Le “Munda” mise sur le jeu éducatif pour séduire ses publics

Pratique
Par · 15/12/2015

Le Mundaneum de Mons, bibliothèque et centre d’archives dédié à l’éducation aux valeurs citoyennes (démocratie, humanisme…) et à leur transformation à l’heure de la société numérique, introduit une nouvelle dimension dans les formes de médiation proposées au public.

Le jeu éducatif “Web 1895”, développé par Fishing Cactus, est présenté comme un “voyage géo-localisé au pays de la connaissance.” Le visiteur se laisse guider par une main invisible, emmené de beacon en beacon (balise Bluetooth low energy) pour découvrir le concept de réseau de la connaissance imaginé par Paul Otlet, dès la fin du 19ème siècle – ce que d’aucuns, depuis, ont rebaptisé le “Google de papier”.

1895, c’est le repère historique, l’année de création du Mundaneum (à Bruxelles).

Par le jeu et la participation ludique des visiteurs, le Mundaneum veut ainsi faire appréhender par des publics fort divers (par leur âge, leurs propres préférences et degré de familiarité avec les sujets abordés) ce que Paul Otlet et Henri La Fontaine, les deux fondateurs du Mundaneum, ont imaginé de leur vivant et comment cela s’inscrit dans la manière dont notre société et chacun de ses acteurs conçoit, appréhende, co-construit, consomme et vit désormais la relation avec l’information, les connaissances et le savoir.

A leur époque, en rassemblant en un lieu unique toutes les connaissances, en élaborant un catalogue répertoriant l’ensemble des publications éditées dans le monde, l’édification du Mundaneum était pour Paul Otlet et Henri La Fontaine un moyen de mieux amener les gens à se connaître mutuellement pour… éviter toute guerre. N’en est-on pas toujours au même point?

Parcours libre

Le parcours ludo-éducatif, lui, consiste en une série de jeux et d’énigmes à résoudre, en divers points de l’espace du Mundaneum. 20 “stations” égrènent ainsi le parcours, sur les trois niveaux du Mundaneum.

Le parcours est libre en ce sens qu’il ne faut pas nécessairement suivre un trajet prédéterminé ou passer par toutes les “stations”. Bien entendu, un visiteur peut accroître son score (les points gagnés sont baptisés “data”) en jouant un maximum de jeux mais il n’y a là aucune obligation.

Ce score, il peut le partager, l’insérer dans un maillage mondial virtuel.

Lorsqu’il a terminé son parcours, le visiteur est en effet invité à se diriger vers l’énorme globe terrestre qui trône dans l’espace central du Munda et à télécharger son score “data” qui se matérialisera sous la forme d’un point sur un réseau planétaire.

Chaque “joueur” est associé, de manière aléatoire, à un point du globe. Le but est ainsi de tisser progressivement des connexions virtuelles qui irrigueront le globe virtuel, version moderne du réseau mondial de coopération intellectuelle qu’avaient imaginés Paul Otlet et Henri La Fontaine.

Jeux variés

Le Mundaneum dispose pour l’instant de 24 tablettes (Android), achetées grâce à une subvention de Google, partenaire du Munda. Subvention qui a également financé d’autres matériels (grand écran, Kinect). A terme, 26 autres tablettes viendront les rejoindre, “de quoi accueillir simultanément deux classes”, souligne Priscilla Génicot, responsable médiation au Mundaneum.

La répartition des balises, dans l’espace du Munda, a été imaginé pour créer des zones de découverte ludique. Lorsque le visiteur, armé de la tablette qu’il a reçue à l’entrée, s’approche d’une zone, les animations qui se situent dans un périmètre proche sont identifiées à l’écran. Il lui suffit alors de sélectionner celle qu’il désire pour entrer dans l’univers d’un des jeux proposés.

Les jeux prennent diverses formes: puzzle (virtuel), énigme, expérience interactive avec divers objets exposés, “téléphone arabe” (message à relayer).

Plus de détails sur le concept de ces divers jeux en fin d’article – partie réservée à nos abonnés Select et Premium.

