Flora: de premières touches d’intelligence artificielle d’ici quelques mois?

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Par · 30/09/2020

Sans modifier son catalogue d’assurances proposé sous sa propre marque (mi-classique, mi-Internet), Ethias vient donc de lancer une nouvelle marque et une nouvelle offre à destination de la “génération smartphone” relire notre article publié hier. Cette génération qui est prête, selon l’assureur, à interagir et à gérer affiliation et actes assurantiels via un smartphone, sans intermédiation humaine.

Flora, c’est la possibilité de s’affilier et de gérer tous ses échanges et transactions d’assurances avec sa compagnie via son smartphone. Sans intermédiaire humain direct. Le chat (dialogue via écran, avec questionnaires et réponses largement automatisés), remplace donc le courtier ou l’agent de call center. 

Flora, ce sera d’abord une offre d’assurance locataire, avant l’apparition progressive d’autres types de couvertures.

Si l’automatisation est déjà présente, en coulisses du chat, des développements sont en cours pour doter l’appli d’une dose supplémentaire d’“intelligence”. Depuis quelques mois, en mode “prof of concept”, une équipe composée pour partie de data scientists de NRB planche sur le développement de modèles et d’algorithmes. Plusieurs scénarios d’automatisation sont à l’étude. Exemples parmi les premiers de cordée: la détection de (suspicions de) fraudes, et l’identification automatique de la valeur des biens assurés via recours à l’analyse et la reconnaissance automatique d’images.

Récolter des images (photos ou vidéos) pour documenter les biens et objets faisant l’objet d’une couverture par les assurances, ou en vue du règlement d’un sinistre, n’est pas chose nouvelle. Leur analyse automatique avec proposition de décision par un algorithme l’est par contre.

L’équipe NRB/Flora y voit une série d’avantages potentiels:

– une estimation plus juste de la valeur des biens et objets qu’un individu désire assurer (finies les moyennes applicables à tous – chez Ethias, par exemple, sur base de statistiques propres et sectorielles, la valeur moyenne du contenu d’un appartement est fixée à 15.000 euros) ; une estimation via analyse d’images permettrait d’affiner les valeurs couvertes (et remboursables)
– un argument de vente en mode “user experience”, pouvant plus particulièrement séduire les générations Z et Millennials
– un processus d’inventaire facilité (réduction des encodages)
– un suivi dans le temps plus précis…

Garder la maîtrise

Les développements des potentiels IA sont donc le fait de l’équipe Data Science de NRB. La décision a sciemment été prise de concevoir, en propre (pour les besoins d’Ethias et de Flora), modèles et algorithmes. Sans prendre certains “raccourcis”, par exemple un recours à des modèles de détection de fraude existants, qui auraient certes accéléré le lancement commercial mais qui auraient privé l’assureur de certains arguments.

“Nous avions deux possibilités. Soit nous tourner vers des fournisseurs d’algorithmes, par exemple la start-up française Shift Technology [qui a développé une plate-forme de détection de déclarations frauduleuses aux assurances]. Dans ce cas, il aurait suffi d’envoyer nos données vers la plate-forme Shift et d’obtenir en retour les réponses de leur algorithme sur la suspicion de fraude.

Soit construire nos propres algorithmes”, explique Fabian Delhaxhe, “product owner” Flora chez NRB. “C’est l’option que nous avons prise, en recourant notamment à des solutions open source. Cela nous permet d’avoir la mainmise sur les critères que nous injectons dans le modèle, sur les évolutions que nous voudrions y apporter – chose que ne permettrait pas un prestataire tiers.”

