Le paysage wallon de l’accompagnement des start-ups est-il trop confus, incohérent, inefficace, “illisible”, mal positionné? Des voix s’élèvent régulièrement pour le regretter. C’est là un débat auquel Agnès Flémal, directrice de l’incubateur des sciences de l’ingénieur WSL, est prête à apporter sa vision des choses.
“Jusqu’ici, en Wallonie, on a surtout investi dans les phases de démarrage, en se focalisant sur des paramètres destinés à permettre aux start-ups, essentiellement en B2C, de créer de la “traction clientèle” et de pointer un premier marché-cible. C’est ce qu’on appelle l’axe customer readiness level [Ndlr: voir à ce sujet, cet autre article qui présente l’outil d’évaluation de maturité – MatMax – imaginé par le WSL et qui commence à être adopté par d’autres acteurs locaux de l’accompagnement de start-ups].
Par contre, on a relativement peu investi dans les outils permettant de déployer [le produit imaginé]. Le WSL est un peu l’exception mais uniquement sur le terrain B2B.”
L’un des constats que pose par ailleurs Agnès Flémal, c’est que les start-ups wallonnes ne progressent pas de manière suffisamment exponentielle dans la grille de maturité – du stade de la pure idéation jusqu’à l’essor commercial d’un “produit performant, impeccable, disponible on the shelf”. La concrétisation fait encore trop souvent défaut. Pour mieux comprendre les défauts de ce cheminement, lire notre article consacré au MatMax.
Toutefois, la multiplication des outils et acteurs d’accompagnement à laquelle on a assisté ces dernières années a-t-elle un impact, accélérant et améliorant ce cheminement de maturité commerciale et/ou stratégique?
A la question de savoir s’il y a accélération ou si elle ne se limite éventuellement qu’à quelques exceptions, à l’une ou l’autre start-up qui “performe” mieux que la moyenne, Agnès Flémal répond comme suit: “Cela s’accélère. On a plus d’investissements, plus de ressources. La méthode, elle aussi, s’est améliorée. On a plus de réseau…”
Régional-IT: Certains critiquent le manque de moyens pour la phase de scale-up? A-t-on trop mis l’accent sur la phase start-up? Fallait-il en passer par là, pour créer l’étincelle, en raison du retard de la Wallonie en la matière mais le balancier a-t-il été insuffisamment équilibré?
Agnès Flémal: Il fallait de toute façon en passer par là. Je ne crois pas par ailleurs qu’il faille dire qu’on était à ce point en retard.
Les 3 ou 4 premières années du plan Creative Wallonia avaient un sens. C’est vrai que c’est parti un peu dans tous les sens parce qu’il y a plein de choses dans ce plan. Certaines ont d’ailleurs disparu. Mais, dans l’absolu, cela a été un déclencheur. Cela donne une impulsion.
Où a-t-on éventuellement commencé à dérailler?
En multipliant les acteurs. Et en ne renouvelant pas suffisamment le réservoir de coachs qui n’ont pratiquement pas changé depuis 10 ans et qui, trop souvent, restent dans leur zone de confort, sans pouvoir réellement aider des projets qui, eux, se basent ou visent des champs d’application totalement nouveaux. Comme en Internet des Objets, par exemple.
Les compétences n’ont pas toujours suivi. Il manque du sang neuf.
On s’en tient beaucoup trop à des balises qui sont insuffisantes en soi. Ce n’est pas parce qu’on a utilisé un BMC [Business Canvas Model] qu’il n’est plus nécessaire de définir un business plan, de vérifier et de valider les hypothèses techniques…
De même, on encourage les start-ups à pivoter, en supposant qu’il en restera toujours quelque chose, mais est-ce qu’on a une base solide, une technologie valable? Pivoter pour chercher le client, c’est loin d’être un scénario suffisant…
Est-ce que le temps est venu, est-ce qu’on est mûr en Wallonie pour donner un coup de volant vers davantage de B2B, de projets de plus haut niveau? A-t-on les outils, les moyens, tant humains que financiers, pour les accompagner?
Chez WSL, nous avons en permanence de 40 ou 50 dossiers, avec plutôt un niveau qui monte qualitativement. Pour ce qui est de l’ensemble de l’écosystème, on se parle régulièrement, par exemple entre WSL et LeanSquare, le VentureLab ou Digital Attraxion, afin de voir quels sont les dossiers, vers quelle porte d’entrée les envoyer…
Le fait est toutefois qu’il y a un trou dans l’écosystème, au stade du proof of concept ou du démonstrateur et, côté “customer readiness”, au stade de la validation de l’hypothèse de marché. Pour créer son prototype ou le démonstrateur qui lui permettra de convaincre ses premiers clients, la start-up a besoin de moyens importants. Et là, c’est difficile, même pour les accélérateurs.
