Une question de compétences?

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Par · 12/09/2013

Au-delà des applications hyper-classiques telles que le traitement de texte ou des solutions Web que l’on adopte sans se soucier des technologies sous-jacentes, l’open source est-elle une piste intéressante pour les PME et TPE?

En la matière, les avis émis par nos divers interlocuteurs divergent sensiblement. Parfois pour des raisons de positionnement commercial sur le marché. Certains intégrateurs, en effet, sont volontairement très sélectifs dans les solutions open source qu’ils portent à leur catalogue. Histoire de minimiser les risques- voire les investissements auxquels ils doivent eux-mêmes consentir en termes de compétences à maîtriser.

D’autres sont nettement plus volontaristes et verront donc moins d’obstacles à ce qu’une société de taille modeste, par exemple, adopte l’open source.

Petit florilège d’opinions et perceptions.

Les “frileux” ne sont pas toujours ceux qu’on croit…

Gaëtan Delannay (GeezTeem) ne travaille pas pour des clients privés mais ses petits clients dans le secteur public peuvent aisément être comparés à des TPE ou PME. “La plupart ne veulent pas savoir comment marche le logiciel. Il ne leur est en outre pas nécessaire d’acquérir des compétences techniques. Ce qu’ils aiment avant tout, c’est la souplesse d’une solution open source: les demandes des utilisateurs sont plus aisément prises en compte par l’éditeur ou la communauté. L’effet de mutualisation leur garantit en outre des nouveautés gratuites. De plus en plus de mes petits clients sont prêts à payer un service “tout compris”. Ils me délèguent la maîtrise des compétences techniques et louent un serveur dans le cloud. Les plus grands clients, par contre, sont plus frileux vis-à-vis du cloud. Ils préfèrent maintenir l’IT chez eux pour en garder la maîtrise.”

EyePea, intégrateur de solutions VoIP (voix sur IP) open source, est pour sa part d’avis que les solutions libres s’adressent davantage aux moyennes ou grandes entreprises qu’aux TPE et petites sociétés. “Plus une organisation est grande, plus l’open source a du sens”, déclare Jacques Gripekoven, directeur de la société. “Et ce, par effet d’échelle. Le coût initial d’une solution open source peut en effet s’avérer un peu plus élevé, compte tenu du fait qu’elle est parfois moins packagée qu’une solution commerciale. L’installation exige donc plus d’efforts… même si les choses s’améliorent. L’avantage financier se manifeste avec le temps puisqu’en raison de coûts de licence, les coûts disparaissent. Plus il y a donc d’utilisateurs, plus la source libre se justifie [économiquement] par rapport à des solutions propriétaires.”

Autre argument qu’il invoque pour expliquer son point de vue: la nécessaire disponibilité de ressources humaines et de compétences IT en interne. A moins de pouvoir se tourner vers un prestataire externe. Ludovic Gasc, ingénieur intégration chez EyePea, confirme: “d’une manière ou d’une autre, la société doit “acheter” des compétences”. Soit en payant un tiers, soit en investissant dans du temps, en interne.

“Des solutions open source largement packagées, prêtes à l’emploi, qui ne demandent pas trop d’efforts pour la mise en place, permettant à la PME de continuer à se concentrer sur son coeur de métier.”

“Une PME”, enchaîne Jacques Gripekoven, “n’a pas les ressources internes suffisantes pour s’approprier les compétences nécessaires.” Même le principe de transfert de compétences vers le client que pratique systématiquement sa société lui semble hors de portée des PME: “ce transfert de compétences coûte cher, en temps, en ressources… Ce sont autant de prestations qu’un fournisseur facture” – et qu’une PME ne peut donc pas forcément se permettre.

Seule exception qu’il voit: des solutions open source largement packagées, prêtes à l’emploi, “qui ne demandent pas trop d’efforts pour la mise en place, permettant à la PME de continuer à se concentrer sur son coeur de métier.”

Il y a toutefois une perspective nouvelle qui se dessine à l’horizon, pour les PME, et c’est l’open source mutualisé dans le cloud. Lire aussi à ce sujet notre article sur le modèle économique de l’open source, en particulier les arguments du SaaS.

Manuel Pallage (NSI IT Software & Services): “Nos clients dans le secteur privé ne nous demandent quasiment jamais des solutions open source. Une PME n’est pas encline à faire de l’open source [de type ERP] dans la mesure où il s’agit là d’un projet d’entreprise qu’on ne fait généralement qu’une seule fois. Impossible de rattraper la sauce si on a pris une mauvaise décision dans le choix de l’outil. Celui qui prend la décision ne peut se permettre de louper son projet. Le raisonnement selon lequel on ne risque pas de perdre sa place de CIO en choisissant SAP, Microsoft ou Oracle est encore très vivace.”

Manuel Pallage (NSI IT Software & Services): “Trop d’éditeurs open source changent d’année chaque année. Ce qui n’est pas une garantie de stabilité.”

