Quelles formations pour les futurs enseignants?

Pratique
Par · 06/06/2018

Les futurs enseignants (instituteurs et professeurs de l’enseignement secondaire inférieur) ont droit à une formation intitulée “Apports des médias et des TIC [Technologies de l’Information et des Communications] en enseignement”. Un cours de 30 heures, souvent donné en dernière année dans les Hautes Ecoles pédagogiques mais qui ne prévoit pas une plage spécifique, et encore moins confortable, pour l’apprentissage de l’IT.

Les choses n’ont guère évolué depuis 10 ans, depuis que le CRIFA (Centre de Recherche sur l’Instrumentation, la Formation et l’ Apprentissage de l’ULg) a publié un rapport sur le programme HETICE (Hautes Écoles et TIC pour l’Éducation).

Que disait ce rapport? “Au niveau des enseignants des Hautes Écoles, le problème général reste un manque de maîtrise des TIC qui se traduit malheureusement par des difficultés à les employer à des fins de formation et d’enseignement. Plus particulièrement, trois problèmes précis sont identifiés: (1) l’absence de curriculum de formation des futurs enseignants quant à la maîtrise des TIC et à la réflexion sur l’apport des TIC et des médias en enseignement ; (2) le manque de maîtrise des TIC par les enseignants lié à des difficultés structurelles impliquant des répercussions sur l’efficacité des usages pédagogiques dans leurs cours et (3) une difficulté à gérer le partage des connaissances et des savoir-faire entre enseignants.”

Sur base volontaire

Retour dans le présent. Dans l’état actuel des choses, l’aménagement d’une réelle formation à la maîtrise des nouvelles compétences numériques (programmation, pensée informatique, algorithmique) dans les programmes de formation fait encore défaut. “L’apprentissage de l’IT ne fait pas partie – ou très rarement du programme. Il n’est souvent question que de bureautique”, regrette Julie Henry.

Par ailleurs, les formations initiales au numérique et aux “sciences informatiques” des futurs enseignants ne font pas encore l’objet d’un cursus obligatoire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elles ne sont encore planifiées que dans le registre “activités complémentaires” et uniquement lorsque les Hautes Ecoles concernées trouvent la chose suffisamment importante pour trouver un créneau.

En Flandre, les autorités ont prévu une plage plus confortable pour la formation continue des enseignants à l’IT – environ une semaine. Mais au nord du pays non plus, il ne s’agit pas d’une obligation. “Le programme semble s’essouffler”, relève Julie Henry, de l’UNamur. “Les plus motivés ont été touchés. Aucune structure n’étant définie, tout se faisant sur base volontaire, le manque de candidats se fait également sentir…”

Actuellement, l’initiative doit donc encore venir de directions ou de professeurs motivés et qui ont le poids nécessaire pour imposer qu’on y consacre un créneau.

C’est ce qui s’est passé cette année à la Haute Ecole Namur-Liège-Luxembourg (Henallux), à l’initiative d’une enseignante qui désirait fournir à ses étudiant(e)s davantage que le b.a.-ba de l’usage de la tablette en classe. Les étudiant(e)s ont eu droit à un cours intitulé “Intégrer les technologies dans son enseignement”, donné par l’UNamur, suivi par une petite plongée en stage sur le terrain, à l’école communale d’Aisemont. Lire notre article.

Formation continue

Côté formation continue, pour les enseignants déjà en activité, les choses ne sont guère plus avancées. Là aussi, le numérique est largement absent et ce qui se prépare ne semble guère rassurer les acteurs de terrain – même s’il est difficile, dans l’état actuel des choses, de savoir à quoi rassemblera le prochain Décret portant sur la réforme de la formation initiale – ou son successeur…

En attendant le cadre futur, deux acteurs ont été “missionnés” pour organiser, peu ou prou, la sensibilisation, l’information et l’accompagnement des enseignants désireux d’acquérir des compétences en numérique. SiCarré, pour le secondaire inférieur, et l’asbl Hypothèse, pour le primaire.

