Hervé Feuillien (CIRB): “se prémunir contre les aléas du privé”

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Par · 27/03/2014

Début février, à l’occasion de sa conférence annuelle (relire notre article), le CIRB (Centre Informatique pour la Région bruxelloise), présentait les cinq grands chantiers informatiques qui devraient marquer plus spécifiquement la prochaine législature. Objectifs: moderniser les infrastructures et permettre à la Région de Bruxelles-Capitale et à la capitale belge – et européenne – de justifier des ambitions de métropole moderne et efficiente. Histoire de soutenir la comparaison en termes d’attractivité économique face à d’autres grandes villes qui se sont déjà engagées dans la voie d’un branding reposant sur des critères tangibles. C’est tout l’enjeu du projet-cadre Smart.Brussels, bien au-delà d’un effet de manches…


Pour rappel, les cinq axes stratégiques identifiés par le CIRB, en son rôle de “veilleur technologique” de la Région, sont les suivants:

  • réseau haut débit IRISnet
  • datacenter régional (voir plus de détails dans notre article précédent) 
  • plate-forme régionale, centralisée, de vidéoprotection
  • extension du déploiement de la fibre optique à l’usage des écoles (secondaires) de la Région (voir encadré)
  • accession du CIRB au rôle d’intégrateur (et orchestreur) de services et de flux de données entre les différents niveaux de pouvoir.

Ces axes s’appuient sur des projets dont certains sont déjà largement entamés. A commencer par l’édification et la maîtrise du réseau régional IRISnet (propriété à hauteur de 75% de la Région, le solde étant aux mains du partenaire du projet, Mobistar).


Plusieurs dossiers (notamment ceux du data center régional et de la plate-forme de vidéoprotection) devraient être confirmés et approuvés par le gouvernement d’ici la fin de la présente législature. Ce qui n’exclut évidemment pas que certains aménagements et/ou réorientations soient imposés par la prochaine majorité gouvernementale.

Patrick Van Vooren: “Notre Livre blanc est une feuille de route qui sera présentée au prochain ministre qui aura la tutelle de l’informatique… qui le corrigera ou non.”

“Les propositions faites dans notre Livre blanc [une synthèse peut d’ores et déjà être consultée sur le site du CIRB] sont des pistes de réflexion”, souligne Patrick Van Vooren, directeur des opérations au CIRB. “Notre espoir, bien entendu, est qu’elles soient reprises dans le prochain accord de gouvernement.”


 

Fiber-to-the-School et WiFi

** La Région a prévu de connecter les 136 écoles secondaires de son territoire en l’espace de 6 ans. Débit: 100 Mbps (20 Mbps garanti). Actuellement, la saturation menace. Une migration ADSL-VDSL2 est en cours mais reste insuffisante. Le haut débit devra en outre permettre d’apporter une solution partielle au manque de locaux et de ressources humaines (capacité d’enseignement à distance ou mutualisé).

Priorités de déploiement? Les écoles se trouvant le plus proche du réseau IRISnet seront raccordées en priorité avec de la fibre, “afin de rationaliser les investissements, vue que leur raccordement sera plus rapide et moins onéreux”, souligne Patrick Van Vooren. “Le réseau IRISnet étant appelé à être étendu progressivement, il se rapprochera des autres écoles, permettant de minimiser leurs coûts de raccordement.”

** Petit détour du côté du réseau WiFi: 900 points d’accès ont été déployés à ce jour. Le réseau continuera d’être étendu. Les administrations communales, par exemple, seront équipées “par paliers”, la Région finançant la couverture à proximité immédiate (le parvis, par exemple) ainsi que la zone, à l’intérieur, accessible au public (par exemple, la salle des guichets).  [ Retour au texte ]


Fil rouge: la mutualisation

L’une des justifications essentielles qui sous-tend le déploiement des différents dossiers d’équipement est la recherche d’une meilleure efficacité – financière et opérationnelle. Et la sixième réforme de l’Etat qui s’amorce sera une belle motivation supplémentaire pour continuer l’effort dans la mesure où les moyens transférés du niveau fédéral pour assumer les nouvelles compétences au niveau régional s’annoncent – fort probablement – insuffisants pour assumer la charge nouvelle.

