluation de la situation doit en fait encore intervenir. “Il existe en effet déjà beaucoup de sites et de plates-formes de formation à distance vers lesquels les entreprises et leurs employés peuvent se tourner. Des sociétés telles qu’IBM ont, elles aussi, développé des plates-formes de partage de connaissances, ouvertes à tous. [Ndlr: nous vous parlions par exemple tout récemment de la plate-forme SkillsBuild désormais disponible en Belgique]

Ce serait utile de recenser tous les outils existants pour mettre ce catalogue à disposition des entreprises mais ce n’est pas, dans l’état actuel des choses, une priorité”, déclare Laura Bertram. “Cela le deviendra peut-être si la période de confinement se prolonge. Dans l’immédiat, il s’agit avant tout de bien définir les activités-clé de chaque centre de compétences et d’éviter qu’ils se fassent concurrence entre eux.” Autrement dit, dresser un catalogue précis de qui fait quoi ou qui peut faire quoi. “C’est sans doute aussi l’occasion de s’intéresser plus activement aux new ways of learning et de pousser les collaborateurs à passer davantage au numérique.

Pour ce qui est de l’offre commerciale de formations à distance, il convient aussi de vérifier si elle convient réellement aux besoins tels qu’on les connaît aujourd’hui, tant en termes de contenus que de calendrier [format et durée des formations].”

Statut et financement à confirmer

Cela viendra dans un second temps mais il s’agira aussi, pour les Centres de compétence, d’obtenir du gouvernement l’assurance que leurs moyens financiers d’action n’auront pas été mis en péril par la situation. “Qu’ils opèrent en gestion propre, pour le compte du Forem, ou qu’ils soient constitués en asbl, avec un Forem qui reste leur premier financeur pour les formations proposées aux demandeurs d’emploi, la suspension des formations en présentiel se traduit par un volume d’heures qui, certes, n’ont pas été prestées mais qui doivent pouvoir être couvertes par un financement”, indique Laura Beltrame. “Les centres de compétences ont en effet des frais fixes auxquels ils ne peuvent déroger”. Un appel sera donc lancé au gouvernement pour compenser les heures non prestées en présentiel, “en veillant à ce qu’il y ait une position cohérente pour tous les Centres de compétence, pour éviter que certains soient désavantagés.”