Le jeu sérieux, comme auxiliaire de rééducation

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Par · 26/06/2012

Le jeu sérieux ROGER (Realistic Observation in Game and Experiences in Rehabilitation) est une initiative de deux thérapeutes neuropsychologues de l’hôpital Erasme, à Bruxelles (service CRFNA de réadaptation fonctionnelle neurologique et ambulatoire).

Reconstituer un environnement familier où le patient peut retrouver ses repères...

Le jeu, développé par la société montoise Fishing Cactus, sert de simulateur, d’environnement de réadaptation cognitive pour des patients adultes souffrant de troubles cognitifs, attentionnels ou organisationnels, provoqués par un traumatisme, un accident vasculaire cérébral ou une maladie (Alzheimer, par exemple). Les troubles cognitifs en question peuvent être des ralentissements, déconcentrations, désorganisations, oublis, carences en compréhension, troubles de la planification…

Le jeu simule un environnement familier de la vie quotidienne (chambre, salle de bain…) et met la personne en situation réelle (faire sa valise pour un départ en vacances, préparation d’une activité…), insérant, au gré du scénario, des éléments perturbateurs (réception d’un SMS, radio, sonnerie du téléphone…).

Un premier prototype avait été réalisé, l’année dernière, grâce à un financement du MIC (Microsoft Innovation Center) de Mons de 20.000 euros. L’ergonomie en était encore plutôt rudimentaire: déplacement dans le jeu (c’est une Kinect qui est à la manoeuvre) commandé uniquement par la main, objets à manipuler qu’il fallait encore choisir dans des listes…

Les deux thérapeutes, Alexia Watelet et Catherine Degiorgio, désiraient pousser le réalisme beaucoup plus loin. Un deuxième prototype vient d’être réalisé, avec le soutien de l’Union nationale des Mutualités socialistes. “On peut désormais se déplacer dans l’univers virtuel en utilisant la jambe, la position du tronc… Les objets sont représentés graphiquement et peuvent être déplacés, ouverts, animés d’un geste de la main”, déclare Catherine Degiorgio. “Nous avons atteint environ 80% de ce que nous voulions. Il manque encore des objets et certaines fonctionnalités. Par exemple, pouvoir déposer un objet ailleurs que dans une valise. A l’heure actuelle, chaque objet est encore “lié” à un ou deux endroits spécifiques (commode, valise). Nous voudrions que le patient et le thérapeute puisse l’utiliser librement.”

De nouveaux développements seront nécessaires pour obtenir un jeu réellement flexible, modulaire, s’adaptant librement aux scénarios voulus par les thérapeutes, et ainsi, enrichir la bibliothèque de scénarios et trajets de rééducation.

L’étape suivante sera de procéder à des études cliniques. “Des contacts ont été pris avec d’autres centres de soins que nous voudrions associer en qualité de centres-pilote mais rien n’a encore été officialisé. Nous voudrions aussi convaincre deux ou trois centres à l’étranger.” Cette collaboration permettrait de multiplier les scénarios, de valider les mises en situation, d’enrichir la bibliothèque en fonction de cas et troubles spécifiques.

Cette étape est cruciale à maints égards. D’un point de vue purement clinique, d’une part, mais aussi pour passer à l’étape suivante qui devrait être celle d’un “projet de plus grande envergure. Pour ne pas procéder sans cesse par itérations [développement de quelques nouvelles fonctions] de petite ampleur. On parlera alors d’un projet représentant éventuellement un budget de 500.000 euros. Avec davantage de pièces dans l’appartement, du feedback, un tableau analytique exploitable par le thérapeute (informations pertinentes sur la session, indications sur le temps passé, les erreurs commises…). Avec aussi un panneau de paramétrage temps réel de chaque scénario, qui pourra alors être modifié avant et pendant le jeu, en fonction de chaque patient, de ses réactions, de l’évolution de sa rééducation… Il faudrait par exemple moduler le moment où sonne un GSM dans un scénario: après 30 secondes, 2 minutes…”

Pour franchir l’étape intermédiaire des études cliniques, les deux thérapeutes d’Erasme lancent un appel aux bonnes volontés de leurs collègues. Car, dans l’état actuel des choses, seuls leur temps et leur volonté est à même de faire progresser le projet.

