Tournai: la vidéo pour “comprendre” la mobilité

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Par · 25/06/2015

Le centre de recherche Multitel (Mons-Tournai) a initié un projet de recherche “smart mobility” en vue de développer des solutions innovantes permettant de relever divers défis que pose la mobilité urbaine contemporaine (embouteillages, empreinte carbone, attractivité urbaine…).

Ville-“cobaye”: Tournai. Une ville choisie pour diverses raisons: taille moyenne mais mixité de zones urbaines et rurales, caractère transfrontalier à proximité d’un noeud autoroutier important, centre-ville qui fait cohabiter héritage historique et commerces, proportion de flux de population (travail, école, domicile)… Mais aussi, bien évidemment, l’intérêt de la ville pour ce que le numérique peut lui apporter. Ce projet de vidéosurveillance et vidéo-analyse est ainsi devenu l’un des éléments de son programme général SmarTournai.

Première phase

En septembre 2014, une “phase exploratoire” a été lancée, avec installation sur le Beffroi d’une caméra haute résolution (20 mégapixels; fournisseur: la société hollandaise Ampleye) qui, grâce à sa résolution supérieure, a permis la surveillance de l’ensemble du champ de la Grand Place.

Terrain d’expérimentation

Multitel a trouvé à Tournai un terrain d’expérimentation et de validation de concepts sur lequel le centre de recherche compte bien s’appuyer pour se positionner comme centre de ressources en matière de “smart cities” en Wallonie et pour diffuser et mutualiser les résultats R&D au bénéfice d’autres entités urbaines. “Pour ce faire”, indique François Narbonneau, responsable des projets liés aux smart cities, “nous faisons intervenir les compétence de nos divers départements: photonique, traitement du signal et de l’image, électronique embarquée, réseaux et télécoms.”

La R&D ne se cantonne pas uniquement à des développements de logiciels mais concerne également des recherches prospectives sur la manière d’exploiter au mieux des données provenant de diverses sources pour en dégager des informations réellement utiles. “Dans un contexte urbain notamment, les caméras et autres types de capteurs génèrent de très nombreuses informations qui commencent à être mises librement à disposition [phénomène des open data] mais sans qu’elles soient réellement exploitées. La plus-value consiste à combiner ces données entre elles pour permettre une lecture “intelligente” par les utilisateurs.”

Objectif: étudier l’opportunité d’un déploiement de caméras de surveillance urbaine, répertorier les problèmes et défis, et procéder à une étude de faisabilité tendant à démontrer qu’un “capteur” unique – en l’occurrence, cette caméra haute résolution – est en mesure, moyennant développement d’une solution de traitement de données adéquate, de satisfaire aux multiples objectifs d’une gestion de mobilité intelligente (surveillance du trafic, des congestions, analyse de fréquentation, gestion des places de parking…).

Pourquoi se lancer dans un tel projet de développement d’une nouvelle solution de traitement et d’analyse alors qu’il en existe déjà sur le marché? “Des solutions commerciales existent en effet mais elles ne sont pas adaptées au contexte local. Elles ne répondent en effet pas aux critères de taille, de moyens et de budget des villes wallonnes. Il reste donc d’énormes opportunités de R&D. Avec nécessité de tester les développements… Par ailleurs, les systèmes déployés jusqu’ici sont généralement mono-thématiques, avec autant de systèmes et de types de capteurs qu’il n’y a de thèmes d’analyse (sécurité, mobilité…).”

Le projet “exploratoire” visait donc à démontrer qu’une caméra haute résolution peut se justifier, dans un cadre urbain typique wallon, en remplaçant de multiples caméras moins performantes ou en évitant de devoir déployer des dispositifs qui s’avèrent, en finale, plus coûteux.

François Narbonneau (Multitel): “Les solutions commerciales existantes ne répondent pas aux critères de taille, de moyens et de budget des villes wallonnes. Il reste donc d’énormes opportunités de R&D.”

Résultat jugé probant. D’une part, la richesse de détails captés peut autoriser de multiples types d’analyses: fluidité de trafic, décompte de places de parking disponibles, analyse de fréquentation piétonne….

D’autre part, le champ de vision permet de couvrir un large espace, évitant de déployer par exemple (pour de la gestion de places de parking) de multiples capteurs (magnétiques ou électroniques) intégrés au sol, aux bornes de parking… comme le font certaines autres villes, en ce compris en Belgique.

Priorité à la problématique du parking

Pendant cette phase préliminaire, une solution d’analyse vidéo a été développée afin de détecter des places de parking disponibles en surface, aux alentours de la place. Ce développement fut basé en partie sur des composants et solutions technologiques nés au sein de Multitel, en partie sur des bibliothèques d’analyse pré-existantes et adaptées.

Repérage et comptage de voitures sur le parking de la Grand-Place de Tournai

Repérage et comptage de piétons sur la Grand-Place de Tournai

Résultat jugé concluant puisque la précision de détection a atteint les 98,3% pour ce qui est des places occupées et 92% pour les places libres.

