Projet Switch : un projet de recherche pour une meilleure gestion des tunnels routiers

Pratique
Par · 11/01/2023

Parmi les différents projets de recherche financés par les pôles de compétitivité wallons, il s’en trouve plusieurs qui font appel à l’analytique “big data” et aux potentiels de l’intelligence artificielle. Parmi eux, le projet Switch porté conjointement par Mecatech et Logistics in Wallonia.

Objectif? “Concevoir et développer une solution de tunnel intelligent, intégrée, à l’usage des constructeurs et des exploitants de tunnels routiers”. L’“intelligence” recherchée vise ici divers aspects du cycle de vie de ces ouvrages routiers: conception, maintenance (anticipation optimisée d’opérations de maintenance, minimisation des temps d’interruption du trafic…), réduction des coûts opérationnels, augmentation de la sécurité (prévention d’incidents, accès et conditions optimisées pour les services d’urgence….).

Pour des infrastructures plus efficaces

Switch – acronyme de Smart Wireless Intelligent Tunnel Connectivity Hub – est un projet de recherche d’une durée de trois ans (il en est actuellement à la moitié de son parcours) auquel participent les sociétés SEE Telecom (société spécialisée dans les solutions de radiocommunications en milieux confinés), Icoms Detections (conceptrice de radars et capteurs micro-ondes pour la gestion du trafic routier, aujourd’hui filiale du groupe canadien International Road Dynamics), Eura Nova (pour l’analyse de données), et les universités de Mons (laboratoire de radiocommunications), de Namur (centre de recherche CRIDS, pour leurs compétences en législation sur le traitement des données) et de Louvain-la-Neuve (département de cryptographie de l’UCLouvain).

Le projet vise à explorer et à développer de nouveaux potentiels de gestion intelligente de tunnels routiers alliant communications sans-fil, intelligence artificielle, IoT…

See Telecom s’est notamment spécialisé dans l’équipements en radiocommunications de tunnels routiers. Ici le tunnel de Luben, qui passe sous la montagne Maly Lubon, dans les Carpates polonaises…

Coordinateur et pilote du projet, SEE Telecom s’appuie sur ses compétences en infrastructures et solutions de radiocommunications “augmentées” (combinant les technologies RF, GPS, 4G, 5G, IoT…) pour explorer les potentiels de nouvelles fonctionnalités à venir greffer sur l’infrastructure habituelle des tunnels routiers.

Pour faciliter et optimiser les activités de gestion opérationnelle, de maintenance, de surveillance sécuritaire, il est par exemple possible de déployer et de connecter une grande variété de capteurs, explique Jérôme Buquet, directeur de l’innovation chez Ses Telecom. Et d’énumérer… Des détecteurs de gaz, mesurant la concentration de polluants (capteurs qui sont d’ailleurs déjà prêts pour la future génération de moteurs à hydrogène). Des capteurs de vibration qui peuvent contrôler le bon fonctionnement de systèmes de ventilation et anticiper une panne. Des inclinomètres à placer sur les panneaux de signalisation, pour déterminer s’ils ont été déplacés ou endommagés. Des capteurs permettant de détecter toute micro-déformation de l’armature en béton. Etc. Etc.

“Les infrastructures utilisées pour assurer la surveillance des tunnels et de toutes ces informations sont lourdes et onéreuses”, déclare Jérôme Buquet. “Celle que vise le projet Switch sera nettement plus abordable et déployable étant donné qu’elle peut prendre place dans des tunnels existants, en recourant à des communications sans-fil venant se greffer sur le câblage coaxial rayonnant classique.” (Les fentes aménagées dans les câbles coaxiaux dits rayonnants permettent de diffuser l’énergie électromagnétique de manière égale tout au long de l’infrastructure, avec une puissance de signal uniforme).

Exploiter plus finement les données

Toutes les données collectées par les capteurs doivent être transmises et analysées pour en extraire des informations pertinentes. Et c’est là aussi qu’intervient la finalité du projet wallon.