Chaque jeu permet, à sa manière, d’accéder à des informations sur l’histoire du Mundaneum depuis sa création, sur des concepts de création et de compréhension des données, sur les valeurs humanistes que Paul Otlet et Henri La Fontaine ont conceptualisées et évangélisées, et sur les outils de classification de la connaissance qu’ils ont développés (dont la fameuse CDU- classification décimale universelle).

L’amorce d’autres créations

Dans le cadre de sa mission pédagogique, le Mundaneum imagine cette réalisation ludo-éducative “Web 1895” comme une première étape.

Rien n’a encore été décidé mais l’espoir est d’organiser, à partir de la prochaine rentrée scolaire (septembre 2016), des ateliers destinés aux écoles de la région dans un esprit “laboratoire”.

Public visé: les élèves du secondaire. Ils seront invités à créer eux-mêmes leur propre “game concept” que d’autres – des étudiants du supérieur (filières conception, développement, game design) – reprendront à leur compte pour les matérialiser.

Ndlr: Hookbridge est le nouveau nom du projet JIRA (acronyme de Jeux In-door en Réalité Augmentée). Relire l’article que nous y avons consacré. ]

Une manière pour le Mundaneum de donner naissance à une chaîne virtueuse et d’ancrer encore davantage les principes participatifs/contributifs.

Fishing Cactus, de son côté, se dit prêt à réceptionner les jeux les plus convaincants ainsi imaginés, ou encore de nouveaux modules ou animations, afin d’enrichir et de compléter la plate-forme Hookbridge qui a permis de développer le jeu Web 1895.

Des balises dociles

Petit détour technique.

Plusieurs musées ont échoué dans le déploiement de beacons parce qu’elles généraient de l’interférence entre elles. Ou plus exactement les informations qu’elles sont censées diffuser dans un périmètre bien déterminé empiètent, se mêlent aux espaces couverts par leurs voisines. Résultat: un tohu-bohu et charivari incompréhensible, friture sur la ligne, exaspération des visiteurs.

Comment Fishing Cactus évite-t-elle ce problème? L’identifiant de chaque balise est en fait associé à l’un des jeux repris dans le menu proposé sur la tablette. Le fait d’entrer dans la zone d’émission d’une balise a pour effet de sélectionner automatiquement le jeu correspondant dans le menu. Si plusieurs balises sont captées par la tablettes, plusieurs jeux apparaîtront donc comme activables. Mais c’est au visiteur de sélectionner celui auquel il veut participer. Cela évite donc la cacophonie.

Le jeu, nouvelle clé de la découverte

L’équipe de Fishing Cactus a imaginé quatre forme de jeux, que l’on retrouve parmi les 20 scénarios ludiques proposés en 20 points spécifiques du Mundaneum.

Le visiteur pourra donc s’essayer à des puzzles virtuels (tel que la reconstitution d’une salle du “Palais mondial – Mundaneum” qu’avait imaginé Paul Otlet), des énigmes, des interactions avec les outils créés par Otlet et La Fontaine (classification, fiches bibliographiques…), et un “téléphone arabe 2.0”.

Le concept de ce dernier? Un message est créé, le visiteur doit le mémoriser, le retransmettre vers un autre joueur qui devra, à son tour, le mémoriser et le relayer vers le suivant. A la fin de la chaîne, on compare le message final avec l’original – une façon de figurer de manière ludique la transmission de connaissances.

Le ‘gimmick’ est celui du prisme aléatoire de la mémoire humaine et la manière dont une communication peut se morpher lorsqu’elle passe de personne en personne. Entre le moment où le visiteur mémorise le message et celui où il est invité à le restituer, deux minutes s’écoulent, pendant lesquelles il poursuit sa visite. Pour la restitution, la tablette lui propose, pour chaque mot, un nuage de mots dans lequel piocher. “Peut-être reconstituera-t-il la chaîne de mots exacte. Peut-être se trompera-t-il”, indique Alexandre Wyns, game designer et assistant chef de projet pour le jeu. “Chaque version successive du message original est mémorisé par le serveur. Il devient ainsi possible d’afficher à l’écran l’historique du cheminement du message [Ndlr: cet historique est remis à zéro – retour au message d’origine – après 10 cycles]. Cela permet de sensibiliser les gens sur l’importance de l’être humain au sein d’un réseau, de leur montrer que sans une bonne compréhension d’une information, l’impact sur un réseau d’informations peut être majeur…”

Parcours initiatique

Le jeu le plus exigeant est celui de l’interaction avec le système de classification CDU (classification décimale universelle). Il s’agit d’un jeu réellement pédagogique puisque le but est d’expliquer le fonctionnement de cette CDU.

