AI et santé: où en est l’adoption de l’AI dans les hôpitaux belges?

Pratique
Par · 25/03/2021

L’un des premiers projets du groupe de travail AI4Health d’AI4Belgium est la réalisation, en collaboration avec Ernst & Young et le magazine spécialisé Le Spécialiste, d’une étude sur le taux et les modes d’adoption de l’intelligence artificielle au sein des hôpitaux du pays. Les premiers résultats préliminaires en ont été communiqués à l’occasion de la Belgian AI Week.

L’étude vise à évaluer le taux d’intérêt porté à l’AI par les établissements hospitaliers, leur prise de conscience des enjeux, possibilités et risques, la vision qu’ont les hôpitaux (au niveau des directions – générale ou médicale – et des professionnels de soins eux-mêmes) de l’AI clinique et non clinique (autrement dit appliquée à des processus non directement en contact avec le patient).

Le but est également d’évaluer la manière dont l’IA est ou peut être implémentée: pour améliorer la qualité des soins, pour de la surveillance médicale, pour l’aide au diagnostic, pour une aide à la gestion…?

A ce jour…

(Chiffres établis mars 2021)

239 réponses
recueillies auprès de 60% néerlandophones et de 40% de francophones
moyenne d’âge: 44-56 ans (la tranche d’âge 25-35 est jusqu’ici le plus faiblement représentée)
la plupart des répondants sont des médecins ; viennent ensuite des membres de la direction générale et des directeurs médicaux

Quelles sont les premières tendances qui se dégagent (l’étude est encore en cours et les résultats définitifs ne seront communiqués qu’à la fin du printemps) ?

– L’AI est considérée comme un sujet très important mais pas forcément pour une mise en pratique immédiate: seuls une quarantaine de répondants estiment que c’est “plutôt une priorité” pour cette année, contre 80 qui optent pour le “pas vraiment”. 20 des répondants sont quant à eux, d’ores et déjà, des convaincus, cochant la case “oui très”.

– L’optique change assez radicalement lorsque l’on adopte une vision à cinq ans. Les “pas vraiment” chutent à 20 tandis que les “oui, plutôt” bondissent à 80 et les “oui, très” suivent avec 60 réponses allant dans ce sens.

– Les opinions varient aussi sensiblement selon la finalité visée par le déploiement de solutions AI.

Ainsi, si l’on parle “amélioration des conditions de travail”, près de 100 personnes s’en disent “plutôt convaincues” et quelque 60 “tout à fait convaincues”.

Le questionnaire de l’étude s’attarde également sur le potentiel que les professionnels du secteur des soins de santé voient dans l’AI. Voici ce que cela donne, en pourcentage de réponses, sur ce premier échantillon provisoire:

  • amélioration des performances économiques de l’hôpital : 28%
  • amélioration de la qualité de vie au travail: 50%
  • amélioration de la prise de décision: 50%
  • gain de temps pour des tâches à plus haute valeur ajoutée: 40%
  • suivi personnalisé des patients: 35%
  • réduction du taux d’erreurs: 39%

Quelles priorités les professionnels du secteur des soins de santé identifient-ils pour se saisir de l’Intelligence Artificielle dans le cadre de leur métier et de leurs activités?

  • anticiper l’évolution des pratiques et des compétences: 42%
  • anticiper les adaptations nécessaires en termes d’organisation du travail et de transfert de tâches: 49%
  • identifier les registres où l’IA pourrait être appliquée: 57%

Il n’y a pas que le médical…

En milieu hospitalier, les domaines potentiels d’application de l’IA ne se limitent pas au domaine médical, même si – comme le rappelait Karolien Haese, fondatrice et chief wealth officer pour Building Healthcare for Tomorrow, anciennement directrice générale de l’hôpital Saint-Jean (Bruxelles) et comme semble à nouveau devoir le confirmer l’étude – les professionnels de soins ont d’abord tendance, de manière parfaitement logique et naturelle, à penser en termes d’AI au service de la “médecine augmentée”, de la surveillance et amélioration de la qualité et de la sécurité des soins.

“En milieu de santé”, soulignait-elle, “l’IA présente des opportunités dans trois aspects: le médical, le financier, le “confort”.

