Olivier Verbeke (Fostering Ideas): “bousculer l’environnement, sortir de la torpeur”

Interview
Par · 09/08/2012

Nous vous en parlions tout récemment: l’asbl Fostering Ideas a été créée afin d’aider des porteurs de projets à mener leur projet jusqu’au stade de la start-up de manière plus efficace, rapide et pertinente. Fostering Ideas se propose de “soutenir, stimuler et bousculer l’environnement existant”. En effet, estiment ses fondateurs, “l’innovation belge est en pleine ébullition et les start-up ont de plus en plus besoin d’un soutien cohérent, d’un écosystème dynamique et d’une culture entrepreneuriale forte.” Un soutien qui, à leurs yeux, faisait défaut. Non que les initiatives soient aux abonnés absents (MIC, BetaGroup, DIV Dragons… en sont des exemples) mais il manquait, selon eux, une plate-forme qui puisse servir d’accélérateur de création de start-up et leur apporter en un temps minimisé des éléments essentiels à un lancement efficace.

C’est dans cette optique que la première initiative de l’asbl, à savoir le programme Nest’up (Nurturing Entrepreneurship, Startups & Talents), a été imaginé. L’idée d’origine en revient à Olivier Verbeke, co-fondateur d’Idealy, société basée à Louvain-la-Neuve qui assiste les “ideators” (créateurs d’idées innovantes) par la mise à disposition de conseils d’entrepreneurs, de mentors et de divers outils de structuration de leur projet.

Cela explique que l’on retrouve dans l’asbl Fostering Ideas plusieurs personnes qui gravitaient déjà autour d’Idealy. Parmi les fondateurs ou personnes actives dans l’asbl et/ou dans Nest’up, on retrouve ainsi des figures telles que Ben Piquard, Simon Alexandre ou encore Roald Sieberath.

Régional-IT a rencontré Olivier Verbeke afin de mieux comprendre les finalités poursuivies avec Fostering Ideas et les mécanismes qui vont se mettre en place à court ou moyen terme.

Régional-IT: A lire, ne serait-ce que le nom de Fostering Ideas, qu’on retrouve sous forme de slogan chez Idealy, ou les noms des personnes impliquées, on suppose que l’idée a germé chez vous…

Olivier Verbeke: L’histoire commence en effet avec Idealy. Un certain nombre de choses ont déjà été réalisées avec Idealy qui a aidé à se créer et a accompagné 12 start-ups en 2011 et qui continue son chemin. Mais on a appris, en cours de route, un certain nombre de choses parce qu’on a été impliqué dans quasi tout ce qui passait dans le domaine de l’entrepreneuriat à Wallonie et à Bruxelles, depuis un an. Que ce soit les Start Academy, les DIV Dragon… Nous avons ainsi déterminé un certain nombre de règles qui nous apparaissaient comme importantes. Première chose, il faut stimuler, bousculer pour aller chercher ces gens qui ont des idées.

Nous l’avons bien constaté avec le concours Elle Business Award qui avait pour but d’encourager l’entrepreneuriat au féminin et qu’Idealy a organisé, en partenariat avec le magazine Elle. En quinze jours, nous avons enregistré plus de 100 candidatures de projets. Alors qu’on dit qu’il n’y a que 4% de femmes entrepreneurs, ce concours a fait la démonstration que ce n’est pas vrai, qu’il y a plus de femmes entrepreneurs qu’on ne pense et qu’il fallait simplement aller les chercher.

Fostering Ideas défendra des projets répondant aux mêmes critères, c’est-à-dire des choses qui n’existent pas encore ailleurs. On ne concurrencera pas des initiatives qui viennent du MIC [Microsoft Innovation Center] ou du BetaGroup, comme leurs Start-up Weekends. On fera des choses différentes. On proposera un contexte, un encadrement, un accompagnement qu’on ne trouve pas ailleurs. On va plutôt intégrer un ensemble de choses. On sera dans la cohérence. On a par exemple constaté qu’il était important, pour les start-ups, de définir très rapidement une vision claire, d’écouter le marché, de déterminer ce qui fonctionne et d’utiliser ces ressorts. Dans ce domaine, un certain nombre de méthodes américaines existent- “lean start-ups”, business model generation…- qui permettent à des gens qui ont des idées de stimuler leur réflexion intellectuelle, pour les forcer à se poser les bonnes questions, ne pas perdre du temps et ne pas dépenser de l’argent pour rien. Et ce, en validant un certain nombre d’hypothèses au préalable.

Vous utiliser les expressions “bousculer l’environnement, sortir de la torpeur”. Qu’entendez-vous par là, quelle sera donc cette différence?

