Le moulin a soif d’eau

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Par · 17/06/2012

Les premiers EPN sont nés entre 2005 et 2007. Autant dire que, pour les plus mal lotis, le vieillissement des équipements devient critique. De vieux PC sous Windows XP, voire même quelques antiques écrans CRT leur donneraient presque des allures de musée. D’autant plus que les utilisateurs, même s’ils ne sont pas accros des techno, rêvent aussi de tablettes et de smartphones. Mais les moyens, bien souvent manquent ou sont alloués dans des proportions bien trop modestes. La crise est passée par là pour les communes. Or, la grande majorté des EPN wallons relèvent de la commune et de ses budgets. Et en ces temps de budgets difficiles, l’IT est loin d’être une priorité.

“Si, d’ici un an ou deux, aucun effort de rajeunissement n’a été opéré”, craint Eric Blanchart, “la situation deviendra réellement problématique. Aujourd’hui, l’argent qui rentre est rare. Et si on privilégie le matériel, c’est souvent au détriment du reste, notamment des salaires.” Ce qui n’est guère mieux pour la motivation des animateurs, les heures d’ouverture ou la subsistance-même d’un site.

Au-delà des budgets communaux, les EPN, jusqu’à présent, sont surtout le fruit de divers investissements de la Région, au travers d’appels à projets successifs qui ont été pilotés par différents cabinets. Tous, pratiquement, et sous diverses législatures, ont lancé un tel appel à projets. Modestes mais c’était mieux que rien. Aujourd’hui, ce filon s’épuise. Il est même un cabinet qui semble être à la traîne alors qu’il est justement celui dont dépend le réseau d’EPN. A savoir, le ministre des Pouvoirs locaux, Paul Furlan. Pas par désintérêt volontaire, mais simplement parce que les priorités ont été placées ailleurs.

Au-delà de la mise à jour des PC, c’est aussi la question des nouvelles générations de “devices” qui se profile. Les tablettes, par exemple, apparaissent désormais comme l’un des supports d’avenir. “Ils bousculent le rapport à l’information, à la navigation sur Internet, à l’insertion d’une personne dans la réalité numérique. Et il est primordial, pour ne pas dire essentiel pour l’employabilité des individus, leurs chances de succès sur le marché de l’emploi, de connaître (sinon de maîtriser) ces nouveaux outils. Ils sont encore considérés comme des gadgets de luxe, du quasi superflu alors qu’il n’en est rien”, souligne Eric Blanchart. Il est donc important pour les EPN de pouvoir se les approprier et pour les animateurs et les participants aux formations d’y avoir accès. Face à un prix qui reste souvent relativement cher, une piste pourrait être explorée du côté des low cost, d’origine chinoise, notamment.

M’sieur Furlan, un petit geste. Pour survivre

Le réseau des EPN recherche en fait “une oreille attentive” au niveau des pouvoirs publics pour inscrire l’initiative dans une perspective de pérennité. A l’origine, le réseau a été placé sous l’égide de l’administration des Pouvoirs locaux. Cela lui offrait en principe des perspectives de pérennité, de participation à divers plans orientés insertion, formation, société… Aujourd’hui, estime Eric Blanchart, cet ancrage ne présente plus d’avantages, en particulier depuis deux ans. “L’idéal serait sans doute de sortir les EPN de ce cadre-là mais cela pose évidemment le problème de la rémunération des animateurs qui ne seraient plus assimilés au personnel communal.”

Une piste a peut-être été identifiée mais avec un gros point d’interrogation en termes de stabilité à moyen, voire déjà à court terme. 18 EPN se sont déjà inscrits dans la filière PCS (Plan de Cohésion Sociale) qui vise la réinsertion sociale, en ce compris via le numérique. Le budget PCS est confortable et pourrait alimenter les EPN mais rien ne garantit qu’il soit reconduit en 2013… Même questionnement pour ce qui est de la persistance du Plan PMTIC (Plan Mobilisateur pour les Technologies de l’Information et de la Communication), “qui risque de disparaître en 2013”.

Or, un tiers des EPN sont des opérateurs PMTIC, visant dès lors un public de chercheurs d’emploi, à qui ils font découvrir les outils bureautiques et apprivoiser l’univers Internet. Le fait de relever de ce plan permet aux EPN de recevoir des subsides à hauteur de 7,5 euros par heure et par stagiaire. Si ce filon s’assèche, “un tiers du réseau risque tout simplement de disparaître”, avertit Eric Blanchart.

