Le “Chief Data Officer”: régisseur du nouvel “or noir”

Pratique
Par · 28/10/2016

CDO. Allons bon ! La liste des acronymes de fonctions directoriales au sein des entreprises ne cesse de s’allonger. Après les CEO (PDG), CFO (Mr ou Mme gros sous), CTO (techno en chef) ou autres CIO (directeur informatique, disait-on dans le temps) et CMO (boss du marketing), voici venir le CDO. Avec un D comme dans Data – ou Données.

L’information ne suffit en effet plus. Il faut maîtriser la donnée. Ou, plus exactement, les flux et tsunamis de données en tous genres, structurées ou pas du tout, classiques ou indomptablement sociales, comportementales, environnementales, objectales…

Pour mieux comprendre ce nouveau rôle de “Chief Data Officer”, les compétences requises, sa place dans l’organigramme et dans la vie des entreprises, SAS avait récemment organisé un débat entre 6 CDO (ou fonctions assimilées) venus de 6 grandes sociétés. A savoir: BNP Paribas Fortis, ING, Carrefour, Eandis, Deloitte et Dama International.

Profil et rôle

Un CDO, ça doit servir à quoi?

Découvrez ce qu’en pensent ces divers responsables qui, bien que venant de “grandes boîtes”, ont également souligné que l’exploitation des données n’est pas une question de taille d’entreprise [ou de volume de données, d’ailleurs]. “C’est d’abord une question d’état d’esprit”. La suite de cet article est réservée à nos abonnés Select et Premium.

Un CDO, ça sert à quoi? Son rôle premier, estime Luc Iterbeke, Head of Customer Intelligence chez ING, est d’être un veilleur constant en matière de données, “afin de faire en sorte que les données soient traitées comme un actif à tous les niveaux de l’entreprise”.

Jo Coutuer, Chief Data Officer de BNP Paribas Fortis, soulignait pour sa part que les raisons pour lesquelles certains organismes financiers se dotent d’un CDO demeurent purement réactives et peu porteuses de valeur ajoutée ou de perspectives nouvelles pour l’organisme en question.

“Certains sont uniquement nommés pour satisfaire aux obligations de conformité. Or, la plus-value vient du rôle que joue un tel CDO en termes de définition de la gouvernance des données, de mise en oeuvre d’une communauté, de promotion d’un potentiel décisionnel renforcé…”

Comme c’est le cas, depuis bien longtemps, pour le CIO, l’attirail de compétences que certains estiment devoir être maîtrisé par le “chief data officer” est souvent très vaste. Tous les intervenants du panel n’étaient toutefois pas d’accord sur les qualités et aptitudes qu’on peut ou doit en attendre.

Pour Bart Hamers, directeur Analytique et Gestion de l’information chez Deloitte, le CDO doit combiner de “robustes connaissances techniques à une compréhension fine de ce qu’apportent les données” ainsi que des raisons commerciales et opérationnelles qui justifient leur collecte et leur traitement.

Selon lui, le CDO doit à la fois être un “entrepreneur, prêt à expérimenter la valeur des données, et un “comptable”, au sens de contrôleur qui s’assure que tout est en ordre, que tout se déroule en respect des réglementations, notamment en matière de respect de la vie privée.

Il doit également être apte à opérer comme un “change manager” pour sa société, “dans la mesure où les données en modifieront obligatoirement les processus.”

Bart Vandenreijt (Carrefour): “Le CDO doit rendre possible le travail des responsables marketing. Il ne faut en effet pas que les commerciaux soient limités dans leur créativité.”

Bart Vandenreijt, directeur Customer Marketing & Insights chez Carrefour, insistait notamment sur la nécessité de compétences en matière de sécurité de l’information.

Jan Henderyckx, directeur Belux de Dama International (Data Management Community), n’était pour sa part pas convaincu qu’un CDO doive afficher de telles qualifications techniques, voire même analytiques. “Elles ne sont pas forcément requises”, estimait-il. Par contre, il doit peser sur les décisions. “Le CDO doit agir là où il peut décrocher des budgets, changer la culture de l’entreprise, impulser les sujets sur lesquels la direction concentre son attention.”

Siéger au plus haut niveau

Plusieurs des intervenants s’accordaient par contre sur la nature transversale, trans-départementale, du rôle du CDO. Idem sur sa nécessaire présence au comité de direction. Pour peser sur les décisions, comme le disait Jan Henderyckx. “Pour siéger autour de la même table, travailler sur le même budget que les autres “C level”. On ne peut séparer les données de la réalité commerciale, marketing…” indiquait Jo Coutuer (BNP Paribas Fortis). “Il doit donc siéger à la table de direction de telle sorte que les données soient considérées comme un véritable actif, au même titre que l’IT ou que les actifs immobiliers.”

Jan Henderyckx (Dama International): “Le CDO est en fait un CIO, un Chief Importance Officer.”