D’un point de vue économique, elle peut aider à réduire la pression économique qui pèse sur les hôpitaux, grâce à une meilleure analyse ou interprétation des tableaux de bord. L’IA permet aussi de s’appuyer sur la reconnaissance vocale pour soulager les tâches d’encodage, de gérer les agendas, d’accélérer les tâches administratives, voire de gérer les bases de données en vue d’améliorer le processus de triage et de flux de patients, en appliquant des algorithmes qui apprennent automatiquement de protocoles préexistants. C’est là une chose importante dans la mesure où le “flux” de patients constitue l’un des paramètres essentiels du financement des hôpitaux. Combien de patients devrions-nous avoir, pour quel type de pathologie…? L’IA peut analyser ce type de données et donner une bonne idée de la manière dont les hôpitaux peuvent se gérer.”

Vision que confirmait Giovanni Briganti, médecin psychiatre à l’ULB, chercheur en AI bayésienne  pour l’étude des maladies mentales à l’Université de Harvard: “85% du temps quotidien d’un médecin hospitalier est passé en activités qui ne sont pas directement liées aux soins proprement dits. 85% du temps est passé derrière un ordinateur, en ce compris lors d’une consultation, et 15% avec le patient. Combien de ce temps passé en tâches administratives est perdu parce que les outils IT ne sont pas optimaux?” Et quel avantage pourrait représenter l’IA à cet égard?

 

Karolien Haese (Building Healthcare for Tomorrow): “Management et équipe médicale doivent travailler de concert à la définition d’une stratégie AI, en démarrant avec le projet médical avec le médecin, en le faisant évoluer en stratégie de gestion. Et cela manque encore non seulement en Belgique mais dans de nombreux pays.”

 

Autre domaine où Karolien Haese voit des avantages concrets dans un recours à l’IA appliquée: la logistique – “en termes de conseils et de notifications de maintenance des équipements, des stocks, de gestion des lits, de gestion des espaces…”

L’IA peut également être un support utile pour des soins qui sont de plus en plus “pilotés” par le patient lui-même, mais en préservant un lien étroit avec les institutions de soins: “auto-surveillance, empowerment du client, maintien du contact avec l’hôpital, meilleure acceptation et compréhension un traitement… Des outils AI peuvent clairement améliorer le confort du patient.”

L’IA qui décide. L’IA qui conseille

L’un des enjeux fondamentaux de l’immixtion de l’IA dans le monde médical est la marge de manoeuvre, en quelque sorte, qu’on acceptera de lui donner. Servira-t-elle d’outil de référence supplémentaire, d’aide à la décision (toujours pilotée et maîtrisée par l’être humain) ou ira-t-on davantage dans le sens d’une autonomisation de l’IA, avec prise de décision et pose de diagnostics automatisés?

Le débat ne fait que commencer sur les balises à poser, les précautions et garanties à imposer. Mais la situation actuelle comporte un danger intrinsèque aux yeux de Karolien Haese.

“On se trouve actuellement dans un no man’s land. Si une mauvaise décision est prise, le médecin peut dire “j’ai demandé à telle machine, à telle autre et toutes m’ont conseillé de prendre telle décision alors que j’aurais préféré en prendre une autre. Mais j’ai choisi de suivre l’avis de la machine.

Il est donc temps que l’on évolue, aussi bien dans l’Union européenne, qu’ailleurs, comme aux Etats-Unis, vers une définition de la responsabilité de l’IA et des algorithmes. C’est la raison pour laquelle l’UE évolue vers la notion d’IA explicable où l’intelligence artificielle explique comment et pourquoi elle en est arrivée à sa décision. Que ce soit par le biais d’un processus d’explication automatisée ou via algorithme d’interprétabilité.”

Quelle serait la responsabilité du médecin s’il va à l’encontre de la décision de l’IA? Avec cette considération supplémentaire, comme le soulignait Karolien Haese, que l’on a de plus en plus tendance à s’en remettre à l’assistance donnée par la “machine”, qu’“il est de plus en plus difficile d’aller à l’encontre de ce qu’elle propose, tant il est facile de pousser sur un bouton”, comme on laisse – dans un autre domaine – le GPS décider de la direction à prendre…