En B2C, il est possible de créer un démonstrateur sur un ordinateur, une simulation purement visuelle et design. Par contre, dès que l’on sort de la pure appli, on achoppe contre un problème de financement parce que la société n’est pas encore créée et qu’elle n’obtiendra des fonds que si elle a un proto à montrer. Pour cela, il faut davantage de ressources financières que 20 ou 30.000 euros.
Il y a là, d’une part, un problème financier. Personne n’investit. Il y a, d’autre part, un problème technologique pour lequel les universités, les centres de recherche, les PME de développement peuvent jouer un rôle.
Il faudrait ce qu’on appelle un “fonds prototypage”.
Mais un tel fonds n’existe-t-il pas déjà?
Il existe en effet une aide prototypage à la DGO6 mais qui s’adresse à des sociétés existantes et qui exige que le porteur de projet avance une bonne partie des moyens en fonds propres.
Pour l’instant, pour des start-ups, on est donc dans une sorte de no man’s land financier et technique.
Il faudrait donc selon vous impliquer davantage les centres de recherche mais aussi trouver des PME, des industriels qui soient prêts à jouer le jeu…
C’est un peu ce qu’avait voulu faire WOW mais cela l’a amenée à la faillite. La société avait reçu des demandes de réalisation de prototypes venant de plusieurs Pôles de compétitivité. Mais tout miser sur la réalisation de proto n’est pas une bonne base de rentabilité…
Il faut donc plutôt une série de sociétés qui soient capables de le faire, et pas seulement une ou deux, et il faut effectivement une expertise confirmée.
On pourrait utiliser les chèques technologiques pour le faire, mais il faudrait pour cela que les aides soient plus importantes, être éventuellement convertibles en actions…
Si l’on arrive à initier cette implication plus étroite et active des centres de recherche et des PME ou industriels, dispose-t-on, côté structures d’accompagnement des start-ups, des compétences nécessaires?
C’est ce que j’espère arriver à faire, côté WSL, avec The Labs puisque les salles blanches pourraient servir de ligne de production de prototypes, avec certification qualité… Au sein des Labs, on pourrait aider à la rédaction de cahiers de charge, à l’apprentissage, à la planification, à guider la start-up à déterminer ce qu’elle attend de son partenaire, à bien libeller les bons de commande, à vérifier le travail effectué, etc.
J’espère disposer du financement nécessaire, d’ici la fin de l’année, pour le faire.
Vous évoquiez un manque de compétences en termes de personnes d’encadrement des start-ups au sein des accélérateurs, la nécessité de “sang neuf”. Comment recruter, attirer de nouveaux profils, les sélectionner, les organiser…?
Des profils, des personnes expérimentées dans la problématique start-up, il y en a. Mais c’est vrai qu’il faut aller les chercher. WSL, par exemple, ne retient que des personnes ayant au moins 10 ans d’expérience, récente, et qui ont réellement réalisé des choses, qui savent comment faire et qui l’ont fait.
On constate actuellement une tendance lourde à prendre des entrepreneurs qui ont monté ou travaillé dans 3 ou 4 sociétés.
Agnès Flémal: “Il y a les accélérateurs (Lean Square, Digital BW, Digital Attraxion…), les hubs créatifs, les fab labs et les living labs… Tout cela n’est consolidé par personne.”
Je considère aussi par ailleurs qu’on ne peut pas être coach à vie. Ce n’est pas un métier en soi. Le coaching, c’est un moment de la vie où on partage. En principe, les bons coachs repartent…
C’est la même chose pour une structure d’accompagnement: elle doit évoluer avec le temps, pour évoluer avec la demande. Si on n’évolue pas avec sa “clientèle”, on s’épuise. Le modèle Startup Camp est peut-être demeuré trop fidèle au modèle de départ…
S’orienter vers des programmes d’accélération plus spécialisés est sans doute intéressant parce qu’on fait des choses plus “ad hoc”, qu’on va chercher des ressources particulières qui ont été confrontées à la réalité du domaine choisi.
Comment “clarifier” le paysage, le rendre plus efficient, moins redondant…?
Il y a les accélérateurs (Lean Square, Digital BW, Digital Attraxion…), les hubs créatifs, les fab labs et les living labs… Tout cela n’est consolidé par personne. Creative Wallonia Engine supervise les Startup Camps, via les CEI, mais c’est largement du copié-collé de NestUp.
Pour les Lean Square et consorts, les référents sont les invests. Mais est-ce réellement le rôle des invests? L’idée de départ de Meusinvest était par exemple de se constituer son propre pipeline, d’attirer des jeunes pousses et de pouvoir y investir. Les autres invests ont été poussées à faire de même, pour trouver de nouvelles destinations aux fonds disponibles.
Qui, selon vous, pourrait jouer ce rôle de coordinateur et “nettoyeur”?
Cela pourrait éventuellement se faire au travers de l’AdN, si elle devient indépendante. C’est quand même l’organe dédié au numérique…
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