Cette déclaration ne signifie toutefois pas que NSI se tienne à distance de l’open source. La société l’implémente bel et bien mais essentiellement auprès de clients dans le secteur public. Ses choix de solutions proposées se limitent toutefois à des logiciels “matures, proposés par des acteurs stables”, ayant fait leurs preuves sur le marché. Exemples: Jahia, JIRA, Alfresco, Drupal, PostGresSQL… La société est en outre en train d’évaluer OpenERP afin de l’intégrer sans doute à son catalogue (suite à la demande d’un client).

Maturité et stabilité sont des critères majeurs, aux yeux de NSI, qui, de toute évidence, se refuse aux aventures aléatoires. “Trop d’éditeurs open source changent d’année chaque année. Ce qui n’est pas une garantie de stabilité.”

Conclusion? Il reste pas mal de chemin à faire pour ouvrir le champ de l’open source aux PME dans certaines registres applicatifs et, dans le chef de certains prestataires et intégrateurs, tout un volontarisme à s’approprier pour faire en sorte que les conditions de support et d’accompagnement nécessaires soient disponibles. En ce compris pour les PME. Faute de quoi, elles n’auront jamais d’autres choix que de se tourner vers des développeurs indépendants ou de très petits prestataires qui, par définition, ne disposent pas d’une envergure et de ressources suffisantes pour assurer une certaine stabilité et fiabilité du modèle open source.

Appropriation de compétences

Quelles compétences open source une entreprise doit-elle maîtriser en interne? Y a-t-il une différence entre PME et grande entreprise?

Il n’y a évidemment pas de réponse “standard”. Tout dépendra notamment du type ou de la nature de la solution choisie. Et pas seulement en termes de degré de technicité qu’elle implique. A priori, on pourrait se dire qu’une société a plus de chances, et de facilité, à maîtriser une solution de gestion bureautique, de gestion clientèle ou CMS qu’une solution VoIP.

Mais un autre volet de la réponse dépend aussi de l’environnement de développement de la solution. Le nombre de personnes maîtrisant tel ou tel langage, varie sensiblement. En Belgique, par exemple, il sera sans doute plus difficile de dénicher des profils Python que Java. Une compétence interne, dans ce cas, peut s’avérer plus intéressante.

S’approprier certaines compétences, techniques ou fonctionnelles, en interne est aussi parfois nécessaire si le nombre d’intégrateurs s’intéressant à la solution en question est réduit et/ou si leurs effectifs sont maigrichons. A moins qu’une communauté active et dynamique puisse intervenir au besoin mais elle ne sera surtout efficace que pour des questions ne touchant pas à des problématiques d’intégration avec d’autres systèmes et solutions IT qui risquent d’avoir des particularités locales ou métier assez poussées.

Lorsqu’il s’agit de choisir un intégrateur en guise de recours externe, un bon conseil est de vérifier dans quelle mesure il maîtrise réellement la solution. Soit qu’il ait développé lui-même le module ou l’outil. Soit qu’il ne doive pas se reposer trop intensément sur l’éditeur ou l’auteur d’origine.

PC Sol, par exemple, fait un argument commercial de son autonomie en la matière: “il est essentiel d’avoir un socle de compétences important. Nous ne faisons pratiquement jamais appel, par exemple, à OpenERP. Les solutions open source, nous devons les maîtriser nous-mêmes.”

D’autres pratiquent une stratégie légèrement différentes, veillant à ce qu’il y ait un transfert quasi systématique de compétences- de leurs équipes vers celles du client. C’est le cas d’EyePea.

Pour une société, quelle que soit sa taille, bien choisir son prestataire ou son intégrateur est évidemment essentiel. Petit conseil de Jacques Gripekoven: “opter pour un partenaire qui comprend bien le modèle de l’open source, qui connaît bien les projets et les communautés. Sinon, il est très facile de se tromper et de choisir un mauvais projet, une mauvaise solution…”

Sans oublier les compétences des prestataires…

L’élément confiance joue également à un autre égard: le manque de certification dans le monde de l’open source (ou sa rareté) a de quoi refroidir les ardeurs de clients potentiels qui s’inquiètent de la qualité de leur fournisseur (qu’il soit éditeur, consultant ou intégrateur). Des filières de certification en-ligne existent certes mais des certifications locales sont plus rares, de qualité variable, parfois totalement absentes pour toute une série de solutions libres. “Le secteur est nettement moins structuré que le monde des logiciels commerciaux”, confirme Jacques Gripekoven. “Le paysage est très varié selon le projet open source considéré. Parfois c’est du vrai “bazar”, parfois c’est plus structuré…”

L’absence [ou la rareté) d’éditeurs ou de créateurs d’origine locale n’aide évidemment pas. Et même des éditeurs tels qu’OpenERP ne procurent pas, aux dires d’un de leurs propres partenaires, des niveaux de formation élaborés. “La valeur ajoutée des cours d’un éditeur est souvent basique, juste bonne pour les débutants”, témoigne Patrick Charbonnier, directeur-associé chez PC Sol. “Une formation de 3 jours ou d’une semaine est clairement trop courte, vu la quantité de notions à apprendre. Les compétences de nos équipes sont dès lors construites au fil de leur parcours professionnel. Nous procédons également par coaching et review internes afin que les jeunes et les nouvelles recrues bénéficient des transferts de compétences des plus anciens. Histoire de ne pas sans cesse réinventer l’eau chaude…”