Emmanuël Houdart: “Wallon de l’Année” pour son action pro-IT, pro-maths

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Par · 01/03/2018

Le récipiendaire 2018 du titre de “Wallon de l’Année” est Emmanuël Houdart, guère connu du grand public, si ce n’est par quelques apparitions récentes dans les journaux télévisés et quotidiens à l’occasion d’un différend avec la… Fédération Wallonie-Bruxelles.

Qui est cet homme qui vient de recevoir ce maillot jaune symbolique, traditionnellement décerné par l’Institut Destrée à une personnalité qui “s’est particulièrement distingué, pendant l’année écoulée, au travers d’actions et d’activités qui contribuent au développement de l’économie wallonne”? Et comment ambitionne-t-il de répéter dans le domaine de l’apprentissage code/programmation ce qu’il a déjà mis en oeuvre pour les maths?

Emmanuël Houdart est le directeur et le fondateur de la Maison des Maths à Quaregnon. Enseignant de formation (licencié et agrégé en sciences mathématiques) et de profession (jusqu’en 2015), il dit avoir deux passions: l’enseignement et les mathématiques. Mais des passions qu’il ne pratique pas de manière classique et purement académique. Et qui ne se limitent en fait pas à ce seul cadre thématique puisque sa nouvelle initiative touche à l’informatique, à l’apprentissage du codage et de l’algorithmique par les plus jeunes. Lire à ce sujet l’interview qu’il nous a accordée et que vous pouvez découvrir ici.

Depuis de nombreuses années, Emmanuël Houdart a ainsi ajouté une dimension majeure à son profil d’enseignant. A savoir, celle d’“entrepreneur sociétal”.

En 2003, il crée en effet l’asbl Entr’Aide, destinée à apporter une aide structurelle, pendant l’année scolaire, aux élèves du secondaire qui ont des difficultés en mathématiques et ce, de manière structurée, sur le long terme.

En septembre 2015, l’asbl donne naissance à la Maison des Maths, toujours à Quaregnon (près de Mons). “Un lieu qui permet d’expérimenter, de découvrir et de modéliser des expériences mathématiques.”

La Maison des Maths accueille, sur réservation (minimum 15 personnes), des élèves et des étudiants de la maternelle aux futurs enseignants et leur propose des activités variées – depuis le palais de Kif Kif le Calife, pour faire découvrir le monde des grandeurs aux plus jeunes, jusqu’à l’espace Remue-Méninges pour rendre ludiques des concepts du genre théorème de Pythagore, nombre d’or, ou  encore la construction de ponts “à la Léonard de Vinci”.

Voir aussi, en fin d’article, les autres activités de la Maison des Maths.

Des maths au code…

Aujourd’hui, dans le prolongement direct de l’expérience et des activités de la Maison des Maths, c’est donc aussi une “Maison du Code” qui est en passe de voir le jour et qui, si les accords et subventions officiels se confirment (feu vert attendu courant mars du côté du Digital Belgium Skills Fund), pourrait déployer ses premières activités après Pâques. Tant en Wallonie qu’à Bruxelles.

Un déclencheur?

Son titre de Wallon de l’Année va peut-être changer l’optique des décideurs politiques au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles et, plus spécifiquement, le regard que porte la ministre Marie-Dominique Schyns – enseignement – sur ses activités. Du moins est-ce le voeu de ceux qui, dans le jury, ont voté pour Emmanuël Houdart…

Jacques Lanotte, président du jury “Wallon de l’Année” de l’Institut Destrée: “En choisissant Emmanuël Houdart, le jury a voulu montrer l’importance de l’articulation entre un enseignement porté par des pédagogies innovantes, une formation appropriée, la culture technologique et l’imprégnation numérique aujourd’hui indispensables au développement économique.”

Rappelez-vous. A l’automne 2017, le nom de la Maison des Maths déboule soudain sur le devant de la scène, à l’occasion d’un apparent conflit avec la ministre.

Le problème vient d’un manque de moyens structurels qui permettraient à l’asbl de maintenir ses activités. Si elle peut en effet s’appuyer sur 12 professeurs détachés, leurs salaires sont facturés à l’asbl qui n’a jusque là eu droit qu’à des subsides publics ponctuels, non pérennes, avec obligation pour elle d’aller quémander quelques budgets, au compte-goutte, du côté du privé. Google et Total, notamment, ont ainsi alloué quelques lignes de financement vitales.

Mais les sollicitations de subsides structurels auprès des autorités publiques avaient été rejetées. Voici quelques mois encore, la ministre Marie-Martine Schyns demandait des “garanties de gestion” avant d’accéder à la demande de prise en charge des salaires par la Communauté française. “Il faut pérenniser le projet”, déclarait-elle notamment lors d’une interview accordée à la Rtbf.