Mais, même en faisant abstraction de cette réforme et de ses implications, la recherche “d’efficacité et de rationalisation des moyens via la mutualisation” s’inscrit en fil rouge des projets prônés par le CIRB. Mutualisation mais aussi – et surtout – maîtrise la plus totale possible des infrastructures et des décisions.

Le premier exemple, dès 1998, en fut le réseau IRISnet. “La volonté était de bénéficier d’une plus grande force de frappe et pouvoir de négociation vis-à-vis des opérateurs”, rappelle Hervé Feuillien, directeur général du CIRB.

En devenant propriétaire de l’infrastructure, qu’il s’agisse de réseaux, de serveurs, voire d’applications (comme on le verra plus loin), la Région, via son “bras armé” qu’est le CIRB, veut peser plus lourd face aux intérêts spécifiques des fournisseurs et prestataires. Autres leitmotiv: “éviter que chaque entité doive négocier séparément et que le fournisseur et prestataire applique des prix et des niveaux de services variant sensiblement d’un client à l’autre.”

Cette philosophie sera plus que jamais appliquée à l’avenir, tant dans le dossier réseau IRISnet que dans les autres dossiers en cours ou en préparation.

Hervé Feuillien: “Il est inconcevable que des ressources stratégiques pour la Région ou pour l’Etat se retrouvent parfois inaccessibles, mises sous scellés, comme cela s’est déjà passé, pour cause de faillite d’un opérateur privé…”

On retrouve dès lors le même raisonnement dans le dossier DCR.

Concentrer et moderniser les infrastructures dans un nouveau datacenter régional, détenu majoritairement par la Région, vise à diminuer les coûts (infrastructures, ressources humaines) et à améliorer la qualité de services (gestion, sécurité, haute disponibilité, procédures de sauvegarde…) des divers acteurs publics qui y seront hébergés [Ndlr: ministères, administrations communales, Bruxelles Environnement, la Stib ou encore – à confirmer – le Gial, le CPAS de Bruxelles].

Par ailleurs, souligne Hervé Feuillien, “la mise en oeuvre d’une structure publique permet de se libérer des aléas du privé. Il est inconcevable que des ressources stratégiques pour la Région ou pour l’Etat se retrouvent parfois inaccessibles, mises sous scellés, comme cela s’est déjà passé à Vilvoorde [Datahouse Belgium], pour cause de faillite d’un opérateur privé… Il est essentiel de sécuriser l’hébergement des données.”

Puzzle sécuritaire

La mutualisation est également le maître-mot derrière la mise en oeuvre (d’ici deux ans?) d’une plate-forme centralisée de vidéo-protection. Objectif: déployer (en ce compris via mise à niveau de l’existant) un système qui permette à divers intervenants – zones de police, communes, Bruxelles Mobilité, pompiers, STIB, Port de Bruxelles – de s’échanger et d’avoir accès aux images de leurs réseaux respectifs de caméras afin de pouvoir optimiser leur gestion, les interventions de sécurité nécessaire… “Dans l’état actuel des choses”, souligne Hervé Feuillien, “on court le risque d’un chaos en cas d’incident majeur. Chaque acteur dispose d’un VMS (video management system) propre, qui repose sur des technologies, des plates-formes différentes, avec des SLA (conventions de services) disparates en fonction des fournisseurs, et à des prix eux aussi différents. Même les réseaux – parfois loués – sont différents alors que la Région dispose de son propre réseau haut débit! [IRISnet]

Il a donc été décidé de mettre en oeuvre un VMS centralisé, hébergé dans le data center. Seule la Stib conservera son propre VMS, mais relié via une passerelle avec le VMS régional.”

Raison de cette exception: “La captation d’images leur sert aussi à la gestion de leur infrastructure, notamment pour le métro automatique. La Stib a dès lors besoin d’avoir la totale maîtrise de son infrastructure, ce que nous comprenons fort bien…”

“La disparité des technologies et réseaux de caméras fait courir le risque d’un chaos en cas d’incident majeur.”

