Un mémorandum Digital Wallonia Champions pour quoi faire?

Hors-cadre
Par · 11/03/2020

L’été dernier, la deuxième édition de l’“Université d’Eté” des Digital Wallonia Champions avait été placée sous le triple thème de la responsabilité sociétale, des enjeux participatifs et démocratiques, et de la maîtrise et souveraineté des usagers ou destinataires par rapport au numérique.

En était ressortie une sorte de liste à la Prévert d’idées, de “recommandations” adressées au futur gouvernement (les dés politiques, fin août 2019, n’étaient pas encore jetés), touchant à une kyrielle de domaines. Relire à ce sujet l’écho que nous en faisions au lendemain de cette Univ’ estivale.

Les résultats des cogitations des “Champions” ont alors été transmises à l’AdN pour synthèse, avant transmission au ministre de l’Economie et du Numérique – en l’occurrence Willy Borsus. Ce dernier a symboliquement pris livraison du Mémorandum début décembre. Un Mémorandum qui comporte 28 “propositions prioritaires” que vous pouvez découvrir par le menu, avec remise en contexte, via le site de Digital Wallonia.

Propositions exploitables ou voeux pieux?

Qu’en fera le ministre? En quoi certains éléments de ce “mémorandum” participatif se retrouveront-ils dans le Plan wallon du numérique 2019-2024 et dans les projets adoubés par les décideurs de l’Elysette? Il faudra encore attendre pour le découvrir.

Mais une chose semble acquise: dans la liste des recommandations et avis, les thèmes et points potentiels d’action qui dépendent ou coïncident avec les prérogatives régionales sont en minorité. “In fine, nombre de propositions relèvent du fédéral pu des Communautés, notamment en matière d’enseignement [insertion de l’apprentissage numérique et/ou algorithmique, notamment], d’autres acteurs publics voire sont des accents généraux [concernant notamment des aspects vie privée et contraintes éthiques]”, relève Pierre Rion, président du Conseil du Numérique?

Exemple-type d’idée certes vertueuse mais dont on voit mal comment ou pourquoi la Région est sollicitée: la création d’une autorité de contrôle assurant “la transparence des algorithmes et des données”, du moins celles ayant trait et servant de base aux décisions politiques. Certes, le local et le régional – en termes de décisions – est concerné mais faut-il pour autant créer un “étage” supplémentaire sous la forme d’une “autorité de contrôle” régionale? Quelle autorité ou légitimité aurait-elle?

L’AdN souligne d’ailleurs que “le travail de cette autorité, composée d’une équipe pluridisciplinaire doit être guidé par une approche éthique, informatique et juridique.”

Le but, en tout cas, est de procurer un mécanisme objectif, reconnu, favorisant la mise en oeuvre d’une autre recommandation. A savoir, une “documentation des décisions politiques […] Le lien entre données et décisions politiques doit être plus transparent. Les décisions politiques doivent être étayées par des rapports rendus publics. Ces rapports émanant des administrations et des autres organismes publics doivent contenir la provenance, la nature et l’analyse des données qui ont conduit aux décisions politiques.”

Des quelques considérations ci-dessus, faut-il en conclure que l’Université d’Eté 2019 fut mal pensée? Pas forcément. En effet, les sujets qui avaient été mis à l’ordre du jour – identités et démocratie ; obsolescences et transformations ; résilience et souveraineté – sont dans l’ensemble fondamentaux, des fils rouges sous-tendant l’esprit, la “culture”, le potentiel de pénétration de la “chose numérique” dans la société. Au sens large du terme…

Par contre, comme le souligne Pierre Rion, il y avait peu d’accroches possibles avec le monde de l’entreprise, “peu d’accents concernant l’industrie, les PME” et, d’ailleurs, peu de profils “représentatifs des acteurs du numérique”.

Un effet au niveau du Conseil du Numérique

Quoi qu’il en soit, le Mémorandum a donc été remis au ministre, fin décembre. Abstraction faite des échos qu’on pourrait en retrouver dans les actions du Plan du numérique, il y aura déjà un premier impact… au niveau du Conseil du Numérique. En effet, la composition du Conseil est en passe d’être modifiée pour accueillir une personne dont le rôle sera de veiller à tous les aspects et enjeux davantage sociétaux, environnementaux et autres “soft dimensions” du numérique. La nomination de cette personne a connu un petit retard mais ne saurait tarder. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir, une fois que son identité sera dévoilée.

