“Maturité numérique” des entreprises wallonnes: on attend toujours le vrai déclic

Hors-cadre
Par · 24/10/2018

L’AdN (Agence du Numérique) vient de publier l’édition 2018 (chiffres de 2017) de son “Baromètre de maturité numérique des entreprises wallonnes”. Il y a deux ans, lors de la publication du précédent Baromètre, nous titrions: “Baromètre frileux”. Le diagnostic que pose cette fois l’AdN est que des injections de vitamines demeurent nécessaires…

Il y a certes progrès mais encore nettement insuffisant, essentiellement dans les rangs des TPE et des plus petites PME. Le degré de “maturité numérique” reste en effet largement perfectible.

Petit rappel avant de pousser plus loin: l’AdN évalue la “maturité” numérique d’une entreprise en combinant une série de critères d’analyse dans 4 axes différents – équipements et infrastructure numériques, numérisation de l’organisation du travail, numérisation des flux d’informations et des processus métier, et enfin numérisation de la stratégie (ventes, services à la clientèle…).

Manque de vision intégrée

Score global: 25 sur 100 (voir encadré ci-dessous au sujet du côté tout relatif de cette échelle).

En 2016, lors de la publication de son premier baromètre de “maturité numérique”, l’AdN expliquait que le score de 100 serait l’idéal absolu. Autrement dit, une société qui serait numériquement parfaite, utiliserait tous les outils et processus numériques possibles et imaginables. Irréaliste, surtout pour de petites sociétés. Une échelle s’arrêtant à 50 serait donc sans doute plus logique. En Wallonie, on en était donc à un petit 21 sur 50.

Deux ans plus tard, on a réussi à atteindre la moyenne, sans plus: 25 sur 50.

En l’espace de deux ans, on a gagné 4 points. Voici deux ans, le score global moyen était en effet de 21 sur 100. 

On est donc loin d’un bond en avant et, tout aussi malheureusement, les progrès ne se sont pas manifestés là où ils seraient les plus encourageants. Le gain majeur intervient en effet du côté des équipements et infrastructures numériques (connexions Internet, disponibilité de matériels…). Gain: 9 points.

Dans l’axe #2 (organisation et collaboration) qui se situe un cran plus haut dans la chaîne des “vertus”, le gain se tasse à 3 points. Idem dans l’axe numérisation des processus. Quant à l’axe le plus vertueux et significatif (stratégie numérique d’entreprise), c’est le statu quo.

“Dans la grande majorité des cas, les entreprises n’ont pas encore réussi à définir une vision intégrée dans la perspective d’objectifs précis. Elles se contentent encore de juxtaposer des outils et solutions numériques”, estime Hélène Raimond, “ambassadrice” Transformation numérique à l’AdN. 

Une affirmation qu’elle illustre notamment par ceci: “41% des entreprises [toutes tailles confondues] ont un site Internet, une progression d’un point par rapport à 2016. Ce chiffre est de 80% du côté des sociétés employant plus de 10 personnes. 

47% des entreprises sont présentes sur au moins un réseau social, soit une amélioration de 7 points. Mais en dépit de ces scores, seulement 16% des entreprises wallonnes déclarent pratiquer le digital marketing.

Décryptage de quelques chiffres

Equipements, automatisation des processus métier, e-commerce, compétences et formations…

Réseaux sociaux

47% des entreprises sont présentes sur au moins un réseau social, soit une amélioration de 7 points.

Le réseau favori demeure, de loin, Facebook. Et une certaine forme de maturité semble se faire jour, les petits e-commerces disposant désormais davantage d’une page “pro” là où, voici deux ans, l’amalgame était encore souvent fait avec la page personnelle du commerçant. “On constate même que, dans certains cas, la page Facebook Pro remplace un blog.”

Par contre, preuve là aussi que les (petites) sociétés et PME ont besoin de conseils et d’accompagnement, elles n’ont pas encore pris pleinement conscience de l’impact qu’a la nouvelle stratégie Facebook sur la visibilité du propriétaire de la page (visibilité nettement moindre si on n’ouvre pas les cordons de sa bourse). “Des centaines voire milliers de pages Facebook professionnelles sont devenues moins visibles. Il sera intéressant lors de notre prochain baromètre de voir si les sociétés wallonnes en ont pris conscience et ont réagi, par exemple – comme certaines le font déjà – en se tournant vers de la publicité sur LinkedIn, dont les algorithmes fonctionnent différemment, faisant de ce réseau social un bon canal…”, déclare Hélène Raimond.

Equipements et infrastructure

Pas de grande progression en nombre de sociétés “connectées à Internet”. Le chiffre était de 90% en 2016. Il est deux ans plus tard de 91%. Toutefois… environ un quart des 9% de “réfractaires” ne sont pas pour autant des villages gaulois irréductibles. Pour ces 2,25%, il y a bel et bien connexion Internet – mais via la connexion personnelle du chef d’entreprise.

Le mobile continue de progresser: 53% des travailleurs wallons disposent d’un smartphone professionnel, 40% d’un ordinateur portable appartenant à l’entreprise, et 19% d’une tablette, elle aussi mise à disposition par la société.

