L’open source médical, pour retrouver confiance, maîtrise et confidentialité?

Hors-cadre
Par · 15/01/2020

Fin d’année dernière, l’équipe du projet Orthanc organisait sa première “user+developer conference”, la couplant avec la conférence utilisateurs GNU Health. S’étalant sur trois jours (avec un volet réservé à des ateliers de développement, un peu à la manière d’un hackathon), la conférence se tenait au CHU de Liège où le projet Orthanc (plate-forme open source de gestion, d’échange et d’accès aux imageries médicale) a vu le jour et a conduit à la création de la spin-off Osimis.

Des communautés complémentaires

Le but était triple: tisser des liens entre ces deux communautés open source, toutes deux dédiées à des solutions (e-)santé, encourager des collaborations et complémentarités, et faire grandir la communauté Orthanc.

Lors de la conférence, des développeurs et utilisateurs Orthanc et GNU Health se sont donc côtoyés, ont échangé et appris à se connaître. “L’interaction entre les deux groupes a été bénéfique”, indique Sébastien Jodogne, à l’origine de la solution Orthanc.

Les participants (des développeurs de logiciels libres, des sociétés de services, des utilisateurs finaux, des chercheurs universitaires) venaient des quatre coins de la planète, d’une quinzaine de pays pour être exact: Brésil, Etats-Unis, Suède, Espagne, Maroc, Malaisie, Burkina Faso… 

Les deux solutions open source visent un même secteur (le médical) mais occupent des terrains un rien différent. Sébastien Jodogne voit dans Orthanc une solution davantage “industrielle”, destinée aux hôpitaux, quelle que soit leur contexte socio-économique. GNU Health, pour sa part, regroupe les fonctionnalités de dossier médical informatisé et de système d’information hospitalier. Il est le plus souvent utilisé dans les pays en voie de développement, où GNU Health promeut une vision dite de “médecine sociale”, de première ligne, dans des zones reculées, peu accessibles, par exemple en forêt amazonienne. Cette optique plus foncièrement “sociale” fait de l’outil informatique, un “instrument d’amélioration de la vie des personnes défavorisées”.

A Liège, le but de la conférence conjointe de même d’ailleurs que les sollicitations qui ont émané spontanément des participants était de tisser davantage de passerelles entre les deux communautés. “Il y a clairement pour nous une place à prendre en ce sens sur le marché, pour travailler davantage en mode trans-projet, en s’appuyant sur les spécificités de l’open source.”

Le logiciel libre, arme éthique dans le monde médical?

La conférence Orthanc/GNU Health était un concentré d’inconditionnels du logiciel libre. Dans une ambiance quasi militante et des messages et prises de position tendant à démontrer que dans le secteur médical plus sans doute encore que dans d’autres secteurs, l’open source peut être porteuse de progrès, de collaborations fructueuses, de partage de connaissances et de retour à la maîtrise des outils technologiques. Avec, en filigrane, le souci d’éthique, de transparence et de “prouvabilité” – trois défis qui sont plus que jamais d’actualité.

Aux yeux de Sébastien Jodogne, il est par exemple “plus que jamais important, à l’heure de la santé électronique, de favoriser des discussions entre des personnes qui viennent de disciplines différentes.”

“Souvent réduite à un simple outil d’encodage de prestations à des fins de contrôle, perçue comme un vecteur de déshumanisation des soins de santé à travers l’émergence de l’intelligence artificielle, régulièrement médiatisée du fait de fuites de données médicales, et critiquée à cause du manque d’ergonomie ou de fiabilité de certains systèmes, l’informatique médicale peine à convaincre parmi les praticiens”, écrivait-il dans une tribune récente, publiée sur le site Numerikare.

La solution technologique, complétait-il lors d’un entretien qu’il nous a accordé, “est souvent un outil imposé au praticien. Il s’agit de redonner à ce dernier le contrôle de ce que l’IT permet de faire.”

Et cet inconditionnel du logiciel libre estime que cela passe par l’open source. D’autres intervenants lors de la conférence liégeoise tapaient également sur ce clou déjà bien martyrisé mais pas encore bien enfoncé.

Le Dr Axel Braun, l’une des chevilles ouvrières de la communauté GNU Health, mettait ainsi le doigt sur des problèmes de vérifiabilité des codes traditionnels ou encore du sort qui est réservé aux données que collectent des systèmes santé en tous genres. “La plupart des applis santé installées sur nos smartphones sont gratuites mais nous payons en fait avec nos données sans même que nous le sachions. Il nous faut faire confiance dans ces applis [et leurs éditeurs] mais comme il est impossible de vérifier quoi que ce soit, cela relève plus de la croyance aveugle.”