Olivier Goethals, Enterprise Architect chez Eandis, allait dans le même sens mais en ajoutant un argument-choc. “Siéger au comité de direction lui permet de capter l’attention des hauts responsables en leur signalant que les données peuvent les envoyer en prison. Il peut dès lors leur dire “je suis là pour votre propre sécurité et pas uniquement pour assurer la protection des données.”

Rôle transversal

Le CDO et son équipe d’analystes doivent se mettre au service des différents départements et métiers d’une entreprise, veiller à bien comprendre comment être générée, collectée, transmise, exploitée… l’information.

Les différents acteurs représentés lors de ce débat organisé par SAS ont chacun, au sein de leur entreprise, leur propre manière d’organiser l’équipe d’analyse des données. Chez certains, elle est unique et centralisée, opérant pour les différents départements. Chez d’autres, les analystes sont dispersés dans les différents départements.

Jo Coutuer (BNP Paribas Fortis): “Les entreprises n’ont plus le temps, aujourd’hui, de laisser la pollinisation se faire naturellement. Un papillon actif est nécessaire.”

Chez Eandis, par exemple, l’équipe d’analystes est “centralisée mais virtuelle”. Elle “collecte idées et problèmes au travers des différents départements.”

BNP Paribas Fortis, pour sa part, a opté pour un modèle fédéré. “Nos différents métiers – banque de détail, banque privée, banque d’investissement … – ont des besoins différents. Les équipes, pour l’analyse évoluée, sont donc décentralisées mais il y a un “analytics leader” qui opère à l’échelle de la banque dans son ensemble.” Jo Coutuer utilisait une métaphore pour expliquer son rôle: “nous n’avons plus le temps, aujourd’hui, de laisser les fleurs pousser et de laisser la pollinisation se faire naturellement. Un papillon actif est nécessaire.”

Gouvernance et/ou innovation (?)

Source: Forrester 2015

Si, comme le dit Jo Coutuer, il n’est plus possible de laisser du temps au temps, comment réconcilier le besoin d’hyper-réactivité et la nécessité de garantir gouvernance et conformité avec les réglementations?

Sur ce sujet, les intervenants ont affiché des positions quelque peu différentes. Luc Iterbeke, d’ING (rappelons qu’il ne s’agissait pas du CIO ou CDO mais du responsable “Customer Intelligence” – ce qui peut induire une différence de perception…), indiquait que “la valeur financière ou commerciale prime sur la gouvernance des données. La première chose à faire est de déterminer et de prouver la valeur de la data science. Seulement ensuite, on s’intéresse à la manière dont la gouvernance peut intervenir…”

Ce à quoi Olivier Goethals d’Eandis répliquait: “si vous ne vous conformez pas [aux règles et réglementations], vous faites une croix sur votre valeur ! Les deux aspects sont intimement liés.”

Même écho du côté de Jan Henderyckx (Dama International): “Placer la valeur avant la gouvernance revient à placer une grenade dans la main d’un singe. La gouvernance sert à explorer, à savoir vers quoi on se dirige, vers quoi on veut aller, à identifier ses objectifs.”

Olivier Goethals (Eandis): “Si on n’arrive pas à convaincre la direction de progresser, de rechercher de nouvelles valeurs [au travers des données], l’équipe data n’a aucune valeur…”

Jo Coutuer, de BNP Paribas Fortis, utilisait pour sa part l’analogie du camp de base et des alpinistes lancés dans l’exploration d’une montagne. “Le camp de base, c’est là où l’on concentre et consolide les ressources et les acquis en termes de légalité, de marketing, de sécurité, d’IT… On a perdu trop d’explorateurs, de commerciaux, morts sur les pentes de l’Himalaya au nom de l’innovation. On leur avait laissé une liberté totale mais ils n’ont ramené aucune valeur, ils n’ont jamais atteint le sommet. Le concept qui veut que l’on mise tout sur l’agilité, sur le “fail fast”, ne marche pas. Il faut coordonner le camp de base, le faire évoluer, l’industrialiser. C’est certes moins sexy mais peut-être qu’on sera quelque part dans 5 ans…

Si on va trop vite, cela peut impliquer que l’on va cramer son camp de base. La compliance doit être garantie à 100%.”

Bart Hamers, de Deloitte, adoptait une position médiane: “il faut prendre le temps de déployer les règles, la politique des bonnes pratiques, progresser par petites étapes successives en visant d’abord à récolter les low hanging fruit. Il est par ailleurs nécessaire de prendre en compte l’aspect humain, de mener une politique RH active, dans la mesure où les gens ont encore peur de la data science. Il faut dès lors évaluer ce qu’on fait à chaque sprint, déterminer si c’est bien dans cette direction que l’on veut aller et s’assurer que les modèles que l’on développe ne seront pas trop complexes pour les personnes qui seront amenées à les utiliser.”

Jan Henderyckx (Dama International): “l’exploitation des données n’est pas une question de taille [d’entreprise]. C’est une question d’état d’esprit. Les questions à se poser sont les suivantes: disposons-nous des données? et voulons-nous nous en servir pour agir?”