ULB et Fishing Cactus sont en outre “à la recherche d’un partenaire public ou privé qui pourrait financer le reste du développement et la distribution/commercialisation de ROGER à grande échelle.”

Le jeu, outil de réhabilitation physique

Le monde médical fait de plus en plus appel à des jeux sérieux. Dans le domaine de la réhabilitation physique, un projet avait été lancé, voici environ un an, par Cédric Van Branteghem, ancien médaillé de bronze aux championnats d’Europe d’athlétisme. En collaboration avec Lieven Maesschalck, physiothérapeute, fondateur de Move to Cure, il avait imaginé un jeu, basé sur Kinect, destiné à la rééducation physique après blessure, accident ou maladie. A la fois pour des sportifs et pour des citoyens lambda.

Plus tard, l’idée était d’en faire également bénéficier les personnes plus âgées qui désireraient entretenir leur condition physique ou se livrer à des exercices préventifs réguliers. Le projet est actuellement en hibernation, en quête de nouvelles finalité.

De son côté, le laboratoire LABO (Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse) de l’ULB planche sur une série de “mini-jeux” destinés à la réhabilitation physique de (jeunes) patients atteints de problèmes locomoteurs, souffrant par exemple de syndromes IMC (Infirmité Motrice Cérébrale). Allié dans l’aventure: la VUB, qui se charge de développer les jeux sur base des scénarios fournis par LABO. Le financement est assuré par InnovIris.

Quatre mini-jeux ont déjà été développés. Une dizaine d’autres sont planifiés pour les 18 mois à venir. L’équipe LABO, spécialisée notamment dans l’analyse du mouvement, travaille actuellement à enrichir le nombre de points qu’une caméra Kinect classique est capable de capter.

“Elle permet d’échantillonner 20 points par patient. C’est insuffisant pour reconstituer et analyser un mouvement en 3D. Il nous faut trois points significatifs par segment osseux majeur”, souligne le professeur Serge Van Sint Jan. “Nous travaillons avec un mathématicien de l’ULB qui, en utilisant des algorithmes d’optimisation, va nous permettre d’ajouter des données et de passer à quelque 150 points. Par ailleurs, quelque 400 paramètres cliniques [Ndlr: amplitudes de mouvement correspondant aux divers degrés de liberté de chaque articulation] seront intégrés au modèle d’ici un an. Nous serons alors proche d’une anatomie réelle. Le squelette virtuel ainsi recréé sera remis à l’échelle de l’anatomie de chaque patient pour une analyse biomécanique complète et précise de la signification de chaque courbe. Cela nous permettra de comprendre, en temps réel, quel muscle est en cause…”

La précision d’analyse est certes plus forte avec les matériels spécialisés dont disposent actuellement les centres spécialisés mais ces matériels traditionnels sont excessivement onéreux (au minimum plus de 100.000 euros). Une caméra 3D et un programme enrichi ramènent le prix à un seuil démocratique, synonyme de large diffusion. Et le service LABO de l’ULB a préféré se lancer lui-même dans l’exercice d’enrichissement algorithmique et référentiel étant donné que la précision voulue risquait de ne pas être concrétisée de sitôt par l’offre commerciale envisagée par Microsoft avec sa Kinect.

LABO recherche d’ailleurs des centres qui seraient prêts à participer à la phase d’enrichissement. Notamment pour étendre le registre de patients dont les données viendront enrichir la base de référence. “Des bases existent mais elles concernent des adultes. Or, la marche d’un enfant est atypique, spécifique à chacun d’eux, influencée par sa morphologie, le problème dont il souffre.”

Pour l’avenir, le professeur Van Sint Jan envisage d’autres applications possibles de la solution, notamment pour des pathologies telles qu’AVC (accident vasculaire cérébral) ou lésions rachidiennes.