Quand la Wallonie rêve d’une place au soleil de l’IA

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Par · 29/11/2019

Séance officielle de coup d’envoi de l’initiative Digital Wallonia 4 AI – en Intelligence Artificielle -, ce mercredi à Namur.

Ou, plus exactement – puisque le Plan, ou son amorce, n’est pas nouveau (été 2019) pas plus que la création du Réseau IA dont tout est parti -, Namur accueillait cette semaine une réunion collective destinée à compter et présenter les différents acteurs de la stratégie IA wallonne et l’éventail d’actions que compte déployer la Wallonie en matière d’intelligence artificielle.

L’occasion de faire le point sur ce qui est déjà en cours, sur le processus d’implication collaborative des divers acteurs (pouvoirs publics, chercheurs, entreprises et spécialistes IA, organismes d’encadrement…) et, surtout, d’esquisser ce que sera la feuille de route future.

Prochaines actions

Nous les détaillons davantage, plus loin dans l’article, mais, en bref, voici quelques projets et initiatives qui sortiront des starting blocks ces prochains mois:

– les premiers ateliers Start IA, aidant entreprises et administrations wallonnes à identifier des pistes d’innovation grâce à l’IA – les inscriptions peuvent encore se faire jusqu’au 11 décembre via le site de Digital Wallonia
– au premier trimestre 2020, lancement par le Réseau IA du programme Tremplin IA (évaluation et réalisation de proofs of concept, premiers projets concrets en IA)
– création de nouveaux groupes de travail thématiques, tant au niveau fédéral que du côté d’Agoria
– démarrage d’actions de sensibilisation visant le grand public (wallon)
– des actions de sensibilisation du grand public en faisant, en priorité, la promotion de l’IA “for good” (santé notamment) et au service de relations plus efficaces entre citoyens et administrations
lancement en Wallonie d’un marché-cadre afin d’identifier et d’embrigader structures et formateurs pouvant servir de réserve et d’étoffer les rangs de ceux et celles qui procureront des formations aux entreprises et aux administrations locales, toutes tailles confondues
– pour permettre aux entreprises de découvrir plus concrètement certains concepts ou opportunités évoquées dans le MOOC AI in Business, Agoria organisera, avec une série d’acteurs du secteur IT, des “sessions de découverte” à partir de février 2020
– au niveau fédéral, l’alliance AI 4 Belgium poursuit son travail de cartographie, afin d’identifier tous les acteurs de l’IA en Belgique (chercheurs, start-ups, organismes et programmes de formation, experts IA opérant en entreprise…).

Restons quelques instants sur ce travail de référencement. Côté labos et chercheurs (universités, Hautes Ecoles et centres de recherche), le travail de carto a ainsi identifié, en Fédération Wallonie Bruxelles, quelque 600 chercheurs s’occupant d’IA (à titre de comparaison, le même travail avait récemment été effectué en France, répertoriant quelque 5.000 chercheurs en IA – le score local est donc plus qu’honorable).

57% de ce total de 600 sont des chercheurs poursuivant une thèse. 25% sont des professeurs nommés et 18% des post-docs.

Principaux thèmes de recherche? L’apprentissage automatique tient la corde, suivi par le développement d’algorithmes, les interactions homme-machine, l’aide à la décision ou encore la reconnaissance d’images. Robotique, bio-informatique et IA embarquée sont nettement moins explorées.

Quant aux domaines d’applications sur lesquels se concentrent travaux et recherches, le classement se présente comme suit: santé, industrie 4.0, transports et logistique, énergie, éducation, culture et industries créatives, marketing, sécurité, alimentation, éthique, aspects légaux.

Quatre axes en démarrage

Pour rappel, le “Plan IA” wallon, piloté par l’AdN et inséré dans le cadre plus large du programme Digital Wallonia, est structuré en quatre axes d’actions: sensibilisation de la société (civile) – accompagnement des entreprises et de leurs projets – formation des entreprises et des administrations – partenariats à développer avec d’autres niveaux de pouvoirs et acteurs nationaux ou internationaux.

Ce 4ème volet – Partenariatsimplique une articulation et une coordination avec le fédéral (AI 4 Belgium) qui sert de relais vers l’Europe. Voilà qui est utile par exemple afin de faire participer des acteurs locaux à des appels à projets et/ou à de financements européens.

Un autre axe d’articulation collaborative peut s’imaginer avec la Flandre. Non seulement via le fédéral mais aussi via Agoria. Cette dernière, par exemple, voudrait favoriser le partage de compétences et une participation inter-régionale à des projets de recherche ou d’implémentation. Ce sera l’un des points d’action des groupes de travail thématiques qui se mettent en place au sein d’Agoria.

Premiers de cordée: un groupe Ethique (formé en janvier 2019), un groupe Santé (lancé mi-novembre et devant encore structurer son action), et un groupe Secteur énergétique (à lancer début 2020).

Le deuxième axe d’action du Plan IA wallon – Accompagnement des entreprises – sera pris en charge par le Réseau IA, au travers notamment de ses programmes Start IA et Tremplin IA (voir ci-dessous).

