Lycée Martin V (Louvain-la-Neuve): la programmation comme outil de développement du savoir-être et savoir-faire

Pratique
Par · 06/06/2018

Au Lycée Martin V de Louvain-la-Neuve, un trio d’enseignants – Delphine Boels, Henri de Groote et Denis Lemoine – se sont lancés dans un projet de cours de programmation dans le cours de sciences de deuxième.

Les prémices de leur initiative sont à trouver du côté de l’appel à projets Ecole numérique de la Région wallonne. Deux projets déposés pédagogiques par le Lycée ont été retenus en 2017. D’une part, un projet “Explorer: l’éprouvette, le marteau et la souris”. De l’autre, un projet de “Mathématiques interactives”. Cela a permis au Lycée d’hériter de 12 portables, affectés à des travaux en cours de sciences et technologie.

Il y avait déjà eu aussi de premières incursions d’un vent programmation via la visite de quelques étudiants de l’UCLouvain venus proposer des animations de deux heures sur ce que permet ou non de faire un ordinateur – pour autre chose que du traitement de texte ou l’alignement de chiffres…

Et puis, il y eut cette rencontre avec Oliver Goletti, assistant de recherche à l’ICTeam de l’UCL et animateur de Si2 (SiCarré – Sciences Informatiques pour le Secondaire Inférieur), cellule chargée d’assurer ‘la sensibilisation, l’information et l’accompagnement des enseignants du secondaire inférieur désireux d’acquérir des compétences en numérique”.

“Il fut un réel catalyseur, une sorte de “réactif” supplémentaire par rapport aux réflexons que nous avions eues jusque là. Il nous a bousculés”, déclare Henri de Groote. Son collègue, Denis Lemoine renchérit: “Cette rencontre fut positive. Olivier Goletti nous a fait sortir des sentiers battus.”

De quels “sentiers battus” parle-t-on?

Les trois professeurs n’avaient pas de connaissances spécifiques en informatique. Juste un intérêt de départ. Et encore… Delphine Boels: “Le numérique ne m’intéressait pas forcément. Mais un jour, mon fils de 9 ans est revenu de l’école en disant: “J’ai fait quelque chose de super aujourd’hui avec Scratch”. J’ai voulu en savoir plus…”

Le fait est que dans le cadre du projet Ecole numérique, les professeurs en étaient encore restés, malgré tout, dans un schéma assez conventionnel.

“Dans un premier temps, nous avions imaginé que l’ordinateur serait un support utile pour des élèves en difficultés. On a ensuite imaginé l’introduire dans le cadre des activités complémentaires et nous avons repensé l’objectif: le projet serait numérique et plus uniquement technologique”

Les trois professeurs n’avaient pas de connaissances spécifiques en informatique. Juste un intérêt de départ. Et encore… Delphine Boels: “Le numérique ne m’intéressait pas forcément. Mais un jour, mon fils de 9 ans est revenu de l’école en disant: “J’ai fait quelque chose de super aujourd’hui avec Scratch”. J’ai voulu en savoir plus…”

De manière plus fondamentale, le scénario imaginé dans le cadre du projet Ecole numérique ne concernait que l’utilisation de logiciels existants, “par exemple réaliser des graphiques avec Excel. Après tout, en deuxième année, créer des formules avec Excel, c’est déjà un peu de la programmation”, déclare Henri de Groote. Mais l’outil informatique ne servait donc qu’à faire la même chose qu’avant, autrement. “Nous partions de la conviction qu’il faut du temps, qu’il faut d’abord apprendre à le maîtriser avant de faire autre chose.”

La vitesse supérieure

C’est là que le “déclencheur-catalyseur-réactif supplémentaire” Olivier Goletti est venu bousculer le scénario, convainquant les trois enseignants de se lancer eux-mêmes dans l’assimilation de compétences en programmation pour pouvoir les intégrer et utiliser dans leurs séquences de cours.

Leur formation, ils l’ont acquise à la fois lors du Congrès des Sciences, à l’occasion d’une formation chez Technofutur TIC (découverte de divers outils numériques, essentiellement collaboratifs) et au travers d’une session assurée par Olivier Goletti, dans le cadre de Si2. “Cela nous a convaincus de donner plus de place à l’IT dans nos cours.”

La programmation a donc fait son apparition au cours de sciences. Du moins – les cursus étant ce qu’ils sont – via la tranche “activités complémentaires” (4 heures/semaine que les étudiants peuvent choisir de consacrer à une thématique de leur choix: activités littéraires, arts, langues anciennes ou sciences).

