[ Dossier Métavers ] – Des modèles et finalités parfois difficiles à (ré)concilier

Pratique
Par · 03/06/2022

Monétiser les contenus. Ceux que l’on crée mais aussi ceux que l’on permet à des créateurs de concevoir à l’aide des outils et kits de développement qu’on met à leur disposition (parfois de manière gratuite). C’est là un modèle économique très couru ces derniers temps.

A l’exemple de Meta et d’Epic Games, nombre d’éditeurs et fournisseurs du métavers (infrastructure, outils, contenus…), tels que Decentraland, Roblox, Electronic Arts, Zynga (devenu Take-Two), se rémunèrent par prélèvement sur chaque transaction de vente de biens virtuels dans leur univers.

Certains évoquent même l’idée d’une sorte de taxe foncière d’un genre nouveau, prélevée sur des propriétaires qui laisseraient leur bien en jachère… A quand le AirBNB des possessions virtuelles?

Si le fournisseur ou prestataire (de technologies, de plates-formes, d’infrastructure…) est un acteur commercial, le diagnostic est facile: sa seule réelle finalité est de gagner d’argent. Toujours plus d’argent. Belle lapalissade et porte ouverte !

Certes, les appétits – et les ficelles tirées pour y arriver – varieront en puissance, en transparence, de l’un à l’autre, mais le but est évident. Même si on l’oublie trop souvent…

Un oubli qui explique en partie cette tendance – qui ne se dément pas et qui s’accentue même avec le temps – qu’ont les consommateurs-internautes à se laisser dérober et exploiter leurs données.

Au gré des interviews et des échanges que nous avons pu avoir en préparant ce dossier, la même mise en garde est revenue, systématiquement, face aux visées des GAFAM ou homologues: “une prise de conscience s’impose”.

Olivier Servais, professeur à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication de l’UCLouvain, rappelle par exemple que “l’intention, le but des GAFAM n’est pas l’égalité entre citoyens mais leurs propres profits”.  Et de mettre en garde contre la perspective de voir notre société humaine être gouvernée par ces sociétés commerciales, de voir se constituer des univers virtuels transnationaux, ne dépendant plus d’une quelconque législation nationale, une sorte de “paradis factice hors d’atteinte” ou, vu sous un autre angle, de “société autoritaire n’ayant rien de démocratique.” A lire, à ce sujet, notre article “Enjeux de société et de démocratie”.

Dans la même veine, son collègue Mark Hunyadi, philosophe et professeur d’éthique en nouvelles technologies à l’UCLouvain, estime que la finalité (en tout cas de certains acteurs du métavers) est de “créer un monde sans résistance, qui nous dispense des limites du monde réel. […] Leur but est que nous passions plus de temps dans le numérique, d’accroître ainsi notre dépendance afin qu’eux puissent gagner beaucoup d’argent. Il ne faut jamais sous-estimer le projet délirant de toute puissance de Mark Zuckerberg.”

Une place pour l’open source?

N’y a-t-il pas de recours, d’alternative? On en parle nettement moins mais les acteurs historiques de l’open source ne sont pas absents du paysage ou de l’exercice de positionnement qui se dessine. Voici déjà deux ans, Mozilla a par exemple lancé un service “Hubs Cloud” devant servir de socle à des environnements et espaces de collaboration en VR. Certains y ont très tôt vu “un important tremplin vers un futur métavers décentralisé”.

Développés en WebXR, les “Mozilla Hubs” sont compatibles avec tout type de dispositif immersif et de plate-forme d’accès – depuis les ordinateurs personnels jusqu’aux casques en passant par les smartphones.

Parlant – la précision est importante – en son nom personnel et non de son employeur, Fabien Bénétou, consultant rattaché au Labo d’innovation du Parlement européen, est de ceux qui plaident en faveur d’une version open source du métavers. Face à la stratégie de domination du marché d’un Facebook, qui consiste à monétiser au maximum les données, il est essentiel selon lui d’envisager les alternatives possibles.

S’il existe déjà l’une ou l’autre version “ouverte” des infrastructures métavers, l’offre côté casques VR est par contre plus restreinte – et leurs prix plus élevés. “Le différentiel avec les prix que pratique Facebook, qui casse les prix de ses Oculus pour s’imposer sur le marché, peut aller jusqu’à un facteur 10. C’est clairement un obstacle. Mais l’avantage, c’est qu’on peut avoir le contrôle des données.”

Enjeux économiques

par Isabelle de Laminne

Au-delà des prouesses technologiques, d’un point de vue économique, ces univers virtuels présentent de véritables opportunités. Mais attention aux potentielles dérives.

Avec les métavers, nous versons dans un modèle économique d’échanges virtuels de biens et services qui n’ont de consistance que dans un univers numérique. Un nouveau terme est apparu: metanomics (contraction des termes métavers et economics), on parle alors de l’économie du métavers. 

Selon une étude de Bloomberg, la taille du marché mondial du métavers pourrait atteindre environ 800 milliards de dollars d’ici le milieu de cette décennie. Environ 4.000 entreprises à travers le monde travaillent sur base de ce concept. Il s’agit donc d’un marché dont il faudra tenir compte. Aujourd’hui, plusieurs marques commerciales sont déjà présentes dans le métavers: Walmart, Nike, Gap, Verizon, PWC, Adidas, Atari… 

Ci-dessous, un graphique reprend l’augmentation de la capitalisation boursière des jetons des principales plates-formes de métavers après le changement de marque de Facebook en Meta.

 

 

“Le marché total potentiel de l’économie des métavers pourrait se situer entre 8.000 et 13.000 milliards de dollars d’ici 2030, avec jusqu’à cinq milliards d’utilisateurs, mais pour atteindre ce niveau de marché, il faudra des investissements considérables dans les infrastructures”, a indiqué Citi dans un rapport récemment publié. Source: Coindesk.

Le Boston Consulting Group, pour sa part, avance des chiffres concernant la valeur du marché des métavers côté “fournisseurs” (matériels, logiciels, services). Il l’évalue actuellement à 16 milliards de dollars, avec une croissance assez colossale à court terme pour atteindre le 250 à 400 milliards de dollars à l’horizon 2025.

Les métavers sont le fruit de la convergence de plusieurs facteurs: l’Internet des objets (IoT), l’intelligence artificielle (IA) et la réalité mixte (augmentée, virtuelle). On peut aussi distinguer différents types de métavers. 

Au départ, ce concept a surtout été développé grâce aux jeux. Mais de nombreux autres secteurs seront impactés par le développement de ces nouvelles technologies. Les secteurs de l’éducation, de l’assurance, de la santé, de l’industrie ou de la culture connaîtront des développements importants grâce aux métavers. Un avatar pourra alors agir dans le métavers en tant que joueur, consommateur ou, tout simplement, en tant qu’acteur social.

Dès la semaine prochaine, vous aurez l’occasion de recevoir, en format PDF, la totalité de ce dossier avec, en “bonus”, une série d’articles rédigés par Isabelle de Laminne. Orientés enjeux économiques et financiers du métavers, ils traiteront d’investissements, de spéculation, de valeur réelle ou fictive, des risques d’investissement…