IA au potager: quand les circuits courts se tournent vers les algorithmes

Pratique
Par · 29/04/2020

L’appel à projets baptisé Tremplin IA, dédié à des projets basés sur l’intelligence artificielle, qui a été lancé à la veille du printemps, dans le cadre du programme Digital Wallonia, a vu 28 projets poser leur candidature.

L’idée était de sélectionner des projets déjà relativement bien charpentés et réalistes, articulés autour d’une problématique métier clairement identifiée, pouvant justifier d’une transposition concrète dans la vie réelle, avec amélioration de processus ou perspective de nouveau service ou produit… 

Le jury, où siégeaient notamment des représentant de l’AdN, d’Agoria et de l’Infopole, a retenu au total 9 projets pour en faire des “proofs of concept”: 5 projets portés par des acteurs opérant en solo et 4 projets “collectifs” (minimum trois acteurs dont un désigné clairement comme devant être le bénéficiaire du projet).

Au cours des jours à venir, nous nous arrêterons plus en détails sur certains de ces projets afin d’en analyser les finalités (voir encadré ci-dessous). Premier sur lequel nous nous attardons dans cet article: “IA au potager”. Ou plus exactement l’IA au service des maraîchers et petits producteurs locaux, souvent grands demandeurs de coordination, de planification et de débouchés logistiquement efficaces…

Les neuf projets concernés portent sur une assez grande variété de thématiques, allant de l’exploitation de données spatiales géolocalisées à l’amélioration des processus de maintenance prédictive, en passant par le traitement et la classification automatique de courriels.

Un autre projet porte sur la détection et la classification de défauts d’une lentille intraoculaire. L’agroalimentaire est également au rendez-vous, via un projet IA visant à “accélérer le développement et la mise sur le marché de nouvelles enzymes d’application agro-alimentaire” dans le sous-secteur de la production de produits boulangers, ou encore via un projet visant l’optimisation de la production maraîchère. Autre thème (quasi classique): l’optimisation de la production/consommation énergétique, avec formulation automatisée de “recommandations visant à diminuer les consommations d’énergie et les émissions de CO2 associées”.

IA au potager

C’est sans doute le projet ayant l’une des finalités les plus “grand public” parmi les neuf propositions de PoC retenues par le jury Tremplin IA. Le projet “IA au potager” vise à “développer un algorithme qui permet de planifier et d’organiser une meilleure production et commercialisation des produits du maraîchage dans une région donnée” en réconciliant offre et demande.

Voici comment Olivier Lefèvre, coordinateur du projet, présente la problématique qu’il espère pouvoir résoudre à l’aide de solutions technologiques et d’algorithmes: “Réconcilier offre et demande dans un contexte de circuits courts est un réel problème. L’offre des petits maraîchers est souvent dispersée, menant à une concurrence entre eux, en raison des contraintes de production, de ses délais incontournables… Le risque est de les voir tous proposer au même moment les mêmes produits, sans concertation.”

Concertation entre eux mais aussi concertation, en mode concordance, avec les acheteurs potentiels. C’est que “la demande – pour une vente en direct, via de petits magasins de terroir ou encore via es cuisines collectives – est elle aussi désorganisée, disproportionnée, et difficile à prévoir”.

Olivier Lefèvre prend un exemple: “une petite cuisine collective qui doit assurer telle livraison, dans deux semaines, pour une école ou un CPAS n’est pas assurée de disposer à temps des produits planifiés au menu”.

Source: GAL Meuse@Campagnes

D’où l’espoir que l’intelligence artificielle pourra mettre un peu d’ordre, de prévisibilité, de planification et d’efficacité dans tout cela…

“Il s’agit de démontrer que l’IA peut être utile pour générer des modèles de production efficaces, permettant de mieux prévoir les schémas de production, en fonction notamment des conditions météorologiques, de la qualité du terrain, et d’autres paramètres.

