VentureLab (Liège): laboratoire de volonté entrepreneuriale

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Par · 24/08/2016

Le VentureLab a été créé début 2015, avant que le concept n’en soit généralisé par l’AEI (agence wallonne pour l’entreprise et l’innovation). C’est donc le premier “dispositif” pour “étudiants-entrepreneurs”, destiné à incuber et à transformer en jeunes pousses commerciales des projets porter par les étudiants en dernière phase de leurs études.

Public-cible: les étudiants et les jeunes diplômés du pôle académique (universités et Haute Ecoles) des provinces de Liège et de Luxembourg.

Le VentureLab a été créé sur base d’un constat posé par Bernard Surlemont, professeur en entrepreneuriat et gestion internationale à la HEC Liège (mais d’autres, dans d’autres établissements l’ont également posé): les jeunes aujourd’hui affichent davantage une volonté d’entrepreneuriat, de créer leur propre “boîte” au sortir des études. Mais entre l’“attitude favorable” affichée par les jeunes vis-à-vis de l’entrepreneuriat (93%), l’intention affichée de créer une entreprise (43%) et le réel passage à l’acte (seulement… 3%), le fossé reste abyssal.

Bernard Surlemont en est venu à la conclusion que “ce fossé s’expliquait par un manque de crédibilité, d’expérience et de carnet d’adresses pour pouvoir franchir le pas du monde professionnel”, déclare Sophie Joris, directrice du VentureLab.

D’où l’idée de créer l’incubateur estudiantin pour insérer dans le cursus le fameux “chaînon manquant” qui empêche les étudiants de concrétiser cette volonté d’entrepreneuriat qui s’effiloche trop vite.

Mais ce “chaînon manquant” ne fut pas la seule raison ayant conduit à la création du VentureLab. “Le professeur Surlemont s’est par ailleurs rendu compte que le monde n’était pas en crise mais plutôt en mutation. Qui, dès lors, peut être acteur de cette transition économique si ce n’est les jeunes? Ce sont eux qui peuvent répondre aux enjeux actuels.

Spécificités du programme?

L’encadrement des étudiants au VentureLab est assuré par des entrepreneurs professionnels, réels acteurs de terrain – “au moins 10 ans d’expérience en tant que fondateur ou repreneur d’entreprise” -, qui peuvent justement pallier à ce manque d’expérience et de carnet d’adresse qui décourageait jusqu’ici.

Ils sont 7 actuellement.

Leur rôle: accompagner le jeune dans la concrétisation de son projet

Comment?

“Nous voulons un accompagnement de proximité. Mais le travail est important. Il y a, en moyenne, 10 projets par coach”, indique Sophie Joris. “Nos statistiques montrent que cela correspond, en moyenne, à 4 heures d’accompagnement personnalisé par mois. Mais, en période plus intensive, lors de la création ou d’une levée de fonds, cela peut passer à 4 heures par semaine…

Comme ils sont sélectionnés via marché public, ils ne sont autorisés qu’à travailler maximum 3 jours par semaine. Le minimum est d’un jour par semaine, pour qu’ils soient réellement impliqués et familiarisés avec notre structure. Mais pas plus de 3 jours parce que cela ne doit pas non plus devenir sa “carrière”. Cela doit rester une envie de partager son expérience, dans un esprit back to society.”

Les coachs s’astreignent par ailleurs à une séance de réflexion dans la stratégie du VentureLab. A raison d’un jour par mois.

Un coaching supplémentaire est assuré par une personne de CIDE-Socran qui intervient sur des matières telles que le montage d’un plan financier, la définition d’une convention d’actionnaires…

Clubs de réflexion. Peu d’étudiants travaillent seuls à leur projet. La moitié se sont constitués en groupe. Lors de leur arrivée au VentureLab, les jeunes sont invités à rejoindre des “clubs” – de réflexion, d’action, de rencontres. “Tous ces clubs ont une thématique: smart city, économie en transition, économie sociale… Ces clubs permettent aux jeunes de rencontrer des professionnels, des industriels… 19 projets étudiants se sont par exemple inscrits au club BeLab, sur l’économie en transition.”

Jauger les potentiels

Choix et sélection des projets. L’idée de base est celle des étudiants. “Elle doit être déjà bien construite mais nous n’avons pas de niveau d’exigence spécifique. Lors du passage devant le “Comité d’entrée”, l’attention se porte surtout sur la personnalité de l’étudiant, qui est notre critère de sélection. Nous voulons déterminer s’il y a une réelle volonté de prendre les commandes de son avenir.”

Qui siège à ce “comité d’entrée”? Deux coachs expérimentés, un jeune entrepreneur et deux membres de l’équipe du VentureLab.

Sophie Joris: “Notre volonté est que le VentureLab soit avant tout une communauté. Nous voulons fidéliser la start-up pour qu’elle reste dans la communauté et que le jeune partage son expérience.”

“Il y a deux risques dans une structure d’accompagnement à la création d’entreprise”, déclare Sophie Joris. “Le premier est de ne pas croire dans l’individu alors qu’il a les capacités et les compétences. Le second est de faire trop longtemps confiance au jeune et de ne pas être “efficient”, en tant que structure financée à parts égales par le privé et le public. [A noter que le VentureLab, à cet égard, fait figure d’exception dans la mesure où tous les autres “dispositifs” sont encore exclusivement financés par l’AEI].

Pour éviter ces deux risques, le comité d’entrée évalue la “niaque” du jeune qui passe ensuite par une période de probation de 3 mois. Cela lui permet de prouver son envie et ses capacités, de prouver qu’il en a les moyens, en termes de temps et de pouvoir de concrétisation.

