Dermatoo/CHU Ambroise Paré: le suivi médical vaut bien une appli

Hors-cadre
Par · 04/07/2022

La start-up e-santé Dermatoo fut, comme nous l’avons signalé lors de notre récent article, l’un des participants à la dernière édition du programme d’accélération MoveUp de Digital Attraxion. L’un des principes essentiels de ce programme est de constituer des binômes entre start-up et “corp” (grande “entreprise” qui dans le contexte e-santé est bien entendu souvent un hôpital).

Contrairement à plusieurs de ses co-participantes, Dermatoo s’est trouvé un binôme. En l’occurrence, l’hôpital Amboise Paré de Mons et, derrière lui (même s’ils furent moins directement impliqués), les deux autres établissements du réseau hospitalier auquel appartient désormais Ambroise Paré – à savoir, le réseau Helora qui englobe également le CHU Tivoli, à La Louvière, et le groupe Jolimont.

Quels furent les apports spécifiques d’une participation au MoveUp à la fois pour la start-up et pour l’hôpital? Quelles furent les raisons de ce dernier de s’intéresser à la solution de Dermatoo? Petit coup d’oeil…

Côté start-up

Pour Dermatoo, participer au programme d’accélération a eu trois effets majeurs: des conseils et avis de professionnels qui lui ont permis de réorienter certains aspects de la solution [au départ, l’idée de Dermatoo visait surtout un apport de téléexpertise ; elle s’est réorientée vers un concept de collaboration entre professionnels et, à terme, d’aide à la décision – relire notre article ], l’ajout de fonctionnalités et une inflexion du modèle commercial. Le tout, afin de mieux “coller” aux attentes des professionnels de soins.

“Ce fut surtout et avant tout pour nous l’occasion d’aller sur le terrain et de nous concentrer sur le fonctionnement de l’interface”, explique Robin Murgia, chargé du développement commercial chez Dermatoo et par ailleurs co-fondateur du start-up studio IoT-D dont Dermatoo est une émanation.

“Cela a réellement accéléré notre ciblage du réel besoin sur le terrain. Nous avons pu vérifier quelles réponses les utilisateurs attendent. L’un des objectifs essentiels de la solution Dermatoo est d’optimiser le temps des infirmiers. Nous avons donc pu adapter l’expérience utilisateurs afin qu’elle corresponde le mieux possible à leurs besoins. Nous avons affiné l’ergonomie.”

La question, essentielle, de l’intégration avec les solutions IT hospitalières existantes fut évidemment aussi au programme.

Et, bien entendu, l’exercice a permis d’ouvrir des portes – à la fois au sein de l’hôpital et potentiellement, via référencement, vers d’autres établissements hospitaliers.

Outre le réseau Helora, Dermatoo est aujourd’hui en contact avec le CHwapi (centre hospitalier de Wallonie picarde), avec deux hôpitaux liégeois (ou des cas d’usage sont à l’étude) et tourne ses regards vers des établissements de la région bruxelloise, “où les hôpitaux sont confrontés aux difficultés de gestion de la première ligne”. Ce que les Français appelleraient des micro-déserts médicaux posent en effet des problèmes de disponibilité de personnel (médical ou infirmier) qui pourraient, en partie, être allégés par la disponibilité d’une solution de télémédecine et de collaboration entre professionnels telle celle de Dermatoo… 

Selon un schéma similaire, l’une des pistes que compte exploiter la start-up est celle de la collaboration entre hôpitaux et maisons de repos.

Côté CHU

La connexion entre Dermatoo et le CHU Ambroise Paré s’est faite par la bande. C’est en effet Sophie Grulois, directrice du centre Télé Assistance à Mons, qui les a mis en relation.

Ayant déjà participé à un précédent programme d’accélération MoveUp, toujours dans le domaine de la santé, elle avait “repéré” le projet Dermatoo comme pouvant potentiellement intéresser Ambroise Paré qui avait mis sur pied un groupe de travail chargé de réfléchir à des projets de télémédecine.

Détail important: siégeaient au sein de ce groupe de travail à la fois le directeur médical de l’hôpital, le directeur informatique et le directeur technique. Sophie Grulois, elle, y représentait le monde de la télé-assistance. L’identité de certains membres du groupe de travail allait s’avérer importante pour ouvrir à Dermatoo la porte de l’hôpital et de ses différents services. “Ce que la start-up recherchait, c’était évidemment les bons contacts au niveau médical, des apporteurs de plaies complexes, notamment des infirmières à domicile, attachées à un hôpital”.

“La solution Dermatoo m’a parue intéressante tout d’abord parce qu’ils ont pu clairement expliquer là où ils voulaient aller – même si, dans leur idée de départ, il ne s’agissait que de télé-expertise.”

 

Les conditions de réussite d’un “binôme” start-up/hôpital lors d’un programme d’accélération, selon Sophie Grulois: “Il faut une implication réelle de l’hôpital, savoir dégager du temps, en particulier pour la mise en relation et l’animation à destination des professionnels de santé.”