Et, en termes de demande, il s’agit de prouver qu’elle permettrait de mieux prendre en compte des paramètres de saisonnalité, de météo, de propension des consommateurs à demander tel ou tel produit en fonction de telle ou telle circonstance…”

Un PoC devant encore faire ses preuves

Mais les défis seront nombreux et le projet doit encore prouver que l’idée est viable. Une série d’éléments devront être collectés, assemblés voire créés de toutes pièces: données, mécanismes de collecte et gestion des données, modèles, algorithmes…

Côté données, il faudra en priorité vérifier leur disponibilité, voire amener les producteurs locaux (notamment) à les générer et à les mettre à disposition. “Certains maraîchers collectent sans doute de telles données, même si ce n’est qu’en Excel ou de manière manuelle. D’autres ne le font sans doute pas encore…” Une source éventuelle de données, pour démarrer, pourrait être – mais ici encore cela reste à prouver – des fichiers générés par des logiciels de planification de cultures. Olivier Lefèvre doit encore contacter les (rares) communautés qui en font déjà usage. Essentiellement hors frontières.

Côté modèles, Olivier Lefèvre dit en avoir repéré l’un ou l’autre, du côté de certaines coopératives mais il faudra vérifier leur qualité, leur adéquation. Prouver aussi, par des tests grandeur nature, sur base de données réelles locales, qu’ils sont pertinents. Ou les adapter… “C’est notamment à cela que servira le PoC”.

Le travail portera aussi potentiellement sur l’identification ou le développement d’outils de collecte de données destinés aux producteurs locaux. Olivier Lefèvre souligne en effet que s’il existe des logiciels de planification, ils sont à la fois souvent vieillots et insuffisants. “La solution open source que j’ai par exemple repérée n’est pas utilisable sur mobile. Or, il serait intéressant de permettre aux maraîchers d’encoder leurs données sur le terrain, pour tenir à jour et assurer le suivi des plantations et semis, au fur et à mesure, les documenter, les adapter rapidement – par exemple en cas de perte à cause de la météo ou d’une invasion de pucerons…”

La collecte et le suivi des données, côté demande, sont également un vaste terrain en friche. Pistes éventuelles? “Une intégration avec des logiciels de commande, afin d’analyser la concordance avec l’offre, ou encore la confection d’une solution de gestion logistique permettant aux producteurs de gérer et de répartir les surplus de production, entre eux mais aussi avec les commerçants et points de vente.”

L’IA, à nouveau, devrait entrer en jeu pour réconcilier offre et demande.

Trio local

Le projet “IA au potager” est porté par NRB, la société Oli Food et le GAL Meuse@Campagnes (Groupe d’Action Locale qui regroupe les entités d’Andenne, Wasseiges et Fernelmont). Et, via le GAL, potentiellement, une série de producteurs locaux, actifs dans le secteur wallon des circuits courts.

Chef et pilote du projet: Olivier Lefèvre qui est aussi le trait d’union entre les trois promoteurs majeurs du projet. Il coiffe en effet une triple casquette…

“Monsieur Jules Lesmart” et responsable Solutions mobiles et ECM chez NRB.
Gérant d’Oli Food, producteur et négociant en produits artisanaux (une petite gamme d’apéritifs artisanaux vendus aux particuliers et à de petites surfaces commerçantes). A noter, pour la petite histoire, que le nom Oli Food fait bien référence au prénom Olivier. Ses deux fondateurs (en juin 1996) furent en effet Olivier Vincent et Olivier Lefèvre. Ce dernier a racheté la totalité des parts de son co-fondateur au début 1997.

Troisième étage de la casquette: son poste d’administrateur au sein du GAL…

Pour les besoins du projet, trois personnes seront mobilisées (pas forcément à temps plein). 

NRB mettra quelques personnes à disposition, venues de l’équipe Data sciences de Leila Rebbouh, pour plancher sur les algorithmes.

Le GAL, pour sa part, amènera les producteurs locaux mais contribuera également au projet dans la perspective de la mise en oeuvre d’une coopérative de maraîchage locale.

“S’y ajouteront sans doute au fil du temps l’un ou l’autre sous-traitant auxquels nous ferons appel pour développer par exemple une appli mobile ou un logiciel d’acquisition de données sur le terrain.”

Durée du PoC: jusqu’au début 2021.
“2020 sera sans doute consacrée au volet “acquisition”. Acquisition de données mais aussi identification et documentation des habitudes et des difficultés rencontrées.”
Le début 2021 devrait ensuite être mis à profit pour tester et vérifier modèles et algorithmes.

Le budget octroyé via le programme Tremplin IA porte sur 40 jours/homme. Mais uniquement pour le volet IA. Pour ce qui est de financer le volet acquisition de données, c’est Olivier Lefèvre qui suppléera. NRB, pour sa part, contribuera via la mise à disposition de spécialistes IA qui seront notamment utiles pour évaluer et adapter les modèles.