Eric Blanchart adresse donc un message direct à Paul Furlan. Dans le style: parez au plus pressé. “J’aimerais le convaincre de dégager ne serait-ce qu’un million pour maintenir l’outil en vie, nous permettre de tenir jusqu’à fin 2014. Pour la suite, on verra, on cherchera d’autres pistes.” Avec ce message supplémentaire: “Si le réseau EPN venait à disparaître, c’est un public tout entier qui serait laissé sans outil. Toutes ces personnes en recherche d’emploi ou en situation de précarité, pour qui c’est une nécessité de trouver ce genre d’endroit. Et ce ne seront pas d’autres organismes, Forem ou ALE, par exemple, qui pourront reprendre le flambeau…”

Des pistes, mais où?

Emanciper les EPN des Pouvoirs locaux impliquerait de mettre en oeuvre un nouveau modèle, de trouver des partenaires et sponsors plus commerciaux. Il est vrai que les contraintes imposées aux contrats publics privent les EPN de quelques “gestes” que certains acteurs économiques disent être prêts à faire.

L’un des points sensibles, et lourds pour les budgets, est le renouvellement ou la mise à jour des équipements. L’environnement quasi exclusif est celui de Microsoft (on ne dénombre que 8 EPN tournant exclusivement sous Linux). Le poids des licences est un réel souci. Mais même si, comme le souligne Eric Blanchart, la société est de bonne composition et se dit prête à faire bénéficier les EPN des conditions avantageuses réservées aux sphères académiques, les services juridiques bloquent toute transaction de ce genre. Par crainte de plainte pour abus de position dominante.

Autre partenaire potentiel renvoyé sur les roses: Belgacom qui, chaque année, distribue plus de 3.000 PC (neufs ou reconditionnés) à des associations en tous genres. Mais “un opérateur public ne peut pas offrir de matériel ou de connectique hors appel d’offres.” Les EPN, chapeautés par les Pouvoirs locaux, sont donc, une nouvelle fois, disqualifiés. Même Close the Gap, qui remet dans le circuit des PC délaissés par des entreprises ou administrations, ne peut desservir les pouvoirs publics… Toute intervention dans le cadre d’un EPN ne peut donc être qu’individuelle et ponctuelle.

L’espoir pourra-t-il venir, malgré tout, du secteur public? Certaines décisions et une coordination plus cohérente de l’insertion numérique au niveau régional sont nécessaires. Pour l’instant, les compétences auxquelles le réseau EPN pourraient faire appel sont éparpillées dans divers cabinets, qui ne travaillent pas toujours dans la meilleure intelligence possible. Quoi de plus aisé que de se renvoyer la balle entre cabinets en charge de l’emploi, de l’insertion sociale, de la fracture numérique, voire de la formation. Pourquoi, s’interroge Eric Blanchart, ne pas plutôt réunir la problématique sous une même autorité. L’idéal à ses yeux serait d’en faire, dans le cadre du Master Plan TIC, une compétence dévolue à Rudy Demotte “qui déléguerait alors des missions en inter-cabinet”.

Ou alors… Le Centre de ressources EPN de Wallonie devrait se livrer à un nouvel exercice d’identification des particularités et points forts des espaces du réseau: lieu d’hébergement (bibliothèque, CPAS…), qui influence souvent l’orientation des activités, type de public attiré… Pour l’instant, ces données ne sont pas collectées de manière systématique – notamment parce que les EPN n’utilisent pas toujours des outils ad hoc (ne serait-ce qu’Excel), voire rebutent à vouloir “cartographier” leur public.

Un tel exercice d’identification pourrait pourtant autoriser une sorte de polarisation – action sociale, d’une part; aide à l’emploi, de l’autre. “L’objectif n’est nullement de créer un réseau à deux vitesses mais plutôt d’identifier les activités et projets sortant du lot, présentant de la valeur ajoutée, de renforcer les dossiers. Cela pourrait conduire à définir des appels à projets thématiques.” Etant donné que l’argent manque pour faire évoluer le réseau tel qu’il existe aujourd’hui, une meilleure focalisation des moyens est peut-être la solution. Une meilleure identification permettrait ainsi aux différents Cabinets de mieux identifier qui fait quoi sur les thématiques qui relèvent de leur autorité. Histoire donc de faire débloquer des moyens mieux segmentés par chaque Cabinet.

