Belgacom: bilan de 10 mois du jeu NIU

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Par · 25/06/2012

En févier 2011, Belgacom lançait, à detination de quelque 1.500 chefs d’équipe, un jeu sérieux sensé les sensibilités aux méthodes de coaching et de leadership. Histoire de leur faire prendre conscience des influences complexes qu’a le comportement sur la bonne fin d’un projet. Dix mois plus tard, le jeu a pris fin mais a laissé des enseignements qui seront intégrés dans les processus. Toutefois, Belgacom aurait sans doute rêvé d’une adhésion plus large des personnes visées.

Niu, qualifié deLeadership Game” a été développé par CrossKnowledge, avec l’encadrement académique de la Vlerick Management School.

L’objectif du jeu, pour Belgacom, était d’“anticiper les besoins à venir en termes de formation en testant une méthode susceptible de séduire les talents de demain, à savoir la génération Y”, et de favoriser le développement de nouvelles compétences ou, tout au moins, une “prise de conscience de l’importance du coaching et du leadership dans la performance, dans la motivation des gens, ou encore l’influence qu’a le comportement du “leader” sur le comportement de l’équipe et les résultats atteints.”

Cible: les “team leaders”, autrement dit les chefs d’équipe, dans tous ses départements et unités. En tout cas parmi les rangs des white collars, détenteurs de diplômes universitaires.

”La vitesse d’évolution du marché, la nécessité de lancer des applications et services rapidement, le support nécessaire des modes de fonctionnement de la génération Y, tout cela nécessitait de mettre davantage l’accent sur l’initiative, le sens de l’innovation, le travail en mode projet, de pouvoir instaurer des schémas de collaboration entre des personnes appelées à travailler ensemble le temps d’un projet avant de regagner leurs départements respectifs”, explique Martine Gonty-Frébutte, directrice de la Belgacom Corporate University. “Il fallait passer d’un mode directif et hiérarchique à davantage de flexibilité et de collaboration.”

Et pour induire ce changement de mentalité et de comportement, Belgacom voulait s’essayer à une méthode de formation au “leadership” qui s’écarte des sentiers battus. “Apprendre ne se limite pas à l’acquisition de connaissances. C’est également lié à de la mise en pratique, à un prolongement de l’apprentissage dans le temps. Un jeu de rôle ne plonge quelqu’un dans une situation qu’un quart d’heure. Le jeu offrait d’autres perspectives.” Comme l’écrivait le professeur Herman van den Broeck de la Vlerick School (partenaire de Belgacom pour l’élaboration des concepts relationnels): “Le processus d’apprentissage s’appuie sur l’expérience, plus que la simple connaissance et gagne ainsi en intensité. Les joueurs sont confrontés aux conséquences de leurs actions beaucoup plus rapidement que dans la vie réelle. Leurs actions, leurs communications- ou leur non-communication- leur renvoient un feedback quasi instantané. Ils peuvent par ailleurs simuler l’impact qu’auront diverses réactions sur les performances de leur société ou de leur équipe.” (Source: Valuing Corporate Partnerships, février 2011, Vlerick School)

Les principes du jeu

Le jeu NIU a été structuré en 15 sessions de 30 minutes (à l’origine, l’idée- critiquée par les premiers intéressés- était de prévoir 30 sessions de 15 minutes). Les participants ont été regroupés en “cohortes” de 50 personnes qui, tout en jouant en solo, faisaient virtuellement partie d’un groupe de 50 personnes, venues de tous les départements de Belgacom. “L’idée était de réunir les personnes les plus diverses possibles: niveau hiérarchique, domaine d’expertise, entité de la société…”

Principe de base: une mise en situation, concrétisée par des rencontres avec divers avatars (collègue mécontent, personne à licencier, spécialiste à consulter pour un projet…). Chaque avatar rencontré a un profil spécifique- coopératif, sceptique, franchement hostile…  A chaque fois, le joueur doit répondre à une question ou prendre une décision.

Les situations évoluent en fonction des sessions de jeu antérieures et les choix posés. Le jeu s’accompagne, à divers points des scénarios, d’inserts vidéo, d’histoires, d’articles à lire sur le leadership. A divers moments, le coach du joueur (une personne des services RH) lui indique une mission, bien réelle cette fois, à remplir.

