Quelques échos de la conférence Open Belgium

Pratique
Par · 09/03/2017

Nouvelle édition, en début de semaine, d’opte Belgium, la conférence entièrement dédiée à l’open data.

Après Namur et Anvers, c’est Bruxelles, cette année, qui jouait les hôtes. Avec un message qui se voulait positif et optimiste: les choses avancent, les pouvoirs publics se saisissent de plus en plus de la question des open data, des législations ont été passées aux différents niveaux de pouvoir belges (fédéral et régionaux), les jeux de données se multiplient sur les divers portails, plusieurs villes ouvrent leurs données (Bruxelles, Anvers, Ostende, Gand, Namur)…

Bart Hanssens, expert en interopérabilité au sein du SPF Stratégie et Appui (qui inclut l’ancien Fedict): “Il y a de bonnes nouvelles du côté des licences. La pression se fait plus forte pour évoluer dans le sens Creative Commons Zero (CC0) et le concept “comply or explain” gagne en popularité au sein des différentes instances gouvernementales du pays.” Pour rappel, ce concept de “comply or explain” désigne en fait la primauté que l’on veut donner à une licence CC0. Sans quoi, les pouvoirs publics qui choisiraient pour un autre type de licence, plus restrictive, auraient à expliquer – et documenter – leurs raisons…

Ton Vanagt (Open Knowledge): “En ces temps où l’on parle tellement de Publifin et de PubliPart, il est plus que jamais judicieux de militer pour un registre ouvert des mandats.”

Toutefois, comme le rappelait, Toon Vanagt, membre du conseil d’administration d’Open Knowledge Belgium et fondateur de data.be et de lex.be, “en matière d’open data, on a cueilli jusqu’ici les low hanging fruit mais il reste énormément de choses à faire, de terrains à explorer, de barrières à faire disparaître.”

Quelques exemples:

  • les “linked data” (interconnexion et interopérabilité des jeux de données) qui devraient être le prochain objectif – “le concept de linked open data est un concept naturel à favoriser dans un Etat fédéral tel que le nôtre qui doit interagir avec des Régions et des Communautés”, soulignait par exemple Bart Hanssens. Naturel et, plus encore, ultra-nécessaire…
  • les données temps réel
  • l’open science
  • l’exploration de la dimension et des défis éthiques de l’utilisation des algorithmes; l’identification de modèles de revenus viables pour les ré-utilisateurs (le thème de la “valeur” des données fut l’un des thèmes de la conférence – voir plus loin)
  • la prise en compte de la dimension de la vie privée (et de son respect), notamment à la lumière de nouvelles législations, telles la Règlement général sur la Protection des données (GDPR)

Autre mise en garde de Toon Vanagt: “de nouveaux cerbères, défendant de nouveaux monopoles, se profilent à l’horizon. Il s’agira de les combattre.” Notamment dans une perspective de modèle économique viable pour les open data.

Pourfendeur de fausses excuses

A l’occasion de la conférence Open Belgium, Noël Van Herreweghe, open data manager au sein du département Information in Flanders (Affaires publiques) du gouvernement flamand, s’est vu décerner une récompense pour sa longue implication dans la promotion des données ouvertes. En particulier, pour avoir réussi à convaincre les autorités flamandes à dépasser les habituels freins et excuses (les “50 shades of no”) qui sont souvent opposés à l’ouverture des données.

Noël Van Herreweghe: aucune excuse pour ne pas se lancer dans l’open data…

La valeur des open data

“Libérer” ses données, les mettre à disposition de tous (citoyens, start-ups, chercheurs, autres entreprises ou acteurs publics). Soit. Mais pour quoi faire? Avec quels bénéfices et avantages pour le “libérateur”? Le cas échéant, selon quel modèle de rétribution et de monétisation (puisque “free” et “open” ne signifie pas forcément “gratuit”)?

Vaste débat qui a été abordé, de-ci de-là, au cours de la conférence Open Belgium sans – forcément – en faire le tour. Voici quelques petites choses qui ont été dites ou redites…

Côté secteur et acteurs publics, l’utilité des open data peut être tout à la fois de permettre à des tiers (publics ou privés) de développer de nouveaux produits et services – et, vu sous cet angle, de jouer son rôle d’instigateur d’innovation – mais aussi d’en profiter pour améliorer la qualité de ses propres données et l’efficacité de ses services.

Côté entreprises et société civile, Heleen Vollers, consultante en gestion pour Capgemini Consulting (elle est impliquée, à la DG Connect, dans le développement de l’European Data Portal et des services qui y sont associés), énumérait quelques avantages et opportunités.

