Services publics et IA: encore faut-il passer du stade de l’idée au projet…

Pratique
Par · 15/09/2022

Lors d’une session d’information et de réseautage, organisée par DigitalWallonia4.ai et l’AdN, responsables publics (villes, communes, administration régionale, intercommunales) et entreprises privées actives (peu ou prou) dans la sphère de l’intelligence artificielle ont eu l’occasion d’envisager la mise en oeuvre de divers projets IA au service des services publics.

Le “champ des possibles”, comme on a coutume de l’appeler, est vaste et varié: automatisation et accélération des processus administratifs, amélioration de l’interaction entre agents publics et citoyens, détection de changements (de quelque nature qu’ils soient) ou d’anomalies dans les processus, dans les relations ou dans les comportements des bénéficiaires concernés…

Lors de cette matinée DigitalWallonia4.ai/AdN, sept acteurs publics étaient venus présenter l’esquisse de projets qu’ils voudraient voir se concrétiser dans les mois qui viennent – potentiellement en pouvant s’appuyer sur une aide financière publique provenant d’un appel à projets (Smart Region ou Tremplin IA).

A noter ici au passage que l’appel à projets Tremplin IA à destination des services publics (administrations, villes, communes mais aussi hôpitaux publics par exemple) vient d’être lancé. Les porteurs de projet candidats peuvent introduire leur dossier jusqu’au 15 novembre. Plus de détails sur le site de Digital Wallonia.

Balayons rapidement les idées et thématiques que ces sept acteurs publics ont ainsi présentées, espérant convaincre un prestataire privé de s’en saisir pour soit lancer le projet, soit faire équipe dans le cadre d’un projet épaulé financièrement par la Région.

La Ville d’Ath voudrait (faire) développer un outil d’extraction, d’analyse et de classification automatiques de données permettant à ses équipes de traiter plus efficacement la multitude de demandes, émanant de citoyens ou d’entreprises, sollicitant une aide, un renseignement, une intervention – que ce soit dans le registre gestion urbanistique, mobilité, état civil… 

Le but serait ainsi de mieux trier et pré-orienter les demandes, en fonction de leur thématique, vers le bon service, en intégrant le flux avec les procédures existantes. L’espoir, en outre, serait d’ainsi disposer d’un outil qui puisse également servir à d’autres pouvoirs locaux.

Les Villes de Namur et de Mons pointent quant à elles la mobilité urbaine comme l’un des sujets où l’IA pourrait les aider. La première dit vouloir “mieux comprendre l’occupation des espaces de parking et de stationnement” sur son territoire, afin de prédire ce taux d’occupation, de prioriser certaines zones, voire d’instaurer un piétonnier.

Parallèlement, un projet namurois pourrait avoir pour thème un diagnostic local de sécurité “afin de mieux comprendre le territoire et ainsi pouvoir cibler les actions, comprendre pourquoi tel problème ou incident se produit éventuellement davantage dans telle zone, en raison du profil de population, de bâti… et, ainsi, pouvoir différencier la gestion”.

La Ville de Mons, elle, réfléchit davantage en termes de fluidification des déplacements – automobiles ou collectifs. L’orchestration de la multi-modalité est également à l’agenda de ce possible projet. L’espoir est qu’une solution IA puisse évaluer la situation actuelle, “identifier des dysfonctionnements et des pistes d’amélioration et prédire l’impact d’aménagements de la voirie…”

Le département Environnement du BEP (Bureau économique de la Province Namur) imagine un projet assez proche de celui de la Ville d’Ath en termes d’identification et de classification de thèmes dans les demandes émanant du public. Mais dans son cas, le pré-traitement automatisé concernerait les plaintes concernant la collecte, le tri et la valorisation des déchets.

