Uber / Djump: quand le “numérico-participatif” bouscule l’“ordre” établi

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Par · 28/04/2014

Le raffut qu’a suscité l’arrivée d’Uber en Belgique, ce service de transport alternatif, concurrent potentiel des taxis officiels, que l’on peut “réserver” via une simple appli, est loin d’avoir fini d’agiter le landerneau et de produire ses effets tant juridiques, législatifs que médiatiques.

Nous n’entrerons pas ici dans le vaste débat de l’économie alternative, participative, citoyenne, spontanée (ou quel que soit le nom qu’on lui donne). Bien des secteurs sont concernés et leur nombre ne cessera de croître à mesure que le numérique bousculera chaque domaine d’activités.

Si nous vous parlons d’Uber, c’est… pour nous arrêter sur l’impact que pourrait avoir ce débat sur l’existence de start-ups et de solutions d’origine locale. Car le marché belge n’a pas attendu que débarque cet acteur américain, aux moyens et ressources récemment “google-isés”, pour imaginer des services de transport différenciés qui mettent en pratique, sous différentes formes, le principe de covoiturage.

C’est ce que propose la start-up Djengo avec son appli et son service de covoiturage Djump.in, dont nous vous avons déjà parlé.

Même s’il n’y a pas eu de plainte officielle visant le service de la start-up (contrairement à Uber qui s’expose à des amendes administratives en cas de poursuite du service), Djump.in a malgré tout eu droit à une demande (non réellement formalisée) de cessation d’activités de la part de Bruxelles-Mobilité.

Problème: la lettre par laquelle Djump réagissait à cette “mise en demeure” n’a pas suscité d’écho, de réaction ou de prise de contact de la part des responsables publics. Et la jeune start-up bruxelloise s’étonne – understatement! – que le Cabinet Grouwels se dise prêt à rencontrer Uber mais semble oublier une offre de dialogue avec une initiative locale…

Ne confondons pas les genres

Les arguments utilisés, essentiellement par les compagnies de taxi, à l’égard d’Uber et de son service UberPop, pourraient-ils s’appliquer à Djump? Les responsables de la société ne le pensent pas. “Notre modèle est quelque peu différent”, souligne Tanguy Goretti, CEO de Djengo. “Pour débarquer à Bruxelles, Uber a adapté son concept VTC [voiture de tourisme avec chauffeur] en proposant UberPop, sorte de covoiturage urbain mais avec des chauffeurs opérant à titre professionnel. Djump.in, pour sa part, est un service de “covoiturage social” qui relève plutôt de l’esprit de communauté entre personnes privées, avec échange de services de transport, sans tarif à la clé. Nous avons opté pour le principe de la donation volontaire à la fin d’un trajet, le conducteur et le passager s’accordant sur les frais à couvrir.”

Tanguy Goretti (Djengo/Djump): “Il est vrai que nous sommes dans un modèle disruptif qui vient bousculer les règles mais nous sommes ouverts à discuter de différents moyens pour faire évoluer le cadre existant”.

Pour l’heure, Djump est donc relativement épargnée par le débat Bruxelles contre Uber et compte bien continuer son petit bonhomme de chemin, convaincue que “les Bruxellois ont besoin de davantage d’offres, de solutions mobiles complémentaires. Bruxelles a réellement besoin d’évoluer dans ce domaine pour améliorer la mobilité urbaine. Il est vrai que nous sommes dans un modèle disruptif qui vient bousculer les règles mais nous sommes ouverts à discuter de différents moyens pour faire évoluer le cadre existant”.

Les activités de Djump “progressent bien” – Tanguy Goretti n’en dira pas plus (la discrétion est désormais de mise face au nouveau “concurrent”).

La start-up compte en outre continuer de développer son service et son appli afin de marquer encore davantage sa différence. “Nous voulons encore améliorer l’expérience utilisateur, la sécurité, rendre l’appli la plus sociale possible, plus fluide et plus simple à utiliser. Notre volonté est de faire des trajets et déplacements un véritable moment de partage et d’échanges et de renforcer les liens entre les membres de la communauté.”

Entre-temps, la start-up a débarqué à Paris qui lui a réservé un bon accueil, “les besoins étant encore plus importants qu’à Bruxelles et le principe de covoiturage participatif davantage accepté.”

Des réunions planifiées

Dans les prochains jours, des réunions auront lieu qui impliqueront le “secteur” [lisez: les compagnies de taxi], le Cabinet Grouwels et Bruxelles-Mobilité. Pas certains qu’à ce stade, le “camp” des start-ups soient invitées au débat.

Bruxelles-Mobilité, en tout cas, se dit conscient de la problématique et de l’urgence qu’il y a à la régler., conscient aussi que les temps, rythmes et réactions du législatif et de l’administration sont en totale désynchronisation avec l’accélération des technologies et des usages.

Des décisions “stratégiques” devront être prises. L’une des pistes évoquées est de faire développer une application “au niveau régional” pouvant répondre aux souhaits (et inquiétudes) du secteur. Question: que va-t-on recommander, préconiser, voire imposer? Une solution nouvelle développée par le secteur – mais n’y aura-t-il pas alors autant d’applis éventuelles que de compagnies de taxi? par un acteur mandaté par la Région qui proposerait une solution unique? sans bloquer ou entrer en concurrence avec des projets de start-ups? l’exemple de Fix My Street fera-t-il école?

“Il faut d’abord définir le scope, développer une stratégie, trouver rapidement une solution qui soit acceptable par tous les acteurs concernés, en ce compris Uber, par exemple”.

D’autant plus, ajoute-t-on au niveau bruxellois, que dès l’instant où l’on s’engage dans une politique volontariste open data – autre concept soutenu par Brigitte Grouwels -, on ne fera que susciter de multiples initiatives nouvelles…

Besoin d’une réflexion globale

Uber, Djump, AirB&B et consorts bousculent, franchissent ce que d’aucuns voudraient considérer comme des règles inviolables. Mais, comme le font remarquer maints observateurs, les arguments évoqués par les acteurs en place, par les lobbys et par les décideurs politiques (ou certains d’entre eux), ne tiennent pas forcément la route. Hors considérations relevant de la sécurité, de la vie privée ou des assurances, l’argument de la menace pesant sur les emplois locaux n’a pas fait l’objet d’une analyse objective et poussée jusqu’au bout, relèvent certains. Et tenter de bloquer certaines initiatives en imposant des amendes administratives – “alors que le contrôle des infractions sera problématique” – risque aussi d’empêcher des projets purement locaux, portés par des entrepreneurs du crû, avec des innovations technologiques originales, de voir le jour.

Qu’en pense au fait le Cabinet de Céline Fremault (ministre bruxelloise de l’Economie) ou ses homologues, tant au régional qu’au fédéral? Il semblerait en tout cas – officieusement – que les cabinets Fremault et Grouwels ne soient pas forcément sur la même longueur d’ondes…

Mais obtenir une réponse, en cette période pré-électorale, relève de la gageure. Sujet sensible. Car l’emploi et tout le sujet de l’économie participative sont en jeu. Prendre position maintenant serait vu comme forcément entaché de visées – ou gesticulation – électoralistes. Sans effet durable, qui plus est