Les 50 joueurs de la cohorte pouvaient en outre échanger des impressions, réfléchir à certaines problématiques dans le cadre d’un espace forum virtuel.

Chaque situation, chaque question posée proposait 3 choix possibles: positif, négatif ou neutre/indécis. “Il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse en soi”, souligne Martine Frébutte. “Mais le joueur devait assumer ses réponses, comprendre que ses choix pouvaient vexer, décevoir, contrarier… son vis-à-vis.”

But du jeu pour Belgacom: “établir le profil [de leadership] du joueur en fonction de critères tels que son ouverture aux autres, son orientation vers le futur, la gestion de ses émotions… et permettre à chacun d’identifier ses points forts et ses axes d’amélioration en matière de leadership en vue d’améliorer le travail collaboratif.”

Objectifs atteints?

“Il fallait passer d’un mode directif et hiérarchique à davantage de flexibilité et de collaboration.”

Si on s’en tient aux chiffres purs et durs, les résultats auraient sans nul doute être meilleurs. Mais les initiateurs du jeu préfèrent mettre d’autres critères en avant pour dire que le jeu a eu des mérites que d’autres méthodes n’auraient pas pu produire.

Explication.

Les chiffres, tout d’abord. Quelque 1.500 personnes, selon Martine Frébutte étaient potentiellement concernées. [A noter ici que ce chiffre n’est pas celui cité dans divers contextes par Belgacom; ainsi, il avait été question, au départ, de 1.750 personnes.]

Sur ces 1.500 personnes, 80% ont participé au jeu (qui n’était pas obligatoire). 20% n’ont donc pas répondu à l’appel. Mais sur ces 1.200 participants, seuls 300 ont été au bout du jeu, effectuant les 15 sessions de 30 minutes. Et, chose encore plus importante sans doute, la moitié de ceux qui ont abandonné en cours de route ont fait moins de 5 sessions. Or, explique par ailleurs Martine Frébutte, s’il n’était pas nécessaire de faire l’ensemble des sessions pour qu’un “profil” puisse être dégagé ou des enseignements retirés sur la manière qu’a la personne de conduire une équipe et de réagir aux situations proposées, un minimum de 5 ou 6 sessions sont nécessaires pour donner un résultat significatif.

Pourquoi tant de “déchets”?

Même si l’analyse qu’en fait Belgacom mériterait d’être plus poussée, les raisons évoquées apparaissent comme diverses et variées- et pas forcément justifiées. Depuis le collaborateur qui est simplement un adversaire de tout jeu jusqu’à celui qui refuse d’y participer parce qu’il dit ne pas comprendre certains termes utilisés. En passant par ceux qui ont dit ne pas avoir le temps pour ce genre de chose. “Ou n’ont pas voulu le prendre.”

L’âge des personnes concernées n’aurait guère eu d’impact sur l’accueil et le taux de participation, selon Martine Frébutte. “Les plus âgés répondent certes un peu moins bien mais c’est surtout une question d’approche de la nouveauté. Et, à cet égard, ce ne sont pas toujours les plus âgés qui étaient les plus réticents. Le cliché homme/femme, jeune/vieux n’explique pas le taux de désintérêt.”

Le verre à moitié plein…

Une vision plus positive de l’expérience, défendue par Martine Frébutte, est de dire que le jeu a permis de détecter des lacunes, des types de comportement ou réaction et, dès lors, d’intégrer de nouveaux éléments dans la formation des team leaders.

Il a aussi permis, selon elle, de sensibiliser un certain nombre de personnes à l’importance du coaching et du comportemental dans une gestion d’équipes, “alors qu’ils y étaient restés hermétiques lors de formations utilisant des méthodes plus classiques.” Malheureusement, elle ne donne pas de précisions plus chiffrées, se contentant de dire que “des gains évidents ont été notés, en termes d’engagement, de la part de certaines personnes.”