Le but de SiCarré est de renseigner, de sensibiliser mais aussi de donner quelques formations aux enseignants “désireux d’en savoir plus sur l’enseignement des sciences informatiques – comment s’y prendre, comment se former, comment l’enseigner, quoi enseigner…?. Le site de l’asbl répertorie en outre des ressources utiles (outils, activités, associations, astuces) pour l’enseignement de l’informatique en classe et se propose d’être une source d’informations à propos de l’enseignement des sciences informatiques. Plus d’informations dans cet autre article.

Pour le primaire, c’est l’asbl Hypothèse, basée à Liège, qui est aux manettes. Sa mission: “accompagner les enseignants du fondamental dans le développement d’un enseignement scientifique; d’être un lieu de réflexion sur l’enseignement des sciences [Ndlr: concept “sciences” qui inclut donc désormais la programmation et la logique algorithmique], un relais permettant de traduire en pratiques les résultats de la recherche en didactique des sciences; et de donner le goût des sciences et de l’esprit de recherche aux enfants.”

Ajoutons encore le lancement, début 2018, du projet Class’Code, un “projet de formation, en-ligne et présentiel, autour des sciences informatiques à l’école”. Son leitmotiv: “maîtriser la pensée informatique pour la transmettre”. Voir notre autre article pour plus de détailsAu programme: découverte de la programmation, de la robotique, de la connectique, de la gestion de projet informatique…

Le terrain en réclame plus…

Au-delà de ces initiatives, lancées à l’initiative de la Wallonie, où en est-on? Par exemple du côté de l’IFC (Institut de la Formation en cours de Carrière)?

La grille des formations continues de l’IFC ne comporte aucun module spécifique dédié à la formation au numérique. Une seule case pourrait accueillir ce genre de formation, selon Pascal Balancier, expert edtech à l’AdN: l’innovation pédagogique.

Si les formations à l’IT ont disparu, en tant que telles, du programme de l’IFC, elles ne sont pas bannies (lisez: formellement interdites) mais pour que les enseignants puissent s’y frotter, les responsables du programme doivent faire preuve d’imagination en aménageant des formations qui viennent s’installer dans des cases à l’intitulé se prêtant à ce genre de détournement. Du genre créativité à l’école ou innovation pédagogique.

Autre organisme de formation continue pour les enseignants: le Cecafoc, qui relève du Secrétariat Général de l’enseignement catholique. Il a maintenu la formation de l’IT à son programme mais seulement à raison de six demi-journées par an. Et on ne peut pas dire que le succès soit au rendez-vous: “10 ou 15 professeurs formés en un an”, estime Julie Henry, de l’UNamur, qui y donne des formations. “L’IT et la pensée informatique n’attirent pas.” Jusqu’à présent, les “profils” d’enseignants qui ont suivi ces formations ont essentiellement été des profs de sciences ou de maths. “Voilà pourquoi on a introduit le concept de “pensée informatique” pour que tous se sentent davantage concernés.” Intitulé de la formation: “La pensée informatique à portée de tous : se former pour mieux transmettre”

Résultat? Quelques professeurs de français ou de religion se sont inscrits mais “surtout pour démystifier le concept et non pas parce qu’ils seraient intéressés par le sujet.”

Décret en préparation

Dans le cadre du Pacte d’Excellence, un groupe de travail se penche, en parallèle, sur la réforme de la formation initiale des enseignants. Date-butoir pour atterrir: 2019. La matière relève de l’autorité du ministre Jean-Claude Marcourt.

Problème: “pas une seule ligne sur le numérique dans ce document de réforme”, entend-on comme reproche du côté des observateurs ! Toutefois, la messe ne serait pas forcément déjà dite. Des “travaux d’alignement” entre la réforme de la formation initiale et le Pacte d’Excellence, via le cabinet de Marie-Martine Schyns, seraient en cours.

Qu’en dit-on du côté du cabinet de Jean-Claude Marcourt? “Dès le début de la réflexion, il est apparu indispensable de créer un axe de formation intitulé “Communication” dans le but notamment d’héberger les enseignements relatifs aux TIC (technologies de l’information et de la communication) et à l’éducation aux médias.

