GenePlaza: l’interprétation génétique as-a-service d’origine belge

Portrait
Par · 06/12/2017

Une spin-off de l’ULB/VUB et du département d’intelligence artificielle IRIDIA, spécialisée dans le traitement de données génomiques, a radicalement changé sa cible commerciale. Si le projet InSilico Genomics ne tombe pas dans les oubliettes, il a donné naissance, voici quelques mois, à un nouveau bourgeon prénommé GenePlaza.

La cible qui, hier encore, était exclusivement constituée de chercheurs et de scientifiques devient soudain une cible grand public. Avec, évidemment, un catalogue de services et de “produits” entièrement révisé.

Changement de cap

GenePlaza est une émanation de la même équipe de l’ULB qui fut à l’origine d’InSilico Genomics. Pour rappel, cette spin-off s’était spécialisée, dès 2012, dans le développement d’outils et de solutions de traitement d’informations (collecte, gestion, stockage sécurisé, normalisation de formats) provenant de jeux de données générées par des études scientifiques. Les données, une fois reformatées, normalisées et combinées, étaient destinées à être fournies à des chercheurs et équipes de recherche (universitaires ou hospitalières) ainsi qu’à des instituts de séquençage ADN qui peuvent ainsi les exploiter via leurs propres outils d’analyse biologique.

Pourquoi ce revirement d’un modèle B2S (business to science) vers un modèle B2C? “Le focus des investisseurs, en matière de génomique et de générique, est désormais clairement mis sur le consommateur”, indique Alain Coletta, co-fondateur de GenePlaza.

En 2013, InSilico Genomics avait effectué un premier tour de table auprès d’investisseurs privés, récoltant 1,2 million d’euros (relire notre article de l’époque).

Fin 2015, la spin-off a tenté de repasser les plats. Constat? Un modèle économique basé sur une orientation purement scientifique n’a pas réellement la cote. Même si, comme c’est le cas d’InSilico Genomics, on peut se targuer d’avoir une base de données d’utilisateurs particulièrement réputée et étendue.

L’équipe a donc imaginé un “pivot”: poursuivre l’exploitation des données (en s’imposant des règles strictes) et rentabiliser le savoir-faire en s’adressant au grand public mais en revoyant sensiblement les finalités de l’exploitation des données.

Gene apps store

Comme son patronyme l’indique, GenePlaza propose une sorte de place de marché, une “apps store” d’applis génétiques, dans laquelle tout internaute peut aller piocher afin de se faire une petite analyse perso et thématique de son ADN. Les applis seront créées (avec vérification) par des scientifiques et des développeurs lambda. Les premières (une petite dizaine) qu’on y trouve déjà l’ont été en majorité par l’équipe GenePlaza.

Chaque appli est en fait un calculateur, un outil d’analyse qui, sur base du fichier de séquençage de l’ADN de l’internaute, fait émerger “des traits spécifiques influencés par la génétique”. L’un des slogans de la société pour décrire son offre? “Des applications génétiques qui vous aident à en apprendre plus sur vous-même et à prendre des décisions plus efficaces pour votre style de vie.”

“Style de vie” a ici toute son importance. En effet, GenePlaza ne s’aventure pas (ou du moins pas encore) sur le terrain du diagnostic ou du pronostic médical, se contentant d’outils d’analyse à finalité “fitness” ou gestion globale de sa santé.

Se situer sur la carte ethnographique – proche ou plus lointaine…

Pour l’heure, le catalogue comporte une dizaine d’applications, parmi lesquelles un calculateur d’ethnicité (appartenance ou origine ethnique) qui permet de découvrir qui étaient ses ancêtres récents (vous pouvez remonter jusqu’à 2 ou 3 siècles en arrière) ou ses ancêtres beaucoup plus lointains (jusqu’à 4 ou 8.000 ans).

GenePlaza prépare encore d’autres calculateurs du même type qui se concentreront sur une zone géographique déterminée: l’Europe ou des régions du monde où un grand nombre d’ethnies se sont côtoyées et mélangées (par exemple au Mexique).

D’autres applications ont des connotations davantage médicales ou en tout cas “fitness et lifestyle”. Ainsi des calculateurs identifient diverses prédispositions: activités matinales ou tardives, prédisposition au surpoids, à la névrose, prédisposition à percevoir ou non certaines saveurs (amertume, coriandre…).

Ces calculateurs ont été développés en collaboration avec des experts scientifiques. Exemple: la prédisposition d’une personne a être davantage active et “performante” le matin ou en soirée. Pour cette application, GenePlaza a collaboré avec l’un des Prix Nobel de Médecine 2017, récompensé pour ses travaux sur les mécanismes moléculaires qui règlent le rythme circadien (autrement dit notre “horloge” biologique interne).