La centralisation et, surtout, l’harmonisation du système [un seul VMS et la standardisation des caméras via marché public unique, les différents acteurs pouvant choisir dans un catalogue unique commun], permettront à tous les acteurs de partager leurs images. Avec, dès lors, la possibilité par exemple pour la police locale d’avoir accès aux images prises dans les gares ou à la justice de réquisitionner des images live venant des caméras de la police, de la police des chemins de fer, de Bruxelles Mobilité ou du Port…

A noter que les conditions de captation et d’utilisation des images bénéficieront désormais d’un contrôle que le CIRB présente comme étant plus efficace et concret que ce que les structures mises en oeuvre à ce jour permettaient.

“La Commission Vie Privée est certes en charge de cette problématique mais manque de temps et de moyens pour agir en cas de plainte et ne peut imposer que des amendes. Désormais, “explique Hervé Feuillien, “c’est une commission de contrôle des échanges de données et d’images, placée sous la responsabilité du Parlement, qui aura autorité et veillera au respect des obligations légales. Les zones de police, par exemple, seront tenues de lui rendre compte…”

Son rôle ne concernera pas seulement ce dossier vidéo-protection, à l’échelle de la Région, mais aussi les échanges et flux de données entre acteurs publics (par exemple, entre chaque pouvoir local et ses autorités de tutelle, entre services publics régionaux et organismes fédéraux, etc.). “En la matière, la Commission de contrôle va plus loin que ce que les autres Régions ont prévu…”

Mutualiser les applications métier des communes

Autre chantier de taille auquel le CIRB veut s’attaquer: la normalisation des processus métier des entités communales (la gestion des voiries, de l’urbanisme…) “L’exercice de normalisation a commencé, par exemple via la numérisation des processus d’octroi et de gestion des permis de bâtir ou des échanges d’informations vers les organes de tutelle mais il n’a pas encore été appliqué aux processus métier propres aux administrations communales”, souligne Hervé Feuillien.

Or, estime-t-il, la situation, côté offre, comporte certaines risques.

“Stesud ayant disparu [en fait, il y a eu acquisition et fusion avec Adehis, filiale de NRB], il ne reste qu’un seul fournisseur sur le marché. Avec des développements qui sont très chers, souvent spécifiques à chaque commune, à des tarifs différents et avec une qualité de service qui suscite d’amères plaintes pour lenteur, lourdeur et manque de modernisation des outils.”

A terme, un nouveau marché sera donc passé. Mais pas uniquement pour remplacer les applications. “Nous avons vu dans la situation actuelle l’occasion d’analyser les processus de gestion afin d’initier un processus de réingénierie que nous proposerons au prochain gouvernement. Nous proposons de procéder à une analyse avec les gens de métier, métier par métier. Nous lancerons un marché pour le développement d’applications, métier par métier, en vue de mettre en oeuvre d’une plate-forme générique qui sera hébergée dans le DCR.”

Objectifs? “Réduire les coûts, réaliser des économies d’échelle, autoriser une modernisation rapide des applications au fur et à mesure que la législation évolue.”

Le marché sera ouvert “à tout acteur ayant capacité à y répondre. L’objectif est de faire jouer la concurrence au maximum.” Voilà qui ouvre donc potentiellement la porte à de nouveaux fournisseurs, autres qu’Adehis/NRB. En ce compris – pourquoi pas? – IMIO. Avec toutefois cette mise en garde du CIRB: “les communes bruxelloises sont généralement plus grosses que la moyenne des communes wallonnes. Et une autre contrainte est évidemment que les solutions doivent être bilingues… Ce qui, pour nous, implique des coûts supplémentaires. D’où l’importance de mutualiser [les applications entre toutes les communes bruxelloises].”


Dans la suite de cet article, les responsables du CIRB y évoquent notamment la nécessité pour Bruxelles et la Région-Capitale de se doter d’une stratégie globale en matière de projets et de déploiement de solutions – qu’il s’agisse par exemple de communications ou de mobilité. Autre sujet abordé: le rôle qu’ils estiment être celui des organismes publics dans l’offre de solutions (notamment informatisées) au public face à des initiatives qui ont de plus en plus tendance de venir de citoyens et de (jeunes) entrepreneurs.