Là où la Région est concernée…

Il y a toutefois, dans les recommandations que les Digital Wallonia Champions ont listées dans leur mémorandum, quelques éléments qui relèvent bel et bien des prérogatives et compétences de la Région.

Par exemple, l’inclusion de critères de “pondération positive” pouvant favoriser le recours à des solutions open source dans les cahiers des charges publics ou une exigence qui serait faite aux fournisseurs, dans le cadre d’appels d’offres, de déposer leur code source “afin d’assurer la pérennité des développements. “Ce sont là des sujets sur lesquels la Région peut avoir la main ou qu’elle peut influencer”, souligne Pierre Rion.

De même – à condition de sortir du marécage où le dossier s’embourbe depuis plus de deux ans -, la Région peut (doit) jouer un rôle dans la promotion de l’open data, via le principe de “rétrocession par défaut des données à l’administration publique”.

Que dit le Mémorandum à ce sujet? “A l’échelle régionale, une charte pourrait inciter les villes à récupérer la souveraineté sur les données exploitées, par exemple au travers d’API mutualisées. De telles capacités existent en Wallonie. Il manque à ce jour la volonté politique de fédérer les ressources wallonnes autour de cet objectif.”

Outre les leviers d’influence à faire jouer en matière d’open source et d’open data, les marchés publics pourraient également adopter une démarche plus volontariste en matière de green IT. Comment? En “imposant des critères objectifs Green IT dans les appels d’offres.

En imposant de tels critères d’attribution, le secteur public dispose d’un levier évident auprès des soumissionnaires, en incitant ceux-ci à respecter un cahier des charges visant à l’éco-conception numérique “by design”. Parallèlement, l’introduction d’un label Green IT permettrait de mettre en évidence les entreprises qui suivent un modèle durable.”

Toute la question – et la difficulté – bien entendu résident dans la définition des conditions de ce label et dans l’évaluation objective de l’impact environnemental qu’a chaque solution (matériel, logiciel…). Tâche immense tant les paramètres sont innombrables – et mouvants. Une véritable gageure si l’on veut mettre en oeuvre un instrument efficace et pertinent…

Quelques autres propositions – en vrac…

Parmi les 28 “propositions prioritaires” listées dans le Mémorandum concocté par l’AdN sur base des travaux des DW Champions, figurent les quelques idées suivantes. Certaines sont originales, voire ambitieuses. D’autres tiennent parfois du “wishful thinking” ou laissent augurer d’une concrétisation (au minimum) difficile, parfois pour cause de contours flous. Avec aussi, pour certaines, cette réflexion déjà exprimée que le parcours éventuel de la proposition doit s’effectuer en dehors du champ de compétences de la Région…

– au rayon “numérique pour la démocratie”: création de sites de “fact checking” et de visualisation de données, avec pour objectif d’“informer les citoyens et les organisations [entreprises, acteurs publics, associations…] de manière objective sur l’ensemble des politiques publiques, et ainsi lutter contre les fake news”
en matière de vie privée et de “maîtrise” sur les données: “créer un code de conduite “données” équivalant à celui du code de la sécurité routière. L’objectif est que chaque citoyen ou groupe puisse évaluer les conséquences avérées ou éventuelles des choix qu’il pose en matière de données.”
au chapitre stratégie durable et éco-conception: “Éduquer à une utilisation limitée des ressources et à l’optimisation de la conception logicielle. […] Les développeurs et les consommateurs ne sont pas conscients de l’impact réel de leurs usages”. D’où l’idée, d’une part, d’“éduquer pour sensibiliser les générations futures” et, d’autre part, d’“attirer l’attention des concepteurs sur une utilisation limitée des ressources et sur l’optimisation de leurs algorithmes […] sans pour autant transiger sur les fonctionnalités ou les performances.” N’ayant aucune prise réelle sur la manière dont les concepteurs, développeurs, fabricants mènent leur barque, “attirer leur attention” semble à la fois assez minimaliste et sans doute donquichottesque… Mais vertueux et à encourager, convenons-en.
– économie circulaire: “Favoriser le développement de nouveaux modèles économiques notamment basés sur les systèmes “As a Service” et de partage – par exemple : intensifier le modèle du dernier kilomètre pour la distribution des produits”.