L’IA hospitalière, en quête de guidance et de ressources

Pratique
Par · 30/03/2022

Comment le monde médical et, en particulier, hospitalier perçoit-il l’usage de l’intelligence artificielle pour ses propres besoins? Voici un an, l’étude “Baromètre de l’adoption de l’Intelligence Artificielle dans les hôpitaux de Belgique”, réalisée à l’initiative du groupe de travail AI4Health (programme AI4Belgium) auprès de quelque 240 participants, avait notamment constaté que “l’AI est considérée comme un sujet très important mais pas forcément pour une mise en pratique immédiate”.

Dans quelle mesure les projecteurs braqués de plus en plus sur l’IA et les travaux et activités de ce groupe de travail AI4Belgium ont-ils fait évolué les choses? Nous avons posé la question au Dr Giovanni Briganti, coordinateur du groupe de travail AI4Health et par ailleurs maître de conférences à l’ULB et à l’UMons.

“L’adoption est en cours”, estime-t-il. “Les hôpitaux commencent à s’y lancer. L’étude de l’année dernière a servi d’outil de sensibilisation. On constate par exemple que les premiers centres d’innovation médicale voient le jour tant en Wallonie qu’à Bruxelles. 

Les hôpitaux sont désormais prêts à innover en utilisant l’IA. L’un des obstacles majeurs demeure toutefois le manque de moyens, notamment financiers pour l’achat de matériels et de logiciels. D’où l’approche en mode living lab pour éviter de devoir dépenser trop d’argent et parce que les hôpitaux n’ont pas encore une vue bien précise sur ce que l’IA va potentiellement pouvoir leur apporter.

L’approche de type living lab se concentre par ailleurs sur des cas d’application davantage orientés gestion hospitalière plutôt que développement de solutions purement cliniques, qui s’inscrivent dans un cycle plus long et dont la plus-value est difficile à évaluer par les hôpitaux.

Par contre, pour des apports de l’IA en matière de gestion et d’administration, les effets sont plus aisément calculables.”

Les actions du groupe de travail AI4Health ou la “prise de conscience” via l’étude réalisée il y a un an ne sont évidemment pas les seuls paramètres qui favorisent une plus grande attention pour l’IA dans le secteur médical. La crise sanitaire est passée par là – faut-il encore le rappeler ? – accélérant bien des choses: “la pandémie a mis les médecins dans le bon mindset, pour innover de manière disruptive”, estime le Dr Giovanni Briganti. “Je constate que l’état d’esprit a changé. Je suis persuadé que mes collègues médecins sont plus que jamais prêts à relever les défis. Il reste désormais à obtenir le soutien structurel, nécessaire, des autorités pour ce mode de réflexion.”

Un “phare” pour l’IA en santé

Dans un précédent article, nous avons déjà mentionné les débuts du projet “Lighthouse” du groupe de travail AI4Health (dans le cadre de AI4Belgium). Un projet qui vise à établir un “cadre structurel”, à coordonner les efforts de sensibilisation, de promotion de l’IA dans le secteur de la santé, à éviter les redondances entre projets ou initiatives diverses lancées en Belgique, à optimiser si possible les ressources. Le tout, notamment, dans la perspective d’un plan fédéral IA/numérique en santé pour les aspects relevant des compétences fédérales (approbation de solutions numériques, remboursement…).

Source: MyLifeline

Le projet Lighthouse visera aussi à aider, aiguiller, promouvoir des projets émanant des Régions, par exemple en matière d’essais cliniques, et à mieux coordonner, là aussi, des projets lancés au sein d’une même Région ou dans différentes Régions du pays afin d’identifier et de valoriser les synergies.

Parmi les objectifs: “favoriser la coopération entre hôpitaux afin de démontrer la valeur ajoutée des projets IA en santé, et accélérer l’implémentation de l’IA par les hôpitaux.”

Cela passera notamment par l’organisation, à partir du quatrième trimestre de cette année, d’ateliers d’une journée, donnés par des experts en IA (venus de sociétés telles que Sagacify), destinés à des équipes de gestion hospitalière. “Le but est de travailler sur le mindset, d’ouvrir la voie à de premiers projets IA pour faciliter la gestion, l’administration hospitalière, pour optimiser les processus… Ces équipes hospitalières se composeront idéalement de responsables de la direction générale mais aussi de représentants de la direction médicale, informatique, de médecins, de chargés de projet”, souligne Giovanni Briganti. “On procèdera par démarche de mise en situation, avec réflexion sur les opportunités et les besoins.”

 

Dr Giovanni Briganti (AI4Health, AI4Belgium): “La pandémie a mis les médecins dans le bon mindset, pour innover de manière disruptive. Il reste désormais à obtenir le soutien structurel, nécessaire, des autorités pour ce mode de réflexion.”

 

“Les ateliers seront une aide à l’appropriation de méthodologie afin que les équipes de gestion puissent identifier les opportunités, les potentiels d’amélioration de leur institution, établir des priorités”, explique pour sa part Kevin Françoisse, co-fondateur er CEO de Sagacify.

La coordination et la collaboration entre hôpitaux sous-entendent notamment l’instauration d’une dynamique entre réseaux d’hôpitaux. Ce genre de collaboration, aux yeux du Dr Giovanni Briganti, devrait s’avérer utile pour des projets de développement et d’implémentation de nouvelles solutions “en mode early adopter”.

Le sujet des données disponibles pour permettre le développement de solutions IA pertinentes est évidemment un sujet sensible et essentiel. “En la matière, il est nécessaire de travailler sur la gouvernance, un élément qui manque encore.” Un chapitre où l’on parlera sans doute beaucoup, ces prochains mois, de protection des données de santé, de dossier santé intégré, de “portefeuille numérique” incluant (ou non) les données de santé, avec possibilité pour le citoyen de décider de quels types de données il met ou non à disposition pour telle ou telle étude clinique, pour des tests ou projets d’innovation…

Autre grand chapitre à investiguer: le rôle et l’attitude des comités d’éthique des hôpitaux – pas forcément “alignés”…

Nouvelles pistes de formation

En amont, l’IA commence aussi à faire son chemin, en mainstream, dans les cursus de formations des (futurs) médecins ou des professionnels de santé déjà en activité. Plusieurs nouvelles formations devraient ainsi bientôt faire leurs débuts en Belgique. Notamment un certificat “AI in digital health” à l’UMons en collaboration avec l’ULB, à destination des cliniciens et des professionnels de santé. Des choses mijotent aussi à l’UCLouvain et à l’ULiège.

Ces formations, souligne le Dr Briganti, aborderont la matière en profondeur, au-delà du simple aspect technologique, pour assurer “une réelle compréhension des défis”. “Désormais, ingénieurs et médecins pourront valablement échanger autour de la table”, déclare-t-il, insistant sur l’importance qu’il y a à former davantage de personnes ne venant pas ou n’ayant pas un profil IT ou purement IA. 

En matière de compétences, en particulier dans le monde médical, “l’expérience de terrain est plus importante que la programmation. Ce ne sera jamais l’ingénieur qui pourra déterminer quel est le bon taux d’oxygène dans le sang” et, par conséquent, orienter l’algorithme dans la bonne direction… “En IA, on aura besoin de différents niveaux de compétences et de connaissances” – depuis la vue d’hélicoptère jusqu’aux mains dans le cambouis.