Les données seront relayées via l’infrastructure à radiofréquences vers un “concentrateur” central (“hub”), en l’occurrence une infrastructure de stockage de données de type “data lake” qui a la particularité de conserver les données dans leur format d’origine, minimisant les transformations intermédiaires. Solution concernée: le data lake Digazu d’Eura Nova. L’expertise de la société brabançonne sera mise à contribution pour produire, sous forme de tableaux de bord aisément interprétables, des informations utiles pour les différents destinataires potentiels: exploitants de tunnel, sociétés de maintenance, services de secours… “Les tableaux de bord classiques”, souligne Jérôme Buquet, “sont généralement difficiles à exploiter”.

Le but sera aussi de permettre l’extraction et l’exportation de certaines données vers des systèmes davantage dédiés ou spécifiques (Scada notamment) utilisés traditionnellement par les opérateurs. En scénarisant, là aussi, les extractions afin de ne fournir à chaque type d’opérateurs que les données dont il a besoin (surveillance d’éclairage, alertes maintenance, détection d’incendie…).

 

Salle de contrôle du Tunnel de Cointe, où est utilisé l’outil see smart TunnelCare de SEE Telecom pour la maintenance.

 

En arrière-plan, ce sont des algorithmes d’intelligence artificielle qui seront à l’oeuvre pour extraire la “substantifique moelle” des myriades de données, de toute nature et de formats divers, qui sont relayées. Même si les fréquences de transferts de données sont relativement modestes: pour la surveillance de l’état de l’infrastructure ou de certains équipements, nul besoin de collecter les données en temps réel et en continu. “L’échantillonnage se fait pour certains indicateurs toutes les demi-heures voire toutes les heures”. Par contre, d’autres indicateurs, tels que la concentration de gaz, exigent une surveillance plus fine.

Il reviendra aux algorithmes développés (conçus par See Telecom pour les plus basiques et par Eura Nova pour les développements plus sophistiqués) de fournir des informations pertinentes pour anticiper des pannes, autoriser une maintenance préventive, évaluer la possibilité d’espacer certaines interventions de maintenance (parfois inutiles mais ayant un coût – en termes d’interventions techniques et de fermeture d’infrastructures)…

Autre particularité différenciatrice du projet: un volet cryptographie, avec adaptation des techniques de chiffrement de données aux contraintes spécifiques d’un environnement confiné et technique tel qu’un tunnel routier. Pourquoi chiffrer les données? “C’est une garantie d’intégrité, une preuve que les données n’ont pas été modifiées ou n’ont pas pu être lues par des tiers non autorisés. C’est là quelque chose d’obligatoire dans le cadre d’infrastructures critiques telles que les tunnels routiers. La France, notamment, a adopté un nouveau règlement en matière de cybersécurité qui inclut les tunnels…” Dans ce registre (cyber-sécurité, Ses Teleom souligne par ailleurs se préparer “à être parfaitement compatible avec la future directive européenne CRA (Cybersecurity Resilience Act) qui vise à renforcer drastiquement la cybersécurité des infrastructures vitales en Europe d’ici 2025”.

De premiers tests

Tunnel de Cointe, l’un des premiers sites de tests pour le projet Switch.

Les solutions que vise à développer le projet Switch feront l’objet de projets-pilote. De premiers tests en situation réelle sont ainsi planifiés, voire ont déjà eu lieu. Un test a ainsi été organisé dans le tunnel de Cointe (Liège), avec déploiement partiel de capteurs de température, de vibration, d’inclinomètrès et même de capteurs… d’ouverture du porte (pour surveiller les accès au coeur du tunnel).

Un autre test-pilote est en cours dans le tunnel du Mont Blanc, pour des tests GPS et de communications V2X (Vehicle-to-Everything).

Pour aider les membres du consortium de recherche à produire un résultat qui soit réellement pertinent et en phase avec les besoins des destinataires potentiels, le projet Switch peut s’appuyer sur un conseil consultatif (qui se réunit tous les semestres), composé notamment d’opérateurs métier et de centres d’études. Y siègent par exemple des représentants de Vinci Autoroutes (centre et sud de la France), d’Eiffage Autoroutes (Paris-Rhin-Rhône et Alpes), du Tunnel du Mont Blanc, du CETU (Centre d’études français des tunnels), du SPW de Wallonie ou encore de Bruxelles Mobilité. Ce conseil prodigue et valide des scénarios de cas d’usages à mettre en oeuvre dans le cadre du projet ou comme applications potentielles.

Un exemple: Escota a lancé l’idée d’une application de détection de piétons dans les tunnels, via recours à des radars micro-ondes.