Les deux axes restants – Société et Formation – sont encore en jachère pour l’instant, devant se mettre en branle d’ici quelques semaines.

Côté sensibilisation de la “société” au sens large, “des actions spécifiques seront déployées afin de préparer la société à l’IA, l’aider à en anticiper et comprendre l’impact, et la démythifier”, indique Pascal Poty (AdN). “L’un des premiers thèmes qui sera développé est celui de l’IA comme outil d’amélioration de la relation entre citoyen et secteur public. Cela inclura des actions visant à aider l’administration à se transformer.”

Un autre thème privilégié sera la mise en exergue de l’utilité de l’intelligence artificielle pour de “bonnes causes” – notamment dans le domaine de la santé.

Des MOOC pour tous

A noter au passage que le fédéral interviendra également dans ce champ puisqu’un projet de MOOC grand public est toujours inscrit sur les tablettes, inspiré notamment de l’expérience finlandaise. La Finlande a en effet conçu un MOOC baptisé Elements of AI que vous trouverez ici.

Ce cours a essentiellement un but de vulgarisation au bénéfice du citoyen lambda. Conçu en anglais (et en finnois évidemment), il a déjà été traduit en suédois et en estonien et une traduction française est en cours dans la mesure où la France et le Canada se sont dits intéressés…

La France, d’ailleurs, mijote son propre projet de MOOC et ambitionne de développer un réseau d’apprentissage de l’IA dès le primaire dans le cadre de son programme France is AI.

Dernier axe: la formation – celle des entreprises et celle des administrations. D’ici la fin de l’année, la Région wallonne promet le lancement d’un marché-cadre afin de recruter des formateurs.

Sensibiliser, initier, prototyper

D’ici juin 2020, le Réseau IA compte organiser des ateliers Start IA destinés à aider les entreprises et administrations, de toutes tailles, à identifier leurs besoins, potentiels et opportunités en matière d’IA. “Le but”, souligne Christophe Montoisy, l’un des initiateurs du Réseau IA, “est d’identifier les pistes d’innovation possibles, les idées majeures qui pourraient se concrétiser au niveau d’une entreprise. Les sessions seront organisées par lots de 5 à 10 entreprises, avec accompagnement par des experts, des entrepreneurs et gens de terrain”. Durée de la séance d’“exploration”: de deux à quatre jours. Le coût est pris en charge pour moitié par la Région wallonne (coût total: 3.000 euros).

Au total, jusqu’en juin, 25 sociétés devraient pouvoir en bénéficier. 11 sociétés, à ce jour, se sont inscrites. Pour atteindre le quota espéré, la clôture des candidatures a été reportée au 11 décembre. Les responsables du Réseau IA lancent d’ailleurs un appel aux administrations publiques, dont aucune ne s’est encore manifestée à ce jour.

Inscriptions via le site Digital Wallonia.

Après cet exercice d’“exploration”, le Réseau IA organisera des Tremplins IA, des sessions davantage “mains dans le cambouis” puisque le but est de réaliser des proofs of concept (POC). “Des problèmes précis, réalistes, auxquels s’attaquer, pouvant déboucher en l’espace de quelques semaines sur un proto ou un scénario démontrant l’intérêt d’un projet IA et sur lequel investir de manière plus conséquente à l’avenir.” Les “POC” pourront être élaborés en solo (par entreprise) ou en mode collectif (thème commun à plusieurs sociétés). Les modalités et conditions pratiques seront précisées d’ici la fin de l’année ou le début 2020, pour démarrage effectif des premiers trajets en février. Ici encore la Région prendra en charge une partie des coûts (75%) via un financement Digital Wallonia 4 AI ou via chèque technologique.

A noter encore, en matière de sensibilisation destinée aux entreprises (au niveau belge), Agoria a récemment lancé un MOOC (massive online course), baptisé AI in Business, à destination des entreprises (de toutes tailles). Relire notre article à ce sujet. Il sert d’outil de conscientisation, de première étape par exemple pour les professionnels qui désireraient suivre les activités de formation (plus poussées) et le programme de POC wallons.

A ce jour, environ un millier de personnes ont consulté le MOOC d’Agoria.

Pas en avance mais pas démunis

C’est l’un des constats et des messages déjà souvent émis mais à nouveau répétés cette semaine: la Belgique et, en particulier, la Wallonie n’est pas vraiment en avance en matière d’initiatives et de volonté concertée (publique comprise) dans le domaine de l’IA.

Les budgets notamment sont (encore) minimes, voire incertains (voir ci-dessous). La Belgique n’est pas, à cet égard, dans le peloton de tête européen. L’Europe elle-même fait pâle figure par rapport aux moyens débloqués ou déployables par les Etats-Unis ou la Chine. Même si l’on tient compte du sérieux coup de collier donné récemment, à savoir l’engagement pris d’investir 20 milliards par an à partir de 2020, sous forme d’investissements publics et privés (nationaux) tout au long de la décennie suivante. A cela s’ajoute un budget propre qui devrait passer de 1,5 milliard à “au moins 7 milliards d’euros au titre du programme Horizon Europe et du Programme pour une Europe numérique”.