En attendant les convoyés de la fracture numérique attendent…

Renforcement des partenariats en 2012

Outre la campagne de sensibilisation engagée vis-à-vis des mandataires locaux, 2012 sera aussi placée sous le signe de l’ouverture. Objectif: attirer vers le réseau et la labellisation (simplifiée, pour la circonstance) les structures d’inclusion numérique qui se sont créées dans le pays et qui gagneraient à rejoindre le réseau, y trouvant un accompagnement, une visibilité et crédibilité qui, parfois, font défaut.

La totalité de ces structures n’ont pas encore été identifiées (c’était l’un des objectifs du Baromètre 2012 de l’AWT qui, cette année encore, a braqué son projecteur sur les communes). “Outre les quelque 140 EPN labellisés, on compte sans doute encore quelque 120 autres structures individuelles en Wallonie”, estime Eric Blanchart.

L’ouverture devra également se faire, sous forme de relations plus étroites, voire de partenariats, avec des associations ou organismes complémentaires qui opèrent sur le même territoire communal que l’EPN: Forem, ALE, …

Eric Blanchart: “on s’est aperçu, après un certain temps, que seulement la moitié des EPN avaient noué, en suffisance, des partenariats avec le local. Beaucoup vivaient en simple autarcie. Depuis deux ans, nous avons donc sensibilisé les EPN afin qu’ils améliorent cet état de choses. Un partenariat avec au moins une autre structure locale (Maison de l’emploi, ADL-Agence de développement local, ALE…) est ainsi devenu l’une des conditions pour la sélection des projets soumis à l’occasion de l’appel à projets “Antoine”. Technofutur TIC propose régulièrement des formations aux animateurs d’EPN afin qu’ils apprennent à identifier et collaborer avec des partenaires locaux mais, d’une manière générale, nous les encourageons à opérer par eux-mêmes. Il y a en tout cas de claires complémentarités à exploiter. Les Maisons de l’emploi, par exemple, n’ont pas le temps de faire de l’accompagnement à l’appropriation des outils du Web et de l’univers numérique par les chercheurs d’emploi, en particulier ceux qui sont en rupture, plus précarisés. L’EPN prend le relais, leur inculque le b.a.-ba de la recherche numérique d’emploi, leur fait découvrir les filières de formation…”.

Technofutur TIC aide donc les animateurs à se former à la recherche de subsides, à l’identification de partenaires potentiels, à la gestion de projets, à la sensibilisation des mandataires locaux. “Les animateurs doivent impérativement être plus efficaces dans la manière dont ils préparent et formulent leurs déclarations de projet [auprès des sponsors éventuels]”, conclut Eric Blanchart.

Les recommandations de l’AWT

Dans son Baromètre 2012, l’AWT (Agence wallonne des télécommunications) estimait qu’il serait utile de “développer les animations des EPN” et à évoluer encore davantage vers la médiation numérique. “La majorité des citoyens sont aujourd’hui bien équipés mais ne maîtrisent pas toujours les technologies”, déclare Isabelle Rawart, expert en communications économique ICT auprès de l’AWT. “Les EPN doivent davantage servir à aider les citoyens à les domestiquer. Pour développer les activités dans ce sens, il y aurait intérêt à mutualiser les bonnes pratiques. Dans son rapport , l’AWT relève ainsi toute une série d’activités qui rencontrent un succès certain et se démarquent de formations et séances d’informations qui se limitent au b.a.-ba ou à ces aspects trop prosaïques qu’Eric Blanchart parlait lui aussi. Quelques exemples? L’utilisation des réseaux sociaux par les seniors afin d’améliorer le contact avec la famille, les amis éloignés ou leur communauté; des ateliers pour enfants ou adolescents consacrés au livre numérique, à la création de site, au montage de vidéo, aux serious games ou à la réalité augmentée; la formation à la création d’une entité numérique pour décupler les chances des chercheurs d’emploi; des EPN mobiles pour mieux desservir une large population. L’AWT prône également un élargissement de la cible: “des sessions de proximité autour d’usages avancés d’Internet sont également parfois proposées aux artisans, commerçants, TPE et PME. A l’exception de quelques EPN labellisés bénéficiant d’une équipe très active, ces possibilités ne sont pas encore suffisamment intégrées en Wallonie. En France, on peut citer l’exemple de BOUTIC, une initiative du Conseil régional Nord Pas-de-Calais lancée en fin 2008, qui permet aux territoires ruraux d’offrir gratuitement à leurs commerçants, entreprises et agriculteurs une série d’ateliers basés sur les potentialités offertes par une présence active sur le Web, par les technologies innovantes (tablettes tactiles, smartphones, etc.) et les applications métier disponibles.”