Dans le projet de Décret actuellement en discussion, la formation aux TIC a été développée sous la forme de contenus d’enseignement qui soient communs à tous les futurs enseignants, contraignants  – en ce qu’ils devront être pris en compte par l’ARES (Académie de Recherche et d’Enseignement Supérieur) pour la réaction des référentiels – et qui donnent au numérique à la fois un rôle de sujet et de moyen d’enseignement.”

De quels contenus parle-t-on?

“ L’éducation aux médias est étendue au concept de littératie médiatique. Le texte vise la formation à la littératie numérique. Et l’initiation aux sciences informatiques est envisagée dans une perspective d’utilisation à des fins d’ordre éducatif, pédagogique et didactique.”

La complexité du mikado belgo-belge (et francophone)

Les rouages organisationnels et le découpage des responsabilités publiques en matière d’enseignement, du côté francophone, compliquent sensiblement les choses. Ou, à tout le moins, suppose une “bonne intelligence” entre les différents cabinets concernés. On ne peut donc qu’espérer que le courant passe et soit sur la même longueur d’onde entre les ministres Jean-Claude Marcourt et Marie-Martine Schyns. Sans oublier… Pierre-Yves Jeholet, côté wallon, héritier du portefeuille où l’on trouve le programme Digital Wallonia/Ecole numérique. Pourquoi?

Jean-Claude Marcourt, ancien détenteur de ce marocain, fait remarquer ce qui suit: “dans le cadre du Plan wallon d’équipement numérique de l’enseignement obligatoire “Ecole numérique 4”, partant du constat que l’équipement des établissements scolaires ne porte ses fruits que si les enseignants sont soutenus et formés au numérique, nous avions voulu être innovants en mettant sur pied des projets dits “tandem” qui associent la catégorie pédagogique de Hautes Ecoles et des établissements d’enseignement obligatoire en vue du développement de recherches-actions. Malheureusement, force est de constater que le nouveau Gouvernement wallon, malgré l’enthousiasme des établissements d’enseignement supérieur pour ce projet, n’a pas renouvelé l’expérience dans le cadre d’Ecole numérique 5.” 

Jean-Claude Marcourt: “Il s’agit de former des enseignants capables de développer chez les élèves, dès leur plus jeune âge, des bases numériques solides, assorties d’une pensée critique.”

Poursuivant sur un volet qui continue de relever de ses compétences, Jean-Claude Marcourt reconnaît que le chantier est encore long: “S’agissant de l’enseignement supérieur, des initiatives restent encore à développer telles que :

  • l’évaluation des équipements et des pratiques numériques dans l’enseignement supérieur à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles ;
  • le soutien à la mise en oeuvre de la pédagogie numérique dans les établissements (équipement, structures d’appui pédagogique et technique,…)
  • la mise en connexion et en synergie d’acteurs divers opérant de façon autonome sur des sujets identiques (par exemple : plateformes de ressources).

Au niveau de la Réforme de la Formation initiale, des contenus génériques sont en train d’être définis et apparaitront dans le décret. Par ailleurs, l’ARES définit des référentiels communs à tous les établissements de formation par type de formation (section et discipline). 

Il y aura des contenus plus pointus dans l’appariement de disciplines en section 3 “Technologies (Math et Technologies)”, avec une part importante sur l’enseignement de matières en lien avec le numérique. 

Enfin, il relève de la compétence des établissements d’enseignement secondaire de décrire les acquis d’apprentissage et les programmes de formation des futurs enseignants. L’ARES vérifiera a posteriori leur adéquation avec les référentiels adoptés. 

A noter encore que les contenus pédagogiques de l’enseignement obligatoire, qui portent plus spécifiquement sur le numérique sont en cours de réflexion au sein de groupes de travail Référentiel récemment créés par le Gouvernement. Ils travaillent sur la définition de savoirs et de savoir-faire numériques à acquérir autour du futur tronc commun. C’est la Ministre de l’Enseignement obligatoire [Marie-Martine Schyns] qui soumettra les référentiels à l’approbation du Parlement.”