Automatisation des processus

Deux chiffres pour souligner l’ampleur des progrès encore à réaliser:
si 50% des entreprises wallonnes disent procéder à des achats par voie électronique, ce processus de commande est encore loin d’être intégré dans un réel engrenage dématérialisé puisque… 63% des entreprises doivent ensuite réencoder manuellement les commandes dans leur comptabilité
– 11% des entreprises wallonnes vendent en-ligne (ce qui reste trop peu) mais, pire, moins d’un quart d’entre elles (23%) procèdent via des commandes électroniques (EDI, EDI light, formulaire en-ligne sur site Internet…)
– les connexions et interactions B2B ne sont encore présentes que chez 15% des sociétés (en amélioration de 3 points par rapport à 2016)
– dans la catégorie TPE et petites PME (moins de 10 personnes), tout ce qui est ERP, CRM & co demeure quasiment anecdotique. Taux d’équipement: ERP: 10%; CRM: 13%; SCM: 11%; GED: 10%, EDI: 4%
– les PME de plus de 10 personnes font sensiblement mieux: ERP: 46%; CRM: 40%; SCM: 38%; GED: 21%, EDI: 14%.

Des sites encore trop passifs

On l’a vu, 41% des entreprises [toutes tailles confondues] disposent d’un site Internet – ce qui est perfectible. Qui plus est, 58% d’entre elles lui confèrent à leur site qu’un rôle purement informatif. Même si, en guise d’informations, on y trouve désormais davantage de rubriques Catalogue de produits/services: gain de 12 points en deux ans.

Les sites réellement interactifs et transactionnels demeurent minoritaires: 13% seulement permettent de commander en-ligne, 16% permettent de faire un devis ou une simulation.
Et l’exploitation des données que génère un site Internet reste, elle aussi, largement aux abonnés absents: 67% des sociétés avouent ne faire… aucun suivi des visites.

Seulement 13% des sites Internet de sociétés wallonnes [une moyenne pour les diverses tailles de sociétés] permettent de commander en-ligne, 16% permettent de faire un devis ou une simulation.

Seulement 23% disent analyser le nombre de visiteurs uniques; 19% s’intéressent activement au référencement naturel; et 6% pratiquent le “profilage”. “A nouveau, preuve éclatante qu’il y a un important effort nécessaire en coaching et formation. Ne pas analyser les visites d’un site, c’est se priver de la connaissance de sa clientèle et passer à côté de la détection d’opportunités”, rappelle Hélène Raimond.

Formation

C’est l’un des principaux talons d’Achille – ou l’une des lacunes majeures. D’une manière générale, le processus trop lent de “maturation” numérique des entreprises wallonnes nécessite que l’on prévoie davantage de formation. Ce sera l’objectif des différents programmes lancés ou sur le point d’être lancés – voir à ce sujet notre autre article.

Mais ce ne peut être qu’un début et, d’une manière toute aussi générale, les entreprises elles-mêmes doivent prendre le taureau par les cornes.

Les chiffres sont d’ailleurs éloquents: seulement 10% des sociétés ont formé “au moins” un collaborateur à une “matière numérique” en 2017. C’est très – très – peu: “au vu de l’impact du numérique sur les métiers et de la pénurie de compétences, il faut une formation continue.”

Mais il y a plus inquiétant encore. Qu’entend-on en effet par “matière numérique”? “Très souvent, les formations dispensées concernent l’usage des outils les plus courants – Excel, Powerpoint… – ou la manière de développer un site Internet en utilisant un canevas standard et de l’alimenter en contenu. Il y a très peu de formations pour l’apprentissage ou la maîtrise d’outils tels que de l’ERP…”, commente Hélène Raimond.

Autre chiffre qui ne rassure pas à ces yeux: seules 16% des entreprises disent avoir un plan de formation structuré. “C’est la preuve, à nouveau, que les entreprises wallonnes n’ont pas de vision globale sur leurs besoins, sur les compétences numériques dont elles ont besoin. Il n’y a pas de stratégie, liée à un business plan formalisé, correspondant à des objectifs à moyen terme.” La taille des entreprises n’y serait pas étrangère

A qui s’adressent les sociétés pour ces formations? Les centres de compétences arrivent en tête, suivis de formateurs indépendants mais certifiés (programme Chèques Formation de la Région) ou encore de l’Ifapme. Les formations fournies par des acteurs (purement) privés seraient beaucoup moins utilisées.

Pour en revenir au chiffre, faiblard, de 10%, l’un des freins évoqués par Hélène Raimond est la charge administrative que représente encore pour une société le fait de rechercher et d’inscrire ses collaborateurs à une formation. Le parcours est encore sinueux. Ne serait-ce pas une bonne idée, s’interroge Hélène Raimond, d’insérer le site Chèques-formations dans le site Chèques-Entreprise, au lieu de devoir passer par le Forem? Et tant qu’on y est établir un (hyper-)lien direct avec le nouveau site Numérisa?

“Il faut rendre la formation professionnelle plus accessible, plus agile, prévoir des modules courts, en continu, accueillant de participants en nombre limité (pour plus d’efficacité). Les fédérations sectorielles devraient intervenir afin d’identifier et de mutualiser les besoins et, dans la foulée, organiser des séances de sensibilisation et de formation (voir à ce sujet notre autre article). Il faudrait imaginer des centres de formation sectoriels.”