 

Autre élément qui allait conforter le jumelage entre les deux parties: le fait que deux maisons de repos relèvent du CHU Ambroise Paré… “Ces maisons de repos ont parfois besoin de spécialistes en plaies, escarres, mais la consultation est toujours difficile. Le dermatologue ne se déplace pas…”

La solution d’aide au suivi de plaies complexes répondait à une série de besoins: “autoriser un avis médical sans obliger systématiquement le patient à se déplacer à l’hôpital, éviter les longs délais d’attente, mieux assurer le suivi de l’évolution d’une plaie qui est parfois vue au fil du temps par plusieurs personnes, selon les horaires ou les disponibilités… La plate-forme Dermatoo offre en outre l’avantage de pouvoir assurer le suivi des plaies [via images] de manière séquentielle…” Autrement dit, sur une ligne de temps cohérente et consultable.

Confidentialité

L’un des avantages que Dermatoo met en avant et qui est favorablement accueilli par le monde médical est l’amélioration apportée au niveau de la confidentialité des transferts et échanges d’information. Jusqu’ici, sur le terrain, pour le suivi d’une plaie complexe, une infirmière à domicile n’a guère de possibilités. Si ce n’est de prendre une photo avec son smartphone, à joindre à ses notes ou au dossier. Une photo qui, dans de nombreux cas, est envoyée… via WhatsApp. 

Ces envois “à la bonne franquette” se font entre infirmières (pour que la suivante ou la responsable soit informée d’un dossier) ou même vers les référents-plaies officiant en hôpital ou en maison de repos. Ce qui n’est pas vraiment recommandé en termes de confidentialité et de non utilisation illégitime de l’info.

Avec la solution Dermatoo, non seulement le relais se fait via un canal spécifique, sécurisé, mais seuls les professionnels de soins ont accès aux images (et aux données). L’appli n’est pas disponible pour le patient lui-même – il n’aura accès à ses infos santé, images de plaies comprises, que sur autorisation préalable du professionnel – du moins dans l’état actuel de la législation et des pratiques en Belgique. Sophie Grulois y voit une bonne chose: “l’accès aux données de télémédecine par le patient a parfois des conséquences négatives. Le patient dispose d’infos qu’il ne comprend pas toujours, fait une recherche sur Google et se forme sa propre opinion, voire son propre diagnostic. Ce qui représente d’énormes difficultés en termes sanitaires…”

S’insérer dans le contexte hospitalier

Pour Dermatoo, le feedback des acteurs de terrain était, naturellement, essentiel. Tant d’un point de vue médical (les paramètres et informations que son appli et son device devaient impérativement pouvoir capter et documenter, voire interpréter), fonctionnel (l’ergonomie de l’interface, les fonctions de collecte d’images et de collaboration) que d’un point de vue organisationnel et technologique.

L’accès quasi direct avec le directeur médical a permis de soulever d’emblée des questions ayant par exemple trait à la vie privée, aux contraintes du RGPD, à la question de la responsabilité médicale…

Le directeur informatique, lui, a mis immédiatement le doigt sur la nécessité (ou l’intérêt) d’une intégration avec le dossier médical. Ce qui implique notamment d’établir une corrélation entre une image et un numéro de patient ou un identifiant quelconque, avec “masquage” par anonymisation.

“Intégrer la solution Dermatoo avec le dossier médical est essentiel pour rendre l’information consultable par tous les intervenants. Il n’est plus nécessaire de devoir se transférer des infos. L’avantage de la solution Dermatoo est d’autoriser la mise en relation entre des professionnels remplissant différentes fonctions: chirurgien, collègue, expert à distance, infirmière hospitalière, infirmière à domicile, chef de service du département infirmier…”

Les spécialistes, eux aussi, ont été mis dans la boucle et ont pu évaluer et commenter la solution qu’imaginait la start-up. “L’accueil”, témoigne Sophie Grulois, “fut très favorable du côté de la chirurgienne vasculaire qui appréciait la possibilité de surveiller ainsi l’évolution d’un patient. Elle y voit même un support intéressant pour l’enseignement et la transmission de son savoir…”

Aux yeux de Sophie Grulois, qui a elle-même recueilli ce genre de réflexion auprès des praticiens du CHU Amboise Paré, la solution de Dermatoo pourrait, à terme, dépasser le cadre du seul suivi de plaies complexes. “Cette plate-forme de collaboration entre praticiens pourrait être intéressante au-delà du seul contexte des plaies…”

Cela dépendra évidemment des intentions futures de la start-up qui, on l’a vu, a un agenda déjà bien défini pour les 12 à 24 prochains mois: finalisation du dispositif d’imagerie dédié, production des capteurs, intégration, développement d’un potentiel analytique automatisé (modulable), levée de fonds…