Il cite en exemples plusieurs “couacs” qui ont touché certaines applis. “En Allemagne, 16 compagnies d’assurance paient notamment pour l’usage de l’appli closed source Vivy, qui est gratuite. Le jour suivant son lancement, un problème majeur de sécurité s’est posé: les données, en ce compris des documents échangés entre patients et médecins, ont “fuité” tout simplement en raison d’un problème de gestion de clés qui rendait possible la lecture de la clé de chiffrement du médecin…”

Dr. Axel Braun (GNU Health): “La “security by obscurity” n’est pas une option. Nous avons besoin d’une pleine maîtrise sur nos propres logiciels afin des garantir une réelle souveraineté numérique.”

Autre appli gratuite: Ada Health, application de suivi de symptômes via dispositif connecté. Problème: les données collectées sur les patients sont partagées avec… Facebook.

“Les données de santé”, avertissait-il, “sont un véritable aimant en raison des perspectives de monétisation qu’elles offrent. Cela pose un sérieux problème en termes de confidentialité des données des dossiers médicaux, des pacemakers, des résultats de recherche, avec des risques majeurs de piratage des mégadonnées qui seront revenues à des tiers, en ce compris à des groupes de pirates chinois. La “security by obscurity” n’est pas une option. Nous avons besoin d’une pleine maîtrise sur nos propres logiciels afin des garantir une réelle souveraineté numérique.”

Et cela passe par une série de principes de base, notamment la “possibilité de faire opérer un logiciel comme vous le voulez, pouvoir le distribuer, l’étudier et le modifier – pour vérifier par exemple pourquoi tel ou tel logiciel ne se configure pas correctement -, et pouvoir effectuer des distribution avec changements.”

Autres aspect, plus terre-à-terre, des choses: l’argument de l’accessibilité financière aux solutions technologiques que procure l’open source. “Le libre”, déclarait Sébastien Jodogne, “stimule les échanges et le partage de connaissances sur l’imagerie médicale, ce qui permet de résoudre des problèmes de terrain, notamment dans les systèmes publics de santé dans les économies émergentes”.

C’est non seulement le principal terrain que vise la communauté GNU Health mais c’est aussi ce qui se produit avec la solution Orthanc. Sébastien Jodogne citait ainsi en exemple le déploiement de la plate-forme Malaisie “pour gérer plus de 250.000 examens radiologiques sur quatre hôpitaux, avec des solutions de télé-radiologie.”

Etendre Orthanc

La troisième journée de la conférence Orthanc était organisée en mode atelier de développement. Une bonne trentaine de développeurs y ont participé. Ici le but était double.

D’une part, leur permettre de “mettre les mains dans le cambouis”, de se familiariser avec Orthanc ou de découvrir la solution plus en profondeur. “L’objectif du hackathon était notamment de montrer aux participants comment déployer des installations d’Orthanc dans des hôpitaux afin d’aider les utilisateurs finaux sous la forme de tutoriels.”

Sébastien Jodogne (Orthanc, osimis): “Orthanc intéresse également des industriels tels qu’IBA qui intègre le serveur dans certains de leurs propres projets open source afin de disséminer leurs technologies d’imagerie médicale au sein des universités et du monde des chercheurs et pour faciliter l’accès des chercheurs aux images médicales.”

D’autre part, faire naître du nouveau code, de créer de nouveaux plug-ins afin d’étendre l’écosystème. Un plug-in a ainsi été développé permettant de classer des images médicale dans un répertoire, avec arborescence pour chaque patient. “Cet atelier est pour nous la preuve que toute une gamme de nouvelles applications peuvent voir le jour au départ et pour enrichir Orthanc”, déclare Sébastien Jodogne.

Le développement de nouveaux plug-ins permettrait de “fluidifier” et simplifier l’accès et les échanges de données médicales pour désenclaver les PACS (notamment) et, dans une perspective plus large et plus participative, servir de vecteurs pour une “dissémination des algorithmes” créés par des chercheurs ou à finalité de recherches.

Autre terrain sur lequel Orthanc voudrait progresser: les fonctionnalités de visualisation. “Le monde médical manque encore de solutions dans ce registre, les logiciels sont souvent trop complexes.” Sébastien Jodogne envisage dès lors la création d’une interface utilisateur conviviale qui favorise et accélère la capacité à prendre connaissance des images médicales, quel que soit l’endroit où se trouvent le patient et le professionnel de soins, afin qu’ils puissent prendre rapidement et efficacement connaissance du plan de traitement. “Il faut notamment un outil qui permette au patient de mieux s’approprier son traitement.”

Impliquer davantage le patient figure donc dans l’évolution future que Sébastien Jodogne espère voir prendre son projet. En ce compris en en faisant un canal de dissémination d’informations directement utiles, à dimension pédagogique, “afin que les patients puissent mieux prendre connaissance de leurs maladies.”