La différence de précision – qui, a priori, peut paraître étonnante – entre le repérage d’une place libre par rapport à une place occupée tient à la nature de l’algorithme utilisé qui “ne reposait pas sur une reconnaissance de forme mais sur l’occupation de l’espace dans l’image”, souligne François Narbonneau. Résultat: il suffisait que l’image de l’emplacement considéré soit en partie obstruée par le passage d’autres véhicules ou la présence de personnes, pour que le logiciel soit pris en défaut.

L’étape suivante consistera dans une évolution vers un scénario multi-finalité: identification des places de parking libres, analyse des flux de circulation, identification des raisons d’engorgement, prédiction des disponibilités… Son succès dépendra évidemment de l’efficacité multi-finalité des logiciels d’analyse et du traitement. Une nouvelle phase d’évaluation s’ouvrira cet été afin de déterminer où placer l’“intelligence”: dans la caméra ou au niveau du centre de contrôle, en prétraitement ou post-traitement de l’information, application multi-finalité ou applications spécifiques (chaque caméra ne transférant alors que les données pertinentes)…

“L’analyse d’opportunité démarre cet été”, indique François Narbonneau. “Elle se déroulera en plusieurs phases. Nous commencerons par reproduire l’expérience initiale dans différents contextes (lieux, conditions météo…) avant de progressivement passer au calcul temps réel de l’information et sa transmission aux citoyens [pour informer notamment un automobiliste de la disponibilité d’une place de parking, en fonction de sa localisation actuelle, du nombre de véhicules se dirigeant potentiellement vers cette place, etc.]”

Autres points que les prochaines étapes du projet devront aider à éclaircir: le nombre de sites à équiper dans la ville. Notamment dans l’axe gare-coeur historique qui va faire l’objet d’un réaménagement afin de privilégier une mobilité multimodale (voitures, transports en commun, mobilité “douce”, covoiturage…). Le déploiement pourra potentiellement se faire dans d’autres endroits – carrefours, ronds-points, boulevards, accès autoroutiers -, notamment afin d’évaluer les conditions de trafic, identifier divers types d’activités, des éléments ou événements perturbateurs, des situations anormales…

Des caméras multi-finalités

Le principe de base, retenu à Tournai, est celui de la multi-finalité des caméras de vidéosurveillance: mobilité urbaine (relevés et analyse de flux de circulation, décompte et analyse de fréquentation piétonne dans les zones commerçantes, gestion des espaces de stationnement). Point commun toutefois: la mobilité.

Mais, par la suite, indique François Narbonneau, d’autres “briques” technologiques pourront venir s’y greffer, pour des finalités davantage orientées sécurité.

Des solutions (logiciels d’analyse pour caméra de surveillance) existant déjà sur le marché dans ce registre, les recherches de Multitel visent le développement d’algorithmes et de logiciels d’analyse vidéo permettant d’extraire des informations réellement pertinentes à partir des multiples flux de données. Flux vidéo mais aussi flux venant d’autres types de capteurs (en ce compris audio). “Nos travaux de recherche visent la manière d’automatiser au maximum la détection la plus précoce possible d’informations utiles dans tous ces flux.”

Multitel compte poursuivre le projet, même s’il ne pourra bénéficier – comme cela avait été espéré – d’un financement Feder. La ville de Tournai avait postulé pour un portefeuille de projets “SmarTournai” dont seul le volet infrastructure – réaménagement de certaines zones – a été accepté. Le volet R&D à orientation numérique, lui, n’a pas été retenu. “Nous allons continuer les développement, sur fonds propres parce qu’il y a clairement des opportunités à saisir. Plusieurs autres entités ont d’ores et déjà manifesté leur intérêt…”

R&D en fréquentation piétonne

Indépendamment du projet “Grand Place”, un autre travail de recherche est en cours dans le domaine de l’analyse de fréquentation piétonne. Non pas cette fois avec une finalité d’analyse de mobilité mais plutôt de redynamisation de zones commerciales, d’optimisation des aménagements urbains, d’analyse de fréquentation de manifestations culturelles…

Ce travail s’effectue dans le cadre d’une thèse. Là encore, la “source” est une caméra. Cette fois avec une solution logicielle qui ne se concentre pas sur l’analyse des visages mais plutôt l’étude des postures. Objectif: pouvoir discerner entre des personnes marchant et des consommateurs attablés par exemple à la terrasse d’un café.

L’utilité? “Détecter des zones attractives, à forte fréquentation, qui pourraient justifier l’implantation de commerces ou  encore identifier des aménagements urbains faisant obstacle à la fluidité de déambulation. La reconnaissance de posture permet d’affiner le comptage et, dès lors, de dégager des enseignements plus pertinents. L’originalité de la thèse tient surtout à l’usage et à l’interprétation qui seront faites des données.”