Tout d’abord, nous proposerons un encadrement de haut niveau, efficace, par des mentors aguerris, ayant fait l’expérience de la création d’entreprise, tels Roald Sieberath, Benoît Lips ou moi-même, et par des “néo-entrepreneurs”, tels Xavier Damman [Storify, Publitweet] ou Frédéric della Faille [CheckThis] qui ont quelques années d’avance, en termes de cycle de vie, sur les starters que nous coacherons.

Cet encadrement se fera par ailleurs dans un esprit de co-création et de co-location. Les six équipes se côtoieront sur un même plateau, pourront communiquer, s’échanger des idées. La proximité, le fait de côtoyer d’autres projets ont des effets bénéfiques. On constate en effet que les porteurs de projets apprennent beaucoup des leçons, bonnes ou mauvaises, qu’ont tirées d’autres entrepreneurs. Le temps passé ensemble va en outre les souder.

Autre particularité de Nest’up: les actions et mesures seront encouragées et exécutées à un rythme soutenu. En cela, nous nous distinguons par exemple des boostcamps du MIC qui s’étalent sur l’année, proposent du coaching plus épisodique, à espaces réguliers. Nest’up se déroulera en résidence, 5 ou 7 jours sur 7. En full-time. Cela permettra aussi de voir leur degré de motivation, de déterminer qui est capable de faire quoi…

Le principe est en effet celui de l’immersion totale…

Les porteurs de projet vivront 9 semaines pleines, en résidence au Smart Work Center de l’Axisparc [Mont-Saint-Guibert, à la lisière de Louvain-la-Neuve]. Du lundi matin au vendredi soir. Et pourront prolonger en week-end s’ils le désirent. Si on n’induit pas de l’intensité et de la rigueur, on n’aboutit pas. Sans cette intensité et cette rigueur, si on ne mesure pas régulièrement, toutes les semaines, ce qui se passe, le porteur de projet a trop vite tendance à retourner vers sa zone de confort ou à refuser d’affronter l’obstacle. A faire trois fois le tour de la montagne avant de grimper.

“Introduire de l’intensité et de la rigueur pour que les entrepreneurs ne fassent pas trois fois le tour de la montagne avant de se lancer dans l’ascension.”

Cette volonté de rigueur se retrouve à divers niveaux. Celui de la sélection des projets, tout d’abord. Les projets devront avoir une valeur innovante manifeste. Le projet doit être porté par une équipe de 2 ou 3 fondateurs. Une vraie équipe. Pas une constituée au débotté, avec l’une ou l’autre pièce rapportée pour faire illusion. L’équipe qui se présente doit déjà être constituée, avec des personnes compatibles, aux compétences complémentaires puisqu’aussi bien l’une des exigences est la pluridisciplinarité.

Le projet devra reposer sur une idée déjà bien structurée, pouvant déboucher sur un prototype au bout des 9 semaines. Un critère favorable est par exemple d’avoir déjà réalisé un premier prototype ou une première étude de marché. Pas de projet du genre de ceux que mènent les spin-offs dont l’objet relève d’un travail à plus long terme avec des perspectives de concrétisation à 2 ou 3 ans.

S’y ajoutent encore des critères de sélection plus “soft”, du genre passion, esprit entrepreneurial et d’initiative, volonté d’apprendre, vision au-delà de la Belgique.

 

Programme du Nest’up

Les neufs semaines – du 17 septembre au 16 novembre – seront structurées en plusieurs phases.

La première, d’une durée de 3 semaines, permettra de valider la pertinence du marché que vise la start-up et d’évaluer son produit.

Suivra la phase de développement (produit ou prototype) avec, en parallèle, l’exercice de préparation au ‘pitch’ que les start-ups devront faire au panel d’investisseurs potentiels lors du Demo Day du 16 novembre.

 

La rigueur sera également présente dans la guidance apportée aux porteurs de projets, pour les amener à se poser les bonnes questions, dès le départ. Nous recourrons à des méthodes qui ont fait leurs preuves. Notamment parce qu’il n’est pas question de faire n’importe quoi avec les fonds publics octroyés. Nest’up s’inspirera notamment des recettes et méthodes TechStars ou de celles d’autres accélérateurs du réseau GAN (Global Accelerator Network) auquel a adhéré Fostering Ideas. Au besoin, elles seront adaptées aux réalités locales. Cet exercice d’aménagement interviendra avant le démarrage de l’accompagnement, à la mi-septembre.