“En exploitant les jeux de données disponibles – cartographie, géolocalisation des domiciles ou sites d’entreprise concernés, horaires de passage des camions poubelle (par ailleurs géolocalisés), etc. Un tri automatique pourrait être opéré pour apporter des réponses plus rapides aux réclamations pouvant aisément être résolues par simple intervention d’un chatbot. “Dans plus de 50% des cas, les plaintes ne sont en effet pas fondées et leur traitement pourrait dès lors être automatisé”… 

La Province de Brabant wallon, pour sa part, voudrait pousser plus loin la réflexion sur les potentiels de l’IA pour identifier et comprendre les relations ou interdépendances qui caractérisent les entreprises du territoire, qu’elles soient actives ou non dans le même secteur. Et ce, dans la perspective de pouvoir prédire des besoins ou des opportunités de mise en relation, de collaboration et de renforcement des réseaux et écosystèmes.

L’ISSeP (Institut Scientifique de Service public) envisage diverses applications potentielles de l’IA pour améliorer ses actions. Deux exemples: développer un chatbot pouvant répondre à des questionnements de la population au sujet de la qualité de l’air, du taux de concentration de polluants ou de particules fines à proximité de leur domicile…

Pour ses propres besoins au quotidien, l’ISSeP aspire à une solution de veille automatisée qui surveille et identifie, dans la masse de publications scientifiques publiées au quotidien, des informations pertinentes sur différentes thématiques environnementales. Notamment, là encore, en matière de polluants, de laboratoires compétents en ces matières…

Enfin, le SPW (service public de Wallonie) espère pouvoir définir une infrastructure lui permettant de mieux exploiter les informations disponibles au niveau européen en matière de suivi des activités agricoles. Sont notamment concernés le traitement, l’analyse et la réactualisation des myriades de données satellite et l’automatisation des chaînes de traitement de cette information.

Un terrain encore fort vierge

Le constat ne concerne pas uniquement les acteurs publics wallons – il est posé de manière bien plus large, à l’échelle nationale mais aussi à l’étranger: le taux d’adoption, ou simplement d’acceptation, de l’IA dans le secteur public est encore faible. En cause, notamment, une méconnaissance des potentiels de l’IA dans ce secteur particulier, des craintes de dérapage, des suspicions de surveillance généralisée, des inquiétudes à propos de potentielle disparition de fonctions, tâches et emplois confiés jusqu’ici à des individus…

Yves Poullet, ancien directeur du centre de recherche Crids (Informatique et droit) de l’UNamur et co-fondateur du NaDI (Namur Digital Institute de l’UNamur), pointait pour sa part sept défis à relever pour voir s’installer une IA de confiance et “soutenable”:

le défi de l’éthique et des inégalités: “il s’agit de placer les libertés individuelles, la justice sociale et le respect de l’environnement et des règles démocratiques au centre des préoccupations”
– le défi technologique: il faut le relever pour oser l’innovation
– le défi humain: l’être humain doit garder la maîtrise de l’IA
– le défi des compétences: “il s’agit d’éduquer les agents du service public mais également les citoyens à l’IA, à ses potentiels et à ses implications”
– le défi des données: qualité et interopérabilité des données sont des conditions sine qua non – un registre où, soulignait-il, la Région a un rôle à jour pour assurer que les données (publiques) soient accessibles, interopérables, réutilisables
– le défi légal: “il faut tenir compte d’un cadre légal complexe et parfois contradictoire – régional, fédéral et surtout européen (AI Act, Data Governance Act, Data Act)” ; s’adressant plus particulièrement aux représentants des services publics et pouvoirs locaux présents, il déclarait: “vous avez l’obligation de procéder à une évaluation interne de l’application IA que vous désirez développer et cette évaluation doit être multi-disciplinaire et être assortie d’un rapport – en ce compris sur les risques. L’évaluation doit en outre être continue, afin de surveiller l’évolution de fonctionnement de l’IA”
– le défi de l’évaluation et de l’acceptation sociale: “il est nécessaire d’évaluer l’impact des applications et de discuter ouvertement des enjeux”.