Autre élément positif à ses yeux: le fait que le jeu ait permis de faire tomber certaines barrières hiérarchiques ou inter-départements. “Les gens ont commencé à se parler entre eux de manière plus ouverte. Grâce à l’incitant du chat et du forum, certains ont par après eu le réflexe d’appeler par téléphone leur supérieur hiérarchique [qui était leur coach dans le jeu] au sujet d’un problème. Chose qu’ils n’auraient jamais faite auparavant.”

Martine Frébutte rejette en outre la critique, souvent entendue à propos de NIU, que le budget associé était surdimensionné par rapport aux résultats atteints. “Si on calcule en termes de coût horaire, en comparaison d’une formation classique en leadership, le jeu nous a en effet coûté plus cher mais pas dans des proportions excessives. Même s’il est vrai que ce format de jeu n’est en effet pas la plus économique pour des formations de ce genre…”

A quoi donc les données et résultats collectés vont-ils servir?

Sur base des éléments récoltés lors du jeu, le profil de chaque joueur se dessine: qualité de la vision à court ou long terme, esprit d’ouverture ou non, confiance en soi, aptitude à gérer les différentes réactions… Cela lui permet de se couler dans un des 4 profils génériques définis: fédératif, visionnaire, directif, empathique. “Chaque résultat individuel est strictement réservé au joueur et à lui seul. S’il veut partager son profil, en parler avec d’autres, il peut le faire mais il reste maître de ce qu’il en fait.”

A cet égard, Belgacom tient à souligner qu’une convention avait été passée, au préalable, avec les employés visés, leur assurant qu’en aucun cas Belgacom n’exploiterait donc ces données personnelles à des fins de sélection ou de jugement.

“Les résultats du jeu sont par contre analysés au niveau collectif, celui de la Corp., de chaque business unit ou département. Cela permet à chaque département de savoir quelle est sa situation globale en termes de profils et à Belgacom de voir s’il lui manque des types de profils. Lors de sélections futures, ce sera au recruteur de les chercher et trouver.” Mais Martine Frébutte jure ses grands dieux qu’il n’ira donc pas piocher dans le dossier personnel de l’ancien joueur. Le recruteur referait donc le travail d’évaluation et de sélection sans savoir, a priori, quel profil il a en face de lui.

Et si c’était à refaire?

Autres enseignements retirés: un nécessaire soutien de la part du top management, la nécessité de communiquer beaucoup autour du jeu, de prévoir une information la plus concrète possible (des démos marchent nettement mieux qu’un simple mail, par exemple), et l’intérêt à mieux expliquer, dès le départ, quelles sont les finalités ou l’utilité réelle pour chaque joueur.

“Si c’était à refaire, nous mettrions sans doute plus d’aspects de compétition dans le jeu, mais une compétition qui devrait être positive.”

Le jeu NIU, en tout cas, a pris fin en décembre, 10 mois après avoir commencé. Du moins pour ce qui concerne les team leaders. Par contre, il a été intégré au processus de formation de toute personne qui doit, pour la première fois, gérer une équipe. Sans obligation toutefois pour elle d’aller au bout des 15 sessions. “Le jeu n’aura aucun poids sur la sélection proprement dite. C’est un simple outil d’auto-évaluation, dans la mesure où la personne concernée y accorde le poids qu’elle veut. Elle peut par exemple décider d’utiliser ce qu’elle en aura retiré comme sujet de conversation avec son career consultant…”

Si c’était à refaire, un certain nombre de modifications seraient sans doute effectuées. Belgacom se donnerait en outre plus de temps pour convaincre les gens de se mettre au jeu (le démarrage a été plus que lent pour certains).

“Si c’était à refaire?” Le fait est que Belgacom planche sur un nouveau jeu sérieux. Un prestataire a d’ailleurs déjà été désigné. Mais la société n’en dira pas plus tant que le feu vert final n’est pas donné (sans doute à la rentrée). L’intention n’est en tout cas pas de faire un NIU-bis. La finalité et la cible seront différentes.

Dans l’absolu, il n’y aura d’ailleurs pas, à court ou plus long terme, de “NIU-bis” visant la même cible (team leaders) avec les mêmes finalités (coaching, leadership). “Ce serait se priver de l’effet de surprise et lasser potentiellement les personnes visées”, affirme Martine Frébutte.