Des applis à la pelle?

L’espoir de GenePlaza est bien évidemment de multiplier le nombre d’applications disponibles via sa plate-forme. Il faudra pour ce faire convaincre un grand nombre de développeurs (sérieux), de chercheurs et de scientifiques de lui confier ou d’y loger leurs propres calculateurs génétiques. “C’est là tout l’intérêt des relations qu’avaient tissées InSIlico Genomics, dont la solution est l’une des plus utilisées par les instituts de recherche réputés de par le monde”, indique Alain Coletta. Reste évidemment à “activer” ces chercheurs.

Mais, selon le co-fondateur de la société, l’intérêt est pour le moins latent. “Une étude de marché a été réalisée auprès de 1.000 chercheurs sélectionnés au hasard pour déterminer s’ils seraient intéressés à créer ou à déployer des applications. Il s’est avéré que 10% d’entre eux avaient déjà créé une application et pourraient la déployer sur une plate-forme telle la nôtre. Ce sera notre priorité dans les prochains mois…”

Comment ça marche?

Première opération à effectuer de la part de l’internaute: télécharger le fichier de son ADN.

Deux scénarios sont possibles à cet égard.

S’il ne dispose pas encore du fichier de son ADN, GenePlaza peut y remédier. La société propose un kit de prélèvement (salive) à la vente et se charge de faire séquencer ce petit bout de vous. Le fichier résultat servira de matière première à toute application GenePlaza que l’internaute voudra utiliser. Coût du test: 145 euros.

Si l’internaute a déjà fait effectuer le séquençage de son ADN sur une autre plate-forme (du genre 23andMe), il lui suffit alors de télécharger le fichier sur la plate-forme GenePlaza et de choisir l’application qui l’intéresse.

L’équipe de GenePlaza procède toutefois à une petite opération intermédiaire appelée “imputation”. Petite explication. L’ADN comporte environ 3 milliards de paires de bases génétiques. Environ 99,9% d’entre elles sont communes à tous les individus. L’identification des facteurs de susceptibilité génétiques s’effectue via la comparaison de la fréquence de centaines de milliers de variants génétiques. “Certaines sociétés actives dans l’analyse génomique ne travaillent que sur 700.000 variants”, indique Alain Coletta. “Nous travaillons, quant à nous, sur quelque 40 millions de variants. L’imputation sert donc à injecter de nouveaux variants.”

Reste alors à charger les données dans l’application (le calculateur) qui les traitera en fonction du modèle génétique correspondant au but recherché (par exemple, l’appartenance ethnique) et produira les résultats.

Positionnement gagnant?

Alain Coletta estime que le moment est idéal pour GenePlaza: intérêt (ou curiosité) du grand public pour des solutions basées sur l’analyse de l’ADN, démocratisation des prix du séquençage, besoin de solutions davantage respectueuses de la vie privée et de la confidentialité des données, et technologie plus avancée que celle sur laquelle s’appuient nombre d’autres sociétés.

L’analyse génétique connaît en effet un regain d’intérêts, attirant d’innombrables porteurs de projets et initiateurs de start-ups – pas toujours très sérieux, comme on le verra plus loin (chapitre “Le défi de la crédibilité”).

GenePlaza veut dès lors se positionner sur un terrain différent de celui adopté par bon nombre de ses concullègues, souvent d’origine américaine, “qui concentrent la majorité de leurs activités sur le terrain de la vente de données aux sociétés pharmaceutiques ou biotech.” Sans être trop regardantes sur les implications éthiques…

GenePlaza, elle, s’impose une règle fondamentale: l’utilisateur est et reste le seul détenteur de ses données.

Certes, il n’en détiendra pas forcément une copie et les données sont stockées sur les serveurs de la société (en fait, sur l’infrastructure Amazon, dans un cloud situé en Allemagne), mais les précautions nécessaires ont été prises pour éviter tout problème, assure Alain Coletta.

“Les infrastructures Amazon sont hautement sécurisées et nous avons fait procéder à un audit externe qui a notamment inclus des tests d’intrusion.”

Si l’internaute qui fait appel aux services de la plate-forme ne garde pas une copie des résultats d’analyse, il a par contre le droit de demander à ce qu’elles soient effacées, pour ne laisser aucune trace.

GenePlaza, bien que dépositaire des données, n’en est donc pas le propriétaire. Ce statut reste exclusivement celui de l’utilisateur à qui il reviendra par exemple à l’avenir de décider s’il partage ou non ses données ou les résultats des analyses faites sur ces données.

