Marc Senterre (Prayon): “donner des moyens aux digital pioneers pour éviter le shadow IT”

Pratique
Par · 04/03/2020

L’éveil des entreprises, en ce compris industrielles, au numérique – non seulement à ses potentiels pour les activités mais, de manière plus profonde, pour l’“esprit” et la “culture” qui servent de terreau à de nouvelles attitudes -, cet éveil est déjà une réalité. Sans doute pas assez, pas de manière suffisamment large, réfléchie et cohérente mais il existe. Et certains en témoignent ouvertement.

Ce fut le cas, récemment, de Marc Senterre, directeur informatique de Prayon, venu “inspirer” le petit parterre de décideurs et d’acteurs qui avaient répondu présents à l’invitation de l’Infopole Cluster TIC pour sa traditionnelle réunion de début d’année. Thème de l’exposé de Marc Senterre? “Innovation numérique, clé majeure de la compétitivité”.

Un réel levier d’action

Prayon en est arrivé à un stade où, pour attirer et intégrer harmonieusement les “digital pioneers”,  la société a créé une équipe qui, techno-sociologiquement, correspond à ce profil. Une équipe de douze “digital pioneers”, de la génération “Millénniaux” qui a une réelle capacité d’agir puisqu’elle gère un portefeuille de projets, dispose pour ce faire d’un budget propre, “de quoi avoir la capacité de faire et d’aboutir à du concret”.

Marc Senterre (Prayon): “Il faut travailler sur les mentalités, en équipe, en réseau, ne pas hésiter à promouvoir ce quoi a réalisé en termes de transformation numérique, agir comme expert, en tant qu’équipe de transformation numérique, afin d’entraîner tout le monde.”

“Cela insuffle un nouveau dynamisme au sein de la société”, souligne Marc Senterre. “On n’en est donc plus à une situation de shadow IT puisque les porteurs d’idées sont tous intégrés à ce groupe spécifique.” Un groupe qu’il supervise certes en tant que CIO mais qui, fonctionnellement, ne dépend pas de lui.

Au-delà des projets “nouvelle industrie/nouveaux processus” que cette équipe pourra faire naître, le but ultime de Prayon est d’“amener tout le personnel à franchir le pas de la transformation numérique, d’arriver à évaluer les compétences numériques, en ce compris en travaillant avec les partenaires sociaux. Le but est de maintenir l’employabilité et la pérennité au sein de l’entreprise.”

Cette évaluation des compétences ne doit pas – ne peut pas – être perçu comme une menace de couperet ou une évolution imposée. Au risque de produire des effets inverses ou de la résistance. “L’évaluation des compétences se fait sur base volontaire.” Mais, pour encourager cette “spontanéité”, il y a bel et bien une carotte… “En échange, la société propose des formations pour se mettre à niveau.”

Apprendre au fur et à mesure

Pour en arriver à ce stade, Prayon a parcouru un cheminement assez long. La chose ne s’est en effet pas faite en une seule fois mais plutôt à la faveur d’un parcours fait de prise de conscience mais aussi d’essais et erreurs. Mais toujours avec cette conviction sur laquelle Marc Senterre aime à insister: il faut avant tout travailler et prendre en compte le facteur humain.

La transformation numérique, à ses yeux, est loin de se résumer à l’insertion, l’imposition ou la transition des technologies. “La transformation numérique, c’est une création de valeur grâce aux nouvelles réalités de marché, parfois [notez bien le “parfois”] avec la technologie. Conditions sine qua non? De la collaboration, beaucoup de données et la perspective clients.”

Dans sa liste des cinq priorités, l’informatique ne pointe qu’en cinquième position. Derrière l’identification des besoins et attentes des clients, la mobilisation des ressources pour procurer ce qui est attendu (“il faut mettre de la structure dans tout ce qu’on fait”), le partenariat et l’implication du métier (“sans quoi pas de transformation, d’innovation ou de progrès”), et l’innovation technologique. En cinquième position seulement, la “rationalisation et maîtrise de l’architecture informatique”.

Voici comment il explique le cheminement, les éléments sur lesquels sa société – et lui en tant que pilote de l’évolution – a travaillé: “Nous avons travaillé sur les moyens marketing, sur l’optimisation, en exploitant les ressources des données dont nous ne faisions rien auparavant [par exemple pour le pilotage des lignes de production]. Nous avons aussi travaillé sur les perturbations [qu’impliquent le numérique et la nouvelle approche] en déployant des stratégies de changement. Il s’agit par ailleurs de créer une culture, une “expérience” numérique au sein de l’entreprise. Sinon, il n’est pas possible d’utiliser et de progresser avec le numérique. L’important, c’est l’humain. Il faut amener les équipes à s’adapter aux nouvelles réalités.”

 

Marc Senterre (Prayon): “L’important, c’est l’humain. Il faut amener les équipes à s’adapter aux nouvelles réalités.”

 

Son apprentissage, son cheminement, Prayon ne l’a pas fait seul, enfermé dans ses murs, que ce soit pour le “changement de mentalités” ou pour identifier des pistes d’évolution de ses processus de production et de son catalogue de produits et services.

Côté “éveil au numérique”, elle a voulu s’inspirer d’autres sociétés, industrielles ou venant de la sphère numérique/IT (Shelll, SAS, Google, Microsoft), invitant des conférenciers pour des ateliers d’échanges, de partage d’expérience.

Cherry picking

Par ailleurs, pour transformer processus et catalogue, la société s’est tournée au fil du temps vers des prestataires IT traditionnels ou “nouvelle vague”. Aussi bien des noms connus de l’IT que des start-ups positionnées sur des créneaux spécifiques. Exemples? B12 Consulting et Pepite pour leurs compétences en analyse de big data à des fins d’optimisation et de simulation de production, Active Me pour la réalité augmentée pour sensibiliser et former le personnel aux risques en environnement de production ou encore à l’amélioration de la maintenance.

“On a beaucoup essayé, parfois stoppé un projet.” Aussi “inexorable” que soit la transformation numérique – ou que certains veuillent le faire croire -, on ne s’y lance pas sans mûre réflexion et objectivation du pour et du contre. Le numérique, c’est en effet une panoplie de possibilités, de technologies, d’innovations possibles peu ou prou “disruptives” et “impactantes”. Le directeur informatique de Prayon cite quelques-uns de ces blocs techno-fonctionnels qui ont été envisagés et étudiés par la société: big data, objets connectés, réalité virtuelle ou augmentée, e-learning, fabrication additive, intelligence artificielle, systèmes doués d’apprentissage automatique, visualisation, simulation…

Comment choisir, comment déterminer ce qui serait éventuellement pertinent? Pour Marc Santerre, il faut avant tout se poser quelques questions basico-basiques: “Quel est l’impact potentiel de ces blocs numériques? D’autres blocs seraient utiles ou pertinents? Quel est le coût de ne rien faire? Quels sont les investissements nécessaires? Existe-t-il des bonnes pratiques dont on peut s’inspirer?”

Il conseille par ailleurs de faire siennes quelques règles à respecter pour un parcours de transformation numérique qui soit pertinent pour l’entreprise: “se concentrer sur des objectifs clairs, être audacieux dans le périmètre qu’on s’est choisi, se projeter vers l’avant selon une démarche adaptative, veiller à l’état d’esprit, exécuter en mode agile, veiller à un leadership et à une responsabilisation clairs…”

 

Marc Senterre (Prayon): “L’informatique est le moteur du changement dans une transformation numérique. Ce n’est plus un service de support. Désormais, il ne s’agit pas de penser d’abord technologie. Il faut d’abord adapter la technologie au client, à l’utilisateur.”