Exploiter le ludique qui sommeille

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Par · 25/06/2012

Les serious games – ou jeux sérieux – sont quasiment devenus un fait de société, s’immisçant dans de nombreuses facettes de la vie active, voire professionnelle. Leur dimension ludique, le réalisme de l’environnement virtuel, favorisé par les progrès de la technologie, visent à faciliter la compréhension et/ou l’apprentissage d’une situation complexe. Parce que l’image vaut plus qu’un long discours et que rien ne vaut une sensation d’immersion pour s’approprier un message.

Le jeu sérieux tend à tromper le cerveau sur ce qu’il ressent ou perçoit, jusqu’à dissiper toute différence entre monde physique et monde virtuel.

Le serious gaming a été inventé par l’Armée américaine qui l’a tout d’abord utilisé pour doper son recrutement avant de pousser l’exercice jusqu’à former les soldats aux situations qu’ils rencontrent en zone de guerre. A leur retour de mission, d’autres jeux sérieux les aident à mieux appréhender la période hyper-sensible qu’est leur réinsertion socio-professionnelle ou facilitent leur revalidation fonctionnelle ou psychologique

Aujourd’hui, les jeux sérieux envahissent un nombre croissant de domaines d’activités:

  • formation (connaissances, compétences, comportements)
  • gestion des ressources humaines (recrutement, formation des commerciaux, apprentissage de pratiques médicales, de gestes techniques…),
  • découverte (géographique, historique…),
  • sensibilisation (aux enjeux climatiques, à la mobilité urbaine, à la politique ou à la citoyenneté, à l’apprentissage des sciences, aux droits de l’homme, à une culture d’entreprise…)
  • promotion du tourisme
  • santé (revalidation physique ou cognitive…), etc.

L’objectif est de susciter une relation plus naturelle, spontanée, participative, avec le processus d’acquisition de connaissance ou d’expérience. L’implication sensorielle, voire émotionnelle, du jouer-acteur tend à soutenir son attention, sa motivation, à rendre plus compréhensibles des concepts ou situations complexes, à renforcer la solidité de l’acquis, qu’il s’agisse d’une nouvelle connaissance à s’approprier ou de se reconnecter à des compétences ou aptitudes perdues, comme ce peut être le cas lors d’une rééducation cognitive, motrice, fonctionnelle ou neurologique.

L’influence des générations

“La nouvelle génération a besoin d’un outil interactif de sensibilisation et de formation, tout simplement parce qu’elle a grandi dans l’environnement du tout-numérique, n’a jamais utilisé d’autres supports que le Web ou les médias sociaux et a donc des difficultés à apprendre sans passer par un outil interactif”, explique Laurent Grumiaux, responsable business development chez Fishing Cactus, société spécialisée dans la création de jeux, classiques ou sérieux, basée à Mons.

Qui plus est, le cerveau, le comportement de cette nouvelle génération ont été, sinon formatés, du moins largement influencés par les concepts d’instantanéité, de césure temporelle constante, de multi-activités simultanées qui mettent à mal les potentiels de concentration. “On peut peut-être le déplorer”, souligne Laurent Grumiaux, “mais ce n’est pas pour autant que l’on peut se permettre de perdre cette génération.” Il s’agit dès lors de leur fournir des outils nouveaux, plus en synergie avec leur propre mode de vie et de rapport à la connaissance. Les autres générations se laissent d’ailleurs séduire et font dès lors pression pour bénéficier, elles aussi, des mêmes outils.

Opération séduction

Le jeu sérieux présente divers atouts pour retenir l’attention du joueur, l’inciter à poursuivre l’expérience. Au-delà de l’aspect ludique, la possibilité de programmer des récompensespersonnalisables, individualisées, plus difficiles voire impossibles à mettre en œuvre avec des techniques pédagogiques traditionnelles, est un facteur de motivation à forte valeur ajoutée.

Laurent Grumiaux: “Le serious game induit la valeur ajoutée de l’implication active. Le joueur reprend la maîtrise de l’expérience.”

Qu’il s’agisse de points à marquer ou d’artefacts qui rendent le jeu plus intéressant. Fishing Cactus a par exemple imaginé qu’un participant à un jeu sérieux de formation à des situations de travail en milieu dangereux soit “récompensé” en dotant son avatar d’équipements tels que des bottes antistatiques ou des pinces sécurisées lui permettant de progresser plus vite, là où, au départ du jeu, l’équipement virtuel fourni est basique.