Rigueur encore exigée dans le comportement des entrepreneurs accueillis en résidence. Prière pour eux, par exemple, de respecter horaires et consignes. Une exigence imposée, tout naturellement aussi, aux mentors et experts. Une charte de bonne conduite sera d’ailleurs définie que tous les participants devront signer, dès le départ. En cas de coup de canif au contrat, ce sera l’exclusion.

Pourquoi vous êtes-vous tournés vers les pouvoirs publics pour financer cette initiative?

Nous sommes heureux que Creative Wallonia ait répondu présent. L’apport de fonds publics était, à nos yeux, une condition majeure pour pérenniser le projet et pour pallier à l’un des gros obstacles que nous percevons pour les start-ups. A savoir que les autres accélérateurs exigent de l’equity, sous forme de parts du capital, plus ou moins importantes, voire sous forme de paiement du coaching qui est proposé. Nous aurions pu nous tourner vers des business angels, des fonds d’investissements, des invests publiques ou un acteur tel Belfius mais tous auraient exigé de l’equity. Nest’up sera entièrement gratuit pour les participants sélectionnés. Mieux, ils bénéficieront de nombreux avantages pendant et après le déroulement du programme. Nous avons en effet conclu divers parteriats et continueront d’en conclure.

Par exemple?

La mise à disposition d’outils du genre “lean canvas”, la mise à disposition gratuite de la plate-forme de veille collective et de partage d’informations KnowledgePlaza, un accès à la plate-forme de financement collaboratif MyFirstCompany, l’aide d’une grande entreprise de consultance stratégique qui les épaulera pour une étude de marché, divers outils mis à disposition par Storify, Djengo, CheckThis…

Pour moi, les fonds publics sont une voie mais il faut le faire de manière raisonnable. Ne pas reproduire ce qui s’est passé aux débuts des années 2000 quand l’argent était utilisé pour financer n’importe quoi. Il faut avoir une vision économique des risques.

Olivier Verbeke: “Pour moi, les fonds publics sont une voie mais il faut le faire de manière raisonnable. Il faut avoir une vision économique des risques.”

Avec le budget (200.000 euros) dont nous bénéficions, on fait d’habitude vivre une start-up de 7 à 10 personnes pendant 3 mois. Nous, avec le même budget, nous allons en créer 6. Des start-ups suffisamment fortes, avec des produits testés, validés, qui auront tenu le coup face aux exigences de mentors qui ont l’expérience de leur côté. Avec, en plus, la traction de la plate-forme de storytelling qui aura été suivie par les médias, notamment, en temps réel. A partir de là, ces 6 start-ups seront armées pour défendre efficacement leurs chances face aux investisseurs et au marché.

 

Creative Wallonia: au-delà du financement

Le budget débloqué dans le cadre du programme Creative Wallonia n’est évidemment pas négligeable (200.000 euros, se répartissant comme suit: 150.000 serviront à l’accélérateur proprement dit, 50.000 financeront le projet de storytelling). Mais au-delà de l’apport financier, c’est la philosophie d’ensemble dont l’asbl Fostering Ideas compte exploiter au maximum. “Il s’agira réellement, entre les deux parties, de “co-création”. Creative Wallonia sera là, à nos côtés, lorsque le besoin s’en fera sentir. Et ce, sous forme d’échanges d’idées, de pratiques avec d’autres intervenants et organismes qui ont émergé grâce à Creative Wallonia. Par exemple, l’ID Campus à Liège. Le Demo Day se déroulera en pleine Semaine de la Créativité, des invitations à l’événement émaneront des équipes Creative Wallonia. L’intention est de favoriser au maximum la coopération afin de susciter la créativité”, souligne Olivier Verbeke.

 

Un mot sur ce concept du “storytelling”?

La plate-forme [hébergée sur www.nest.lesoir.be] racontera l’expérience des entrepreneurs. Elle accompagnera l’expérience au quotidien et sera une ouverture sur le monde. Elle a aussi pour but de susciter des vocations, d’attirer des gens désireux d’aider les entrepreneurs. Elle sera le lieu de diffusion des best et worst practises. Nous engagerons la discussion, en sollicitant les feedbacks. Nous raconterons et sensibiliserons afin de créer un cercle virtueux qui ira s’amplifiant. La plate-forme de storytelling sera aussi un outil de responsabilisation des différents acteurs impliqués. Et elle sera strictement neutre, sans publicité. C’est pour cela aussi que nous voulions des fonds publics. Tous les contenus seront en outre mis à disposition, dans l’esprit des creative commons.

Comment jugera-t-on du succès de l’accélérateur Nest’up?