“Avoir fait, peut-être, trop d’engagement, avoir fait gonfler le projet trop vite, ce n’est pas un signe de bonne gestion financière, en bon père de famille. Il faut d’abord retrouver cette bonne gestion, et des garanties pour la suite avant d’envisager – peut-être – d’autres pistes”, déclarait-elle au micro de la Rtbf, le 21 novembre 2017. Une “explication” qui laisse pour le moins dubitatif… Doit-on en conclure que lorsque le besoin, la demande de ce genre d’activités est bel et bien présent, il faut le modérer, ronger son frein? En pleine ère de besoins de compétences numériques, de dévissage des compétences de nos “jeunes têtes blondes” dans les classements Pisa et de désintérêt pour les sciences? L’adjectif “dubitatif” n’est pas à la hauteur…

Cette fin de non-recevoir risquait de sonner le glas de l’initiative… alors que le carnet de réservation pour séances d’animation et de sensibilisation ludico-pratique aux maths était annoncé comme complet… jusqu’en 2019.

Aujourd’hui, les choses semblent être en passe de s’aplanir et de s’améliorer, comme l’explique – et l’espère – Emmanuël Houdart dans son interview (à découvrir ici). Une aide fédérale est attendue, de même qu’un support du gouvernement wallon et, peut-être, aussi de la Fédération.

L’“effet Destrée”

Tout est souvent une question de bonnes connexions, de circonstances favorables, d’entregent. La désignation, par l’Institut Destrée, sous l’impulsion du jury (constitué de l’aréopage des précédent(e)s Wallon(ne)s de l’année -, couplée aux démarchages en coulisses de Pierre Rion à destination, notamment, des responsables politiques régionaux, semble avoir eu un premier effet.

Un arrêté, impulsé par le gouvernement wallon, vient d’être passé cette semaine qui décide de l’octroi d’une subvention de 240.000 euros que le ministre Pierre-Yves Jeholet, ministre en charge de l’Economie et du Numérique, dit vouloir “pérenniser”. En accord avec son collègue Jean-Luc Crucke (Budget).

Emmanuël Houdart (Maison des Maths): “Un grand merci au gouvernement wallon grâce auquel la Fédération se mouille un peu. Sans votre intervention, nous aurions dû fermer.”

Preuve que le travail de pression, en coulisses, a porté ses fruits, on ne dénombrait pas moins de trois ministres régionaux (tous de la même couleur politique) à la cérémonie de remise du Prix Wallon de l’Année. Voir notre photo ci-contre.

Le “geste” du gouvernement wallon n’en restera peut-être pas là. Lors de cette cérémonie, Pierre-Yves Jeholet a également déclaré qu’il avait demandé à son équipe, en collaboration avec Pierre Rion, président du Conseil du Numérique, de réfléchir à la manière de “donner une petite soeur à la Maison des Maths [et du Code?)] qui permettrait de financer un projet de version itinérante à travers la Wallonie”. Histoire de démultiplier le potentiel et de ne pas limiter les animations au seul site de Quaregnon (même si ce n’est pas tout-à-fait le cas).

Le “geste” du gouvernement wallon semble en outre devoir débloquer, dans une certaine mesure, la position de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui pourrait, elle aussi, débloquer des fonds et résoudre ainsi le problème de financement des prestations fournies par les enseignants détachés. Mais cela reste à confirmer. Cette petite phrase de Pierre Rion, toujours prêt à donner un coup de pied dans la fourmilière, devrait parvenir aux oreilles destinataires: “Je vois mal les pouvoirs publics refuser un soutien financier au Wallon de l’Année…”

La Maison des Maths, c’est aussi…

En plus des sessions d’animation organisées à Quaregnon et des ateliers dans les établissements scolaires, l’action de la Maison des Maths investit aussi d’autres environnements et dimensions. Exemples?

  • Deux projets Eramus+ (programme d’échange éducatif de l’Union européenne), lancés voici deux ans: InfoMath et MathSpace, qui impliquent des partenaires de 11 pays et qui se termineront en apothéose, en octobre prochain, par un colloque international organisé à Quaregnon.
  • Un One Man Show d’Emmanuël Houdart. Seul en scène “mais avec Pythagore”, il a aussi adopté la méthode de l’expression théâtrale comme moyen de sensibilisation d’un large public au goût et à la signification profonde, concrète, des maths. Son “One Math Show” de deux heures s’est déjà matérialisé, depuis décembre dernier, par 12 représentations, dans des salles d’habitude dédiées à la culture, organisées tant en Belgique qu’à l’étranger (France, Canada…).
  • Des événements tels que le Pi-Day (Pi comme le nombre Pi – 3,141592… -), qui se tiendra cette année le 18 mars. Une “journée festive, mathémagique”, pour “divertir, instruire, explorer les maths en couple, en famille ou même en individuel”. Quel que soit le degré de passion ou de curiosité, ou l’âge (grand écart, parmi les inscrits, entre un bambin de 5 ans et une… doyenne de 102 ans!).

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