Tout commence par l’affichage, à l’écran de la tablette, d’un “objet”. Quatre sont proposés: un téléphone, un jeu de cartes, une infographie, un chaton. Le visiteur est invité à classer ces objets dans la CDU.

Petit rappel, ici, pour mieux comprendre: la CDU classe les connaissances humaines en dix catégories répertoriées de 0 à 9 (sciences, philosophie, religion, mathématiques…). Chaque catégorie est à son tour divisée en dix sous-catégories plus spécifiques et ainsi de suite. On obtient ainsi pour chaque concept un nombre plus ou moins long.

Fishing Cactus a gamifié le processus de classification en représentant les catégories et sous-catégories par des roues étalonnées de 0 à 9. Au visiteur dès lors de classer son objet en sélectionnant le chiffre qui correspond à la catégorie. Le chaton pourra être associé à un code CDU en activant tout d’abord la catégorie Mathématiques/Sciences exactes et naturelles.

Pas forcément facile mais le score obtenu par le joueur reflétera le nombre d’erreurs commises ou encore la vitesse avec laquelle il a réussi à catalogue ses objets.

Un jeu un peu plus complexe encore a été récemment testé par une classe du secondaire. Elle imbrique classification CDU, puzzle et réalité augmentée. Objectif: simuler la manière dont les collaborateurs du Mundaneum travaillaient à l’époque.

Le visiteur-joueur est invité à répondre à une requête, la réponse se trouvant sur une fiche classée quelque part dans les centaines de tiroirs qui répertoriaient les connaissances universelles de l’époque. Il doit tout d’abord trouver le code CDU qui correspond à l’encodage de la requête (par mots-clés contenus dans la requête). Une fois le code CDU trouvé, une photo du tiroir correspondant s’affiche à l’écran. Le visiteur est guidé vers ce tiroir en résolvant un puzzle qui reconstitue à l’écran la version virtuelle de la fiche d’origine. Cette fiche virtuelle contient un “marqueur”, du genre QR code, qu’une borne située à côté du (vrai) tiroir, reconnaîtra. Cela déclenchera une couche de réalité augmentée, à l’écran de la tablette, fournissant au joueur la réponse à la la requête proposée et des informations complémentaires à ce sujet.”

A priori, ce jeu pourra être jouer en solo mais aussi en groupe (pour des classes, par exemple), pour susciter la collaboration en vue d’obtenir la réponse à la requête.

Plate-forme modulaire

Les divers jeux développés par Fishing Cactus s’appuient sur la plate-forme de création de contenus interactifs JIRA (acronyme de Jeux In-door en Réalité Augmentée), aujourd’hui rebaptisée Hookbridge. Cibles prioritaires: les secteurs culturel et touristique.

Principe de base: une conception modulaire (modules applicatifs prêts à l’emploi, objets interactifs, connecteurs, visuels, catalogues de scénarios préprogrammés d’interaction avec l’environnement…) qui permet à chaque utilisateur de n’utiliser que les fonctions dont il a besoin. JIRA/Hookbridge peut être déployé dans de multiples contextes technologiques: Bluetooth, WiFi, réseau câblés, balises beacon, QR codes, tablettes, tables tactiles, téléviseurs, casques de réalité virtuelle, lunettes connectées, console Kinect…

Principe majeur: l’interaction optimale entre joueurs/participants et avec l’environnement.

Relire, pour plus de détails, l’article que nous avions consacré aux fonctionnalités de cette plate-forme.