A commencer, là aussi, par la possibilité de (faire) développer de nouveaux produits ou services et de rendre leurs propres processus plus efficaces et transparents, mais aussi de repenser et d’inventer de nouveaux modèles commerciaux. Elle citait ainsi quelques exemples de la manière dont les entreprises, les associations ou le simples citoyens peuvent exploiter les données publiques? “Visualiser les budgets du secteur public. Côté soins de santé, en arriver plus rapidement à des conclusions au sujet de la situation d’un patient. Comparer les qualités de différentes écoles ou universités. Analyser les données d’une ville, d’un quartier. Obtenir des informations sur les feux de forêt…”

Un modèle économique toujours incertain

Monétiser les données ouvertes demeure un défi. Les participants à la table ronde en témoignaient à satiété. Qu’ils viennent du monde des start-ups (Toon Vanagt et son projet lex.be), des acteurs bien établis (Proximus) ou de la consultance (PWC), aucun n’a tiré de son chapeau le fameux lapin blanc magique.

Partout, les modèles et équations se calculent encore en coulisses: raisonnement freemium (mais selon une pondération très variable entre le gratuit et le payant), combinaison (également selon des doses variables) entre open data publiques et données endogènes monnayables, accès gratuit aux données mais payant pour des services “à valeur ajoutée” (notamment ceux s’appuyant sur le développement d’algorithmes prédictifs)…

Les participants énuméraient par ailleurs quelques conseils et mises en garde. Petit florilège.

“Vous retirerez davantage de valeur économique des open data si vous parvenez à réduire le nombre de personnes employées pour dépister et collecter les jeux de données pour, au contraire, renforcer les effectifs consacrés à l’analyse des données”. Logique cette remarque, émise par Glyn Arthur, vice-président Global Business Development chez Luciad, prestataire de développement de solutions d’analyse géospatiale pour les secteurs de l’aviation, de la défense et de la sécurité.

Nikos Loutas (PWC): “Définir, au sein de chaque entreprise, ce qu’est spécifiquement pour elle la valeur économique de l’open data.”

“Les jeux de données disponibles se multiplient mais la question à se poser est de savoir s’il s’agit des bonnes données, dans les bons formats. Le défi, désormais, est de produire les données pertinentes, dans le format qui convient et au bon moment.” Dixit Nikos Loutas, directeur chez PWC Consulting Technology. Qui ajoutait: “Un autre défi est de faire naître une culture de l’open data et du partage de connaissances.” Et pas seulement en interne mais aussi entre acteurs afin de s’inspirer et d’apprendre des autres.

“Il existe par ailleurs encore un large fossé entre les “producteurs” de données et les utilisateurs des données [ouvertes]. Et le maillon est toujours rompu entre le monde des open data et l’enseignement. Beaucoup de jeunes ingénieurs ou diplômés business n’ont jamais entendu parler des open data, n’ont jamais été exposés à ce concept. Or, c’est là, au stade des études, que peut se créer une culture des données ouvertes.”

Open data et/ou “fake data”?

L’un des orateurs invités à la conférence Open Belgium était Maarten Lambrechts, un “data journalist”, de ceux qui basent leurs articles sur l’analyse et l’interprétation des données afin d’en faire ressortir des éléments d’information propres à expliquer les ressorts d’une situation.

La question qui était posée au travers de son exposé était la suivante: “who should tell the data stories?”

Faut-il y voir un réquisitoire en faveur d’une pérennisation, sous une forme nouvelle ou augmentée, du métier de journaliste, une sorte de chasse gardée “pas touche à nos prérogatives”?

Il y avait sans doute de cela mais la question fondamentale n’en reste pas moins beaucoup plus essentielle: nul doute qu’un nombre et une variété sans cesse croissante d’acteurs de tous poils ne s’emparent des jeux de données et des open data pour en extraire des conclusions, statistiques, explications, scénarios voire élucubrations. Le tout est de savoir quel sérieux et quelle autorité leur accorder. En ces temps de “fake news”, il n’est guère difficile de fabriquer de fausses réalités…

Qui dit que celui qui malaxe les jeux de données n’a pas des intérêts et un agenda cachés? Intérêts et agenda qui n’ont pas forcément de respect pour la réalité. Même les organismes de statistiques très officiels (l’orateur le démontrait sur base de production d’analyses émanant d’organismes anglais et hollandais) ne sont pas forcément totalement honnêtes dans la manière dont ils utilisent les données. En “oubliant” ou occultant certains jeux de données, en ne livrant pas une analyse exhaustive… Et qui a les moyens de prouver le contraire?

Si de tels organismes officiels ne disent pas tout ou pas de manière totalement transparente, que dire d’autres acteurs aux finalités plus commerciales voire subversives…

De là à dire que seule la presse devrait être autorisée à “raconter les data stories”, il y a un pas que certains franchiront (et l’orateur était du nombre) mais nous n’irons pas jusque là. Pour plusieurs raisons.

Parce que cette presse, ces journalistes, ont aussi parfois des “grilles de lecture” spécifiques (nous n’irons pas jusqu’à dire des agendas ou préférences).

Parce que le “data journalisme” est une technique, une pratique et une dextérité qui doivent encore être apprises et apprivoisées. Des formations (sérieuses) sont nécessaires et doivent s’imbriquer dans l’apprentissage (académique ou sur le terrain) des autres ficelles indispensables des hommes et femmes de plume (et de souris).