A l’issue de cette période, le jeune repasse devant un comité où siègent les coachs ainsi que les membres de l’équipe du VentureLab. Il doit alors prouvé qu’il a progressé dans son projet.”

Durée de l’incubation? Le timing, en fait, n’a pas encore été totalement balisé. “Nous sommes encore trop jeunes. Mais la durée du programme est une question que nous nous posons tous les jours.

Notre volonté est que le VentureLab soit avant tout une communauté. Nous voulons fidéliser la start-up pour qu’elle reste dans la communauté et que le jeune partage son expérience – que ce soit le lancement d’une start-up ou, au contraire, l’arrêt d’un projet…

Au bout d’un an, un nouveau passage devant un comité permet de déterminer si nous réorientons le jeune vers une autre structure d’accompagnement ou s’il désire rester au sein du VentureLab, notamment pour préserver ses relations avec son coach.

Nous sommes en train d’étudier quelles formules lui permettraient de garder une relation solide avec les coachs tout en leur garantissant une “autonomisation” dans la gestion de leur entreprise…”

Le choix de la durée d’accompagnement au sein de la structure est aussi une décision qui incombe au jeune. “Il est responsabilisé par un système que nous appelons “dette d’honneur”. Le jeune reçoit 100 ou 200 euros par mois, dont il sera redevable s’il crée une entreprise. La “dette” est exigible lors de la création et sera remboursable en fonction de ses ressources de trésorerie.”

Un cadre académique en mutation

En quoi l’arrivée du VentureLab a-t-il apporté du nouveau par rapport à l’enseignement antérieur?

Sophie Joris: “certains professeurs suivent leurs étudiants dans leur démarche entrepreneuriale. Par ailleurs, le fait que des organismes tels que Les Jeunes Entreprises (LJE) ou le YEP (Young Enterprise Project) organisent des concours dès le secondaire a pour effet d’introduire l’entrepreneuriat, le learning by doing, dans les écoles. Le fait qu’ils doivent imaginer un business model, trouver des investisseurs… sont autant d’étapes importantes.

10 des 121 projets accompagnés au VentureLab ont suivi un programme LJE ou YEP… Et il y a foison d’autres initiatives du genre en milieu scolaire. Le travail de l’AEI, en la matière, est très important…” [Ndlr: programme Générations entreprenantes]

Quelle insertion dans le programme scolaire?

Les projets portés au sein de l’incubateur, pour l’instant, sont une activité – et une charge de travail – supplémentaire par rapport au cursus.

Pas d’équivalent de mémoire ou TFE. Pas d’inclusion dans les crédits [par opposition à ce qui se fait déjà dans le cadre du programme StarTech, destiné aux écoles d’ingénieurs].

Une évolution est toutefois probable. “Nous avons déjà réalisé un projet-pilote. Les étudiants pourraient faire leur stage ou leur mémoire sur leur projet personnel”, indique Sophie Joris

L’ULg a été la première université francophone à mettre sur pied le statut d’étudiant entrepreneur, inspiré du statut d’étudiant sportif ou d’étudiant artiste. Cela permet à un étudiant qui entreprend d’être “reconnu” par l’université. Un processus est en cours qui permettrait à cet étudiant de faire son stage dans sa propre entreprise en quelque sorte.

Idem à l’HElmo (Haute Ecole libre mosane) où 3 étudiants ont réalisé cette année leur stage sur base de leur projet, avec comme maître de stage leur coach du VentureLab…

“Légalement, le renforcement du statut d’étudiant-entrepreneur, est possible mais encore au stade de projet.” Pour l’instant, cela reste donc une activité supplémentaire au parcours académique. Ce qui, vu la charge de travail, peut s’avérer pénalisant. “Il faut que le jeune puisse concilier les deux – le parcours académique et le parcours entrepreneurial. C’est l’un des éléments qu’on évalue à l’issue de la période de probation.

En septembre 2015, on a évalué le pourcentage de réussite scolaire et il est élevé. Il est de 85%, soit plus que la moyenne. On se rencontre que nos jeunes sont extrêmement motivés.”

Bilan après 18 mois
  • 20 créations d’entreprises
  • 125 jeunes incubés
  • les projets concernent surtout le domaine ICT (applis, solutions Web…), le model design, et l’agro-alimentaire
  • 21 sociétés créées en un an (l’espoir, au départ, était d’en susciter… 4)
  • 21 projets arrêtés en cours d’incubation. Mais, chose importante, le VentureLab mesure l’“indice de volonté entrepreneuriale, à l’entrée et à la sortie de l’incubateur [Ndlr: l’indice de volonté se base sur une évaluation spontanée de l’étudiant qui doit le situer sur une échelle de 1 à 10]. Chose remarque, “cet indice est toujours plus important à la sortie. Même lorsque le projet a dû être arrêté, pour une raison ou une autre”, souligne Sophie Joris. Signe fort que ces étudiants n’en resteront pas là… “L’indice ne diminue que pour quelques rares cas.”

Proportion d’étudiants vs jeunes diplômés: 63% – 37%

56% des inscrits viennent de l’ULg, toutes facs confondues (doit, études commerciales, philosophie, vétérinaires…) ; 37% émanent des Hautes Ecoles des provinces de Liège et Luxembourg (HEC Liège en revendique un tiers). Les 7% restants proviennent d’autres établissements – en ce compris étrangers.

Si le cadre est celui de l’enseignement supérieur, on relève une petite exception parmi les incubés du VentureLab: un étudiant y est en effet entré alors qu’il était encore en 5ème secondaire. “Accepté parce qu’il a démontré de réelles compétences entrepreneuriales.”