L’émulation sociale, collégiale, communautaire est un autre exemple : communication des scores personnels sur l’intranet de la société, avantages concrets à faire valoir, par exemple si les compétences acquises lors d’une formation en sécurité peuvent réduire de x pour-cents les risques encourus par la société…

Une motivation plus solidaire est de lier scores atteints ou fréquence de jeu à la somme d’argent que le sponsor d’une ONG, par exemple, lui allouera. Version plus humaniste du principe pay-per-click

Progrès constants

Progrès et banalisation des technologies ont favorisé l’essor du serious game. Ces dernières années ont en effet vu des avancées sensibles dans divers domaines :

  • des capteurs peu onéreux et de plus en plus précis, qui saisissent des mouvements au millimètre près, qualité essentielle dans certains métiers ;
  • le mariage entre capteurs, caméra 3D voire reconnaissance vocale, qui permet de se mouvoir et d’agir avec précision dans un environnement virtuel ;
  • du 3D stéréoscopique pour une vision en profondeur ;
  • les équipements mobiles et réseaux sociaux qui permettent d’être diverti à chaque instant ;
  • l’apparition de middleware et de kits de développement plus simples, packagés, utilisables par des personnes moins expérimentées, qui autorisent des développements plus aboutis ;
  • un réalisme de texture qui reproduit les moindres détails et variations de conditions atmosphériques, de spécificités techniques morphologiques, de lumière ambiante…

“Tout cela a par exemple permis d’ouvrir le monde de la médecine au serious game, en ce compris pour l’apprentissage de techniques d’intervention complexes et sensibles. Choses que le clavier et la souris, hier, ne permettaient pas. La simulation de l’environnement à reproduire est telle qu’on en arrive à tromper le cerveau sur ce qu’il ressent ou perçoit, jusqu’à dissiper toute différence entre monde réel, physique, et monde virtuel”, explique Laurent Grumiaux. La chose est particulièrement utile, par exemple, dans le cas d’un jeu sérieux de revalidation fonctionnelle. Le patient se sent parfaitement à l’aise dans l’environnement virtuel, y trouvant les mêmes repères qu’en situation réelle. Avec l’avantage supplémentaire d’adapter le réalisme, la précision ou la complexité de l’environnement ou de la mise en situation à son degré de handicap, de compréhension, de réactivité. Le processus de revalidation est ainsi accessible à un plus grand nombre de personnes, à moindre coût que celui qu’implique l’aménagement d’un espace physique adapté à chaque situation. La remarque vaut également pour toutes les mises en situation à fins de formation, par exemple pour des manipulations en environnement industriel sensible ou dangereux.

Efficacité prouvée

Diverses études tendent à prouver que le serious game a un effet positif sur la qualité ou l’efficacité de la formation ou de la sensibilisation. “Dans le domaine de la sécurité, les méthodes existantes étaient encore relativement archaïques : visionner des vidéos sur les choses à faire en cas d’incident avait le don de lasser assez rapidement l’apprenant et présentait le désavantage d’opérer selon un mode passif”, explique Laurent Grumiaux. “Le serious game induit la valeur ajoutée de l’implication active. Le joueur reprend la maîtrise de l’expérience.”

La qualité de la formation fournie est jugée équivalente à celle qu’une personne attentive et concentrée retire d’une formation classique. La différence se situe davantage en termes de satisfaction. “L’interactivité capte et soutient mieux l’attention de l’apprenant.” Par contre, par sa capacité à mieux recréer des conditions proches de la réalité, le jeu sérieux serait plus efficace lorsque l’apprenant est déjà compétent dans son domaine et cherche à se spécialiser.

 

Blog intéressant, concernant les conditions de réussite d’un jeu sérieux, sur Ludovia.com: http://www.ludovia.com/serious_games/2012/1492/les-cles-de-la-reussite-d-un-serious-game.html

[ Cet article a déjà été publié dans le CookBook, ouvrage annuel du projet TransDigital ]

 

Petit lexique

  • advergame : fait passer un message (marketing, publicitaire, social, politique, religieux ou humanitaire)
  • art game (ou gameart) : réalisation d’une œuvre interactive, esthétique du jeu vidéo
  • data game : jeu permettant de récolter des informations pour compléter ou créer une base de données
  • edugame (edutainment): jeu ludo-éducatif à finalité pédagogique (enseignement ou entreprise)
  • edumarketgame : jeu qui mêle éducation, information et marketing
  • exergame : jeu contenant des exercices, pour entraînement cognitif ou physique
  • green game : jeu de sensibilisation aux enjeux écologiques
  • learning game : jeu d’(auto-)apprentissage
  • military game : jeu militaire
  • news game : jeu informatif centré sur une question d’actualité
  • social game : jeu communautaire, “social” en ligne, à jouer à plusieurs, sur les réseaux sociaux tels Facebook
  • training game : jeu qui dispense un entraînement (sportif, cérébral ou technique)
  • war game : jeu de stratégie, de guerre ou d’histoire

Sources : Wikipedia, le blog de www.seriousgames.be