Au Lycée Martin V, en classe de deuxième, environ un tiers des étudiant(e)s ont opté pour les sciences – et peuvent donc tâter, désormais, de programmation.

Le trio de professeurs se partage l’horaire – et les élèves. Des cohortes de maximum 24 élèves ont été constituées, qui utilisent les 12 portables en binômes, par tranches de deux heures: découvertes de principes scientifiques via expérimentations en labo et technologie-informatique, pour mise en application de principes scientifiques. Côté équipements, l’arrivée prochaine de douze postes fixes dans le labo de sciences va permettre de mieux organiser le travail parallèle en groupes.

“La programmation permet d’affiner la compréhension de concepts scientifiques, de structurer un raisonnement, et procure une sanction immédiate.”

Le programme, lui, se déroule en deux temps: introduction aux principes de base et au mode de pensée algorithmique au premier semestre (découverte de l’ordinateur, de son mode de fonctionnement, caractéristiques d’une bonne “communication” avec l’ordinateur – lisez: les règles d’une programmation efficace)

Choses sérieuses et appliquées au deuxième semestre, avec notamment utilisation de Scratch pour imaginer la conception d’un objet mettant en lumière divers concepts scientifiques assimilés – par exemple, la masse volumique.

Depuis la rentrée 2017-2018, l’ordinateur et la programmation remplacent donc désormais les défis de construction physique que les étudiants étaient invités à relever. On ne bidouille plus des objets illustrant des principes physiques ou autres. On programme.

Et les avantages sont divers, estiment en choeur les trois professeurs: “la programmation permet d’affiner la compréhension de concepts scientifiques, de structurer un raisonnement, et procure une sanction immédiate.” En cas de mauvaise structure des commandes, le résultat est forcément bancal – a minima…

Les enseignements retirés à ce jour?

“Le premier bilan est positif”, estime Denis Lemoine. “L’ordinateur, la programmation, est un outil supplémentaire pour le développement du savoir-être et du savoir-faire. Il ne révolutionne pas vraiment mais s’ajoute à une palette.

Il apporte quelque chose de rigoureux dans la pensée. Avec une validation ou invalidation immédiate en cas d’erreur. Une validation que l’étudiant(e) ne remet pas en cause puisqu’elle vient de l’ordinateur lui-même – et pas du professeur.”

Henri de Groote renchérit sur l’argument “rigueur”: “pour que cela fonctionne, l’étudiant doit être rigoureux. S’il y a une erreur, il faut chercher où elle s’est produite. L’outil IT et la programmation sont un bon terrain pour apprendre la logique, pour décortiquer une action, réfléchir en amont…”

 

Henri de Groote (Lycée Martin V) (à g. sur la photo, en compagnie d’Olivier Goretti): “L’outil IT et la programmation sont un bon terrain pour apprendre la logique, pour décortiquer une action, réfléchir en amont…”

Le travail sur ordinateur, en binôme, a un autre avantage aux yeux d’Olivier Goletti: “ils doivent préparer le cours en amont. Les élèves sont donc plus impliqués.”

Trop tôt par contre pour juger d’un éventuel phénomène de contagion. “Certains mordus poursuivent leurs travaux chez eux. Et les étudiants qui participent à ces activités Programmation en parlent autour d’eux mais la programmation pure ne fait pas ou pas encore de disciples. Il y a eu quelques incursions de curieux mais ils ne sont pas restés”, constate Henri de Groote.

Aucun des trois ne désespère toutefois de voir un effet de contagion s’installer. Sans s’inquiéter outre-mesure dans l’état actuel des choses, “après tout, nous sommes nous-mêmes encore au tout début de notre appropriation de l’outil…”

Le trio de professeurs a toutefois un petit goût de trop peu. Et la cause en est l’étroitesse ou le manque d’adaptabilité du programme. 

La participation à leur cours se fait en effet sur base volontaire, selon les “affinités” des étudiant(e)s puisqu’il s’agit de la case “activités complémentaires”. “Impossible d’introduire ce genre de chose en 1ère ou dans le cours de maths…”

“Notre interrogation est donc : est-il logique de ne le faire qu’avec un-tiers des élèves? Tant que la programmation n’est pas inscrite dans la grille horaire, tous n’en bénéficieront pas.” Avec les risques d’élèves ayant des compétences “à deux vitesses”.

Et Henri de Groote de poursuivre: “si on veut implanter la formation à la programmation au secondaire, il faut davantage de confort [côté programme], revoir la grille horaire.”