L’Europe redoublera par ailleurs d’efforts pour mieux aligner les initiatives (au niveau national et pan-européen) et pour déployer différentes plates-formes de partage et de fédération de ressources et compétences.

Ce sera un minimum si les pays de l’Union, collégialement, veulent conserver une certaine représentativité et efficacité dans la grande bataille de l’IA.

Pascal Poty, de l’AdN, enfonçait le clou lorsqu’il déclarait “Alibaba, par exemple et à lui seul, est capable de mobiliser bien plus que 10 milliards et sur une courte période.”

Pour autant, les affaires ne sont pas forcément pliées.

Différenciation par la (réelle) valeur ajoutée, la pertinence socio-économique et l’éthique. Est-ce, notamment, via de tels arguments et initiatives que l’Europe et, à notre niveau, la Belgique ou la région, peuvent espérer se ménager une place et un rôle pertinents sur la carte mondiale et, surtout, au profit des usagers, des entreprises, des services?

C’est en tout cas la volonté.

Pascal Poty, à nouveau, résumait l’espoir: “L’Europe a-t-elle perdu la première manche? C’est certain. Peut-être, un jour, en se focalisant sur des aspects tels que l’éthique, la promotion de la transparence des algorithmes, la protection de l’impact sociétal…, l’Europe pourra-t-elle trouver une place différenciatrice. Peut-être. 

Par contre, pour la deuxième vague de l’IA – le B2B -, nous avons des arguments très forts. Les Google et autres Alibaba ne sont pas intéressés par les données métier. Avec des moyens moins gigantesques que pour la première vague de l’IA, nous avons donc des chances d’émerger.

Nous avons aussi clairement une carte à jouer, en ce compris au niveau wallon, pour l’“IA perceptive” grâce à de nombreux programmes de recherche et à la qualité des chercheurs (reconnaissance d’image, interactions homme-machine…).

Quant à la phase ultérieure de l’IA autonome, tout le monde se cherche encore.” Les jeux ne sont donc pas encore faits, voire même esquissés.

Et de conclure: “le plus important est d’identifier tous les projets existants ou potentiels afin de constituer une force de frappe importante au niveau régional. En assurant une connexion avec le niveau fédéral pour avoir une pertinence au niveau européen.”

La balle (l’une des balles) est dans le camp du gouvernement

Côté wallon, les premières actions, dans le quatre axes du Plan évoqués si-dessus, ont pu être lancées et financées grâce à un budget “d’amorçage” puisé dans ce qui restait de l’enveloppe du Plan Digital Wallonia 2015-2019. Date d’échéance : juin 2020. Au-delà, toute action dépendra d’un budget à décider et préciser.

Notons toutefois cette promesse formulée en filigrane par le ministre Willy Borsus (en charge de l’Economie et du Numérique), lors du “kick off” de cette semaine: “Le gouvernement veut poursuivre la mise en place de la stratégie numérique. Le texte de la Déclaration de Politique Régionale réaffirme la volonté d’accompagner la révolution numérique, notamment par un soutien à la recherche et à l’innovation dans le numérique. Il faut accentuer les efforts.

[…] Le Plan IA wallon est important parce que c’est là un enjeu économique majeur pour le futur de la Région, son économie et l’emploi.”

Après un tel acte de foi, on verrait mal comment le gouvernement pourrait refuser de financer les futurs efforts. Reste à savoir à quelle hauteur…

Sur le terrain, les responsables des différents axes du Plan se disent d’ailleurs conscients que pour convaincre le gouvernement de budgéter quelque chose qui tienne la route, il leur faut démontrer que les premières actions entreprises sont pertinentes et porteuses.

Ainsi, les modalités du programme Tremplin IA sont en train d’être peaufinées afin de sélectionner des projets qui aient des chances de se transformer en “POC” (proof of concept) réussis, à valeur (économique) ajoutée. 

 

Pascal Poty (AdN): “Pour espérer avoir une réelle pertinence, il faut [au niveau wallon] un plan AI pluri-annuel, avec un budget garanti afin d’être crédible, notamment par rapport à ce qui se fait dans les régions voisines.”

 

Côté fédéral, la question du budget est elle aussi centrale – et en suspens.

AI 4 Belgium attend, depuis près d’un an en fait (dès avant sa création), la formation d’un gouvernement fédéral de plein exercice, en mesure de voter un budget.

Entre-temps, les activités ne sont pas pour autant à l’arrêt et se concentrent sur la création et l’animation de groupes de travail thématiques (tant verticaux – santé, énergie, sécurité – qu’horizontaux – éthique, enjeux sociétaux…) et sur la réalisation d’une cartographie répertoriant les ressources et besoins. Les quelques éléments évoqués précédemment au chapitre “Prochaines actions” illustrent ce travail de “cartographie”.

Un plan d’action IA au niveau belge, lui, ne verra le jour qu’en avril prochain. En espérant être financé.