Projet Sci-App: exploiter les big data à des fins sociétales

Pratique
Par · 10/12/2012

A l’Université de Namur, le centre de recherche naXys (Namur Center for Complex Systems) étudie les systèmes complexes, qu’ils soient de nature humaine, biologique, technologique ou financière. Parmi les personnes qui sont impliquées dans les recherches figurent le professeur Renaud Lambiotte et son doctorant qui, en novembre, ont lancé l’application mobile Late for Good (demande de compensations pour retards ferroviaires à répétition).

Cette application est en fait la partie émergée d’un projet plus vaste baptisé Sci-App (Mobile Apps for Science) qui a vu le jour dans le cadre d’une thèse de doctorat. Son objet: améliorer la compréhension des comportements sociaux au moyens de techniques mathématiques.

Le projet Sci-App a en effet pour objectif de mieux comprendre les comportements collectifs sociaux, en étudiant pour ce faire des scénarios d’usage, des schémas de propagation… Le champ d’analyse est potentiellement vaste. Parmi les domaines d’étude- et d’action-, citons par exemple la mobilité, la propagation de rumeurs, de maladies…

L’un des points communs de ces phénomènes est leur complexité, la multitude d’acteurs (volontaires ou non) qui les font naître et évoluer et la difficulté qu’il y a à en comprendre les ressorts.

Pour les décrypter, analyser, prédire et/ou résoudre, deux conditions essentielles doivent être réunies: collecter un nombre suffisant de données pertinentes et les analyser.

C’est pour tenter de satisfaire à la première condition que l’application Late for Good a été imaginée par le doctorant (Vsevolod Salnikov, un étudiant russe qui fait ses études à Namur) et son directeur de thèse, le professeur Renaud Lambiotte.

Ce qui a influencé le choix du thème pour l’appli développée est la volonté de s’inscrire dans une démarche sociétale et citoyenne, “là où, généralement, les finalités sont ludiques ou commerciales. Notre objectif premier est d’apporter une aide réelle, directe, aux individus. En l’occurrence les navetteurs”, insiste Renaud Lambiotte.

D’une pierre, deux coups, en quelque sorte. D’une part, collecter, en respect des préceptes de respect de la vie privée, suffisamment de données pour alimenter la base de données qui servira de socle au travail de recherche et, de l’autre, proposer une application à utilité citoyenne.

Des données pour la science

L’objectif du projet et de la thèse: analyser les données collectées (à diverses sources), données qui devront être les plus nombreuses possibles, et générer algorithmes et modèles.

“Chaque fois que nous utilisons notre téléphone mobile ou que nous nous connectons à notre compte e-mail, nos actions sont stockées dans une base de données électronique”, explique le Prof. Renaud Lambiotte. “Ces données sont principalement analysées et monétisées par des sociétés commerciales, alors même qu’elles ont une utilité potentielle pour le bien public en vue de résoudre des problèmes touchant à la santé publique ou à la planification urbaine. Le but de notre projet est d’utiliser les smartphones comme des “capteurs sociaux” en vue de collecter des données du monde réel. Les données seront exclusivement utilisées à des fins scientifiques.”

D’autres applis que Late for Good pourraient être développées en cours de thèse, pour générer des données. Le travail n’en est encore que dans sa phase de démarrage (la thèse a été démarrée en novembre et se poursuivra sur 4 ans) mais Renaud Lambiotte ébauche l’une ou l’autre voie de recherche qui pourrait être investiguée. Par exemple, l’analyse de la manière dont une maladie se propage et s’appuyant sur divers “outils” tels que les concepts de géolocalisation, d’appli mobile, de participation spontanée des utilisateurs.

Prof. Renaud Lambiotte: “Ces données sont généralement monétisées par des sociétés commerciales, alors qu’elles ont une utilité potentielle pour le bien public.”

Autre scénario, dans un registre et avec une envergure sensiblement différents: la manière dont les individus utilisent les vélos de location mis à leur disposition par certaines villes (Namur est du nombre).

Pour l’heure, le travail se limite au seul duo Lambiotte/Salnikov mais le professeur namurois n’exclut nullement la possibilité d’embrigader un ou plusieurs autres doctorants à la prochaine rentrée académique. Des liens pourraient également être tissés avec l’UCL (où le département de mathématiques appliquées procède à des études sur base des “big data” produites par la téléphonie mobile) ainsi qu’avec le Computer Lab de Cambridge, avec lequel Renaud Lambiotte a déjà travaillé. Ce laboratoire informatique universitaire britannique poursuit par exemple des recherches sur les profils psychologiques des utilisateurs Facebook (profils personnels et réseaux d’amis dans lesquels ils évoluent). Parmi les objectifs: étudier la relation entre un profil et les activités en-ligne d’un individu.

Combiner toutes ces données (usages et usagers de téléphonie mobile, de Facebook, de Twitter…) et analyser les interactions et effets de propagation permettrait de tirer des enseignements utiles non seulement sur les comportements collectifs mais aussi sur ce qui suscite ou favorise leur émergence.

C’est d’ailleurs là l’un des objectifs que poursuit le centre de recherche transdépartemental Naxys de l’UNamur (Namur Center for Complex Systems), auquel est rattaché le professeur Lambiotte.

Le projet Sci-App bénéficie d’un financement du FNRS (Fonds National de Recherche Scientifique) et du réseau DYSCO (Dynamical Systems, Control and Optimization), réseau PAI (pôle d’attraction interuniversitaire) financé par Belspo (Politique scientifique fédérale).


Vsevolod Salnikov est déjà détenteur d’une maîtrise en mathématique appliquée de l’université Lomonosov de Moscou et d’une maîtrise en systèmes complexes à l’ENS de Lyon.

Renaud Lambiotte, professeur au département de mathématiques de l’UNamur et membre du centre de recherche naXys, effectue des recherches en matière de développement d’algorithmes permettant d’identifier des informations au sein de réseaux complexes. Parmi ses autres axes de recherche: l’étude de données empiriques dans les systèmes sociaux et biologiques, et la modélisation mathématique de la mobilité humaine et de la diffusion en réseaux.

Les recherches qu’effectuent les personnes rattachées au centre naXys peuvent concerner de multiples domaines: depuis la biologie jusqu’aux systèmes de transport en passant par les réseaux sociaux, les réseaux de télécommunication, les systèmes financiers, ou la dynamique des corps célestes.