Certains le feront sans doute gratuitement, d’autres y associeront probablement un prix. “Chacun pourra déterminer avec qui il partage et avec qui il monétise. La granularité pourrait être différente selon que le scientifique à qui ont donne accès soit un chercheur académique ou un collaborateur d’une société telle que Monsanto ou Philip Morris”, raisonne Alain Coletta.

Mais au fait, pourquoi GenePlaza a-t-elle choisi un opérateur de cloud public plutôt qu’une infrastructure privée telle celle de l’ULB? La société évoque deux raisons principales: les conditions tarifaires plus avantageuses et la fiabilité ou sécurité des serveurs. “A l’ULB, les locaux où sont installés les serveurs ne sont pas sécurisés. L’accès est possible par un trop grand nombre de personnes.”

En quête de financement

Quel est le modèle économique de la solution GenePlaza? D’où lui viendront ses revenus, en dehors des tests ADN de départ dont il a été question?

Pour pouvoir faire analyser ses données ADN par une application hébergée sur la plate-forme, l’utilisateur devra payer une certaine somme qui varie d’une application à l’autre. Le prix est déterminé par la personne qui a développé le calculateur et varie, actuellement, entre quelques dizaines de cents et quelques euros. GenePlaza dit en effet privilégier un tarif démocratique afin de pouvoir s’imposer en attirant un maximum de “clients”.

GenePlaza est actuellement en quête de nouveaux fonds de financement à hauteur d’environ un million d’euros.

On l’a vu en début d’article, le virage qu’a pris l’équipe de fondateurs vers le B2C a été motivé par la difficulté qu’elle a éprouvée à convaincre des investisseurs de refaire un tour de table au profit d’InSilico Genomics, dédiée à des utilisations purement scientifiques. Les fonds récoltés en 2013 auprès de business angels ayant été largement utilisés et ne pouvant supporter la nouvelle phase, GenePlaza est actuellement en quête de nouveaux fonds de financement à hauteur d’environ un million d’euros. N’espérant pas beaucoup trouver son bonheur auprès d’acteurs institutionnels belges, elle a plutôt engagé des recherches à l’international: Paris, Londres, …

Le défi de la crédibilité

Des start-ups mais aussi des acteurs établis de longue date qui vous promettent la lune, qui vous font miroiter l’opportunité de tout découvrir sur votre passé, votre avenir, vos chances ou risques en tous genres sur base de l’analyse de votre ADN, il en naît tous les jours. Pour tous les goûts et tous les fantasmes. Depuis le pas-sérieux-s’abstenir jusqu’au tiens-mais-c’est-génial…

“De nombreuses sociétés voient le jour qui viennent vous vendre n’importe quoi”, met en garde Alain Coletta.

Des exemples récents?

Soccer Genomics qui vous propose notamment des tests permettant de déterminer si votre rejeton à des chances de se retrouver dans l’équipe du Barca ou de Manchester…

Alain Coletta: “La seule façon pour nous de faire preuve de notre sérieux est d’expliquer comment nous générons les résultats et de ne recourir qu’à des modèles génétiques robustes.”

Ou cet autre test qui, sur base de l’analyse de votre ADN, sélectionne pour vous le vin qui est censé être le plus adapté à votre profil génétique. “La génétique sert ici d’alibi, d’outil marketing.”

“Nous souffrons de ce qui, souvent, n’est pas sérieux”, regrette Alain Coletta. “Beaucoup de ces sociétés se contentent d’un seul variant génétique pour vous donner soi-disant un résultat scientifique. La seule façon pour nous de faire preuve de notre sérieux est d’expliquer comment nous générons les résultats et de ne recourir qu’à des modèles génétiques robustes.”

Face à ce que certains appelleront sans doute des cowboys, quelle garantie GenePlaza donne-t-elle au sujet de la fiabilité des résultats que fournissent ses applications analytiques?

La spin-off fait valoir plusieurs arguments. A commencer par le profil scientifique des personnes qui sont à l’origine du projet. Ensuite, grâce à la qualité de la base de données collationnée par InSilico Genomics, qui revendique le titre de plus “grande base de données de profils génomiques de haute qualité, revus par des experts via un mécanisme de collaboration communautaire entre chercheurs.”

Ensuite, les algorithmes développés reposent tous sur des modèles génétiques qui ont fait l’objet de publications dans des revues scientifiques, articles qui eux-mêmes sont soumis au principe de peer review. “Dans la mesure où nous sommes nous-mêmes des scientifiques, nous pouvons discriminer”, souligne Alain Coletta.