S’y ajoute aussi, d’un point de vue plus stratégique et commercial, la possibilité de développer ainsi une expertise et de disposer d’un “produit” [d’apprentissage automatique] “que nous pouvons éventuellement réutiliser à d’autres fins, voire proposer à la vente ou revente…”

Parmi les outils open source que l’équipe NRB/Flora utilise dans le cadre de ses développements, citons par exemple YoLo (You Look Only Once), un système temps réel de détection d’objets (par reconnaissance d’images) et de prédiction de nature d’objet. Un outil sélectionné en raison de son degré de précision, de l’efficacité dont il faut preuve non seulement en détection mais également en traçage d’objets, et de l’enrichissement progressif du modèle sous-jacent.

Les limites de l’IA

L’IA et l’automatisation en matière d’assurance ne pourront toutefois pas être poussées à leur maximum, en raison de contraintes légales. Exemple que cite Fabian Delhaxhe: l’interdiction d’autoriser un algorithme ou une quelconque règle à exclure automatiquement une personne d’une couverture d’assurance. Voire d’inscrire ou de retirer automatiquement son nom d’une “liste noire”.

Des balises et garde-fou existent qui imposent toujours une intervention et décision humaine, limitant le champ d’application de l’IA en matière d’évaluation. En matière de gestion de fraude, l’algorithme servira donc tout au plus d’aide à la décision.

Pour appliquer l’IA et la puissance des algorithmes aux affaires d’assurance, des progrès conséquents devront par ailleurs encore être accomplis pour rendre les algorithmes à la fois pertinents, fiables et transparents (lisez: explicables).

Le défi se situe, au minimum, à deux niveaux: d’une part, élaborer des modèles efficaces et pertinents ; de l’autre, entraîner correctement et suffisamment l’algorithme. 

IA et big data figurent en bonne place parmi les défis et priorités listés par Ethias dans son rapport annuel (dès 2018)…

Pour évaluer la valeur d’un bien et d’un objet, au moment de la prise d’une assurance, il faut évidemment avoir entraîné l’algorithme à l’identifier et à le reconnaître avec précision. Ce qui suppose la constitution de bases de données costaudes (ou un accès et une intégration fluides avec des bases de données préexistantes, dûment validées, d’objets).

Lorsqu’il s’agit de procéder à une déclaration de sinistre en mode virtuel (via un smartphone par exemple) et automatique (avec un algorithme comme censeur), le défi se corse. Comment l’algorithme va-t-il reconnaître un objet sinistré et procéder à une expertise automatisée? Comment identifier efficacement un objet, un meuble, une paroi qui aurait été brisé, endommagé, brûlé… perdant ainsi une partie plus ou moins importante de ses caractéristiques en tant qu’objet? “Dans le domaine de la reconnaissance d’objets cassés, nous avons encore énormément de travail devant nous”, soulignait Jessica Lion, responsable de Flora, lors du lancement officiel de l’appli mobile.

N’empêche que ce champ de reconnaissance d’image appliquée au monde de l’assurance figure parmi les priorités de réalisation de l’équipe NRB/Flora. Premier atterrissage fin 2020, ou 2021?

Parmi les choses à améliorer ou à faire progresser dans les prochains mois: “plancher sur l’algorithme permettant de déterminer la probabilité de fraude sur sinistre”, indique Fabian Delhaxhe. “Nous devons encore travailler sur les critères avant de compléter le modèle.” L’enjeu, ici, est de transposer en algos et règles ce qui relève dans une large mesure du “feeling”, du “ressenti”, de l’expérience des gestionnaires de sinistres. Chose qui est difficilement “codifiable” et objectivable.

Les données – bien réelles et concrètes – sur lesquelles modèles et algos peuvent se nourrir sont celles de l’historique des sinistres et fraudes sur sinistres accumulé par Ethias. Autre source, mais moins “riche” en informations exploitables et sur lesquelles structurer une décision: des données venant d’Assuralia “mais les données sont limitées, n’allant pas plus loin, en termes de précision, que le type de contrat qui a fait l’objet d’une fraude.” Et bien entendu, à l’avenir, une autre source précieuse sera celle des données venant des assurés et contrats Flora.