Ce qui se passera lors du Demo Day sera déjà un indicateur majeur. Au-delà, il y aura la visite aux Etats-Unis, cette tournée que nous organiserons avec les 6 start-ups [elles auront l’occasion de ‘pitcher’ à Boulder à un événement TechStars devant des investisseurs américains et devant David Cohen lui-même, fondateur et CEO de TechStars]. L’objectif est de faire sortir les entrepreneurs du pays. Les voyages forment le caractère [Sourire]. Nous leur permettons ainsi d’aller se confronter au monde, de découvrir qu’ils peuvent vendre leurs produits en France, aux Etats-Unis, en Espagne… L’objectif est de leur ouvrir l’esprit. Cela peut contribuer à leur attirer des investissements internationaux, même si, au stade où ils en seront, il sera sans doute plus aisé d’attirer des capitaux belges. Mais c’est là aussi l’une des raisons d’être de l’accélérateur: éviter la fuite des beaux projets à l’étranger, éviter que ces projets, dès lors, ne soient plus des projets wallons et ne participent pas à développer l’économie et à créer des emplois en local.

“L’une des raisons d’être de l’accélérateur est d’éviter la fuite des beaux projets à l’étranger, qui, dès lors, ne sont plus des projets wallons et ne participent pas à développer l’économie et à créer des emplois en local.”

L’argent que les start-ups pourront récolter sera un indicateur de succès de la méthode. Avec d’autres initiatives existantes, il est parfois difficile de mesurer après coup comment les choses se sont déroulées et quel est le résultat. Nous, nous jouerons la carte de la transparence. Et après 3 mois, on saura exactement combien de start-ups ont été créées et quelle est la qualité des projets. Notre espoir est en outre que les interactions entre les 6 projets se pérennisent, qu’ils continuent de co-créer et de s’épauler par la suite, face aux difficultés.

Qu’attendez-vous, d’une manière générale, des pouvoirs publics en termes de support et de financement?

Pour ce qui est de Creative Wallonia- qui est un beau programme-, j’imagine que les pouvoirs publics auront envie que tout ce qui est a été stimulé et rendu possible grâce au programme se débrouille d’eux-mêmes à terme. Ce qui leur permettra de s’effacer une fois leur rôle joué. L’idéal, le meilleur des mondes, serait sans doute de pouvoir se passer de tous ces fonds publics. Mais d’ici là, ils restent nécessaires. Et par des initiatives telles celles que nous engageons aujourd’hui, ils auront rendu les projets possibles.

Par ailleurs, j’abonde dans le sens de ceux qui disent qu’en période de crise, il ne faut pas aller vers l’austérité- comme l’ont fait par exemple la Grèce ou l’Espagne. Il faut agir autrement. Pour moi, les fonds publics sont une voie mais il faut le faire de manière raisonnable. Ne pas reproduire ce qui s’est passé aux débuts des années 2000 quand l’argent était utilisé pour financer n’importe quoi. Il faut avoir une vision économique des risques. Et ce ne sont pas les outils qui manquent. Il est par exemple possible de prototyper un logiciel sur papier avant d’écrire la moindre ligne de code. Il faut aussi procéder par multiples boucles itératives.

Mais mon rêve est de créer un fonds pour start-ups afin de pouvoir leur amener de l’argent quand elles en ont besoin, permettre à un entrepreneur de se lancer, de réaliser lui-même son rêve de quitter son emploi, de ne pas se sentir obligé de rentrer dans une grosse boîte. Cet argent, en Belgique, manque. A combien de retours à des rôles de consultant n’assiste-t-on pas après 3 mois de start-up, tout simplement parce que l’entrepreneur ne parvient plus à payer son loyer ou a charge de famille?

Pour créer ce type de fonds, il faut d’abord créer la traction, attirer et monter de bons dossiers. C’est un moyen d’amorcer la pompe.

 

Juste un commencement

Nest’up et la plate-forme de storytelling ne sont que les deux premières initiatives de Fostering Ideas.

Nest’up fait office d’expérience-pilote. Si elle aboutit, l’intention est de la répéter à plus grande échelle dès 2013. Avec l’espoir d’accueillir et accélérer 10 ou 12 start-ups lors de la prochaine session. Ce sera le troisième étage de la fusée. “‘Le succès de l’expérience-pilote Nest’up permettra de viser plus haut. Une fois que nous aurons prouvé que c’est possible, via l’accélérateur, nous passerons à l’étape 3 du “réacteur”, c’est-à-dire de la création d’un accélérateur permanent.

Et l’asbl Fostering Ideas ne compte pas s’arrêter là. Un quatrième projet est d’ores et déjà à l’étude, qui visera un public différent mais toujours dans une optique d’innovation et de “bousculement”.