Gratiago: la blockchain pour renforcer confiance et adhésion aux traitements thérapeutiques?

Pratique
Par · 14/12/2022

L’un des créneaux santé sur lequel nombre de start-ups se sont positionnées ces derniers temps est celui de la prévention et de l’accompagnement des patients dans l’adhésion à leur traitement et le suivi de leur santé. Parmi ses start-ups et projets naissants, celui de la bruxelloise Gratiago se distingue quelque peu du lot en raison d’un choix technologique qu’elle compte mettre en oeuvre dans les mois qui viennent. A savoir: la blockchain.

Gratiago a imaginé une solution qui prend la forme d’une appli destinée à motiver et informer de manière plus positive les patients et les pousser à ainsi mieux adhérer à leur traitement. Côté dispositif: un pilulier connecté. Côté appli: une solution de coaching sous forme de conseils, de vidéos, de jeux et d’outils dans lesquels noter l’évolution de sa santé. Pour aller au-delà de cette approche, que l’on rencontre assez classiquement chez nombre de start-ups, Gratiago y a ajouté, dans un premier temps, une dose de gamification. Et envisage, une fois la période de test et de validation de sa mythologie, d’y ajouter un élément nettement plus inhabituel: la blockchain pour transformer les points en tokens ”infongibles et les relations entre patients, professionnels et partenaires-santé en une chaîne “vertueuse”.

Responsabiliser sans culpabiliser, c’est la corde sur laquelle Gratiago veut jouer. L’approche traditionnelle de la culpabilisation, souligne Raoul Ullens, co-fondateur de la start-up, risque de n’avoir que peu d’effet sur les raisons qui sont à la base de la non application du traitement par le patient. A cet égard, on estime que les trois principales causes de non-adhésion sont la peur des effets secondaires, le doute sur l’efficacité du traitement, l’oubli. 

Il est vrai que toute approche en mode réprimande, contrainte ou culpabilisation ne sera pas efficace dans le cas des deux premières raisons évoquées. Pas plus que par rapport à la troisième, pour des patients souffrant de problèmes de mémoire ou psychiques…

D’où l’approche “gamification”. “Il s’agit d’encourager les comportements responsables et positifs. En la matière, la technologie est un moyen intéressant pour faire muter le système, lui faire changer d’approche et continuer ainsi à lutter contre les phénomènes négatifs que l’on constate aujourd’hui. A savoir l’augmentation drastique des dépenses de santé et des coûts de soins [voir encadré en fin d’article].

La méthodologie que nous avons développée s’appuie sur les constats tirés de la littérature scientifique en matière d’activation du patient, de visualisation de son traitement, de son évolution de ses effets et de ses raisons d’être, et des effets de la “gratitude” – notion dont est inspiré le nom de notre start-up”, explique Raoul Ullens.

Commencer par du classique

Au stade qui aujourd’hui le sien – des tests auprès de patients effectués en collaboration avec les Mutualités chrétiennes -, Gratiago s’en tient encore à des concepts relativement classiques.

Pendant cette période de test, qui s’étendra jusqu’à l’été 2023, une centaine de patients souffrant de deux maladies chroniques (le diabète de type II ou l’hypertension) devraient contribuer à valider la méthodologie et la solution de gamification de Gratiago. Selon un système d’accumulation de points, en mode classique. Les points étant obtenus en témoignant d’une bonne observance de son traitement (encore uniquement en mode déclaratif – sans vérification).

Inutile, estime l’équipe de Gratiago, de surcharger les patients-testeurs avec ce qui pourrait être perçu comme un obstacle ou une contrainte intellectuelle supplémentaire (rien que le terme “blockchain” pourrait potentiellement en décourager ou rebuter plus d’un…).

Le recours à la blockchain (le choix de la plate-forme, de l’infrastructure, de la crypto et des modalités doit encore être fait) ne viendra que dans un deuxième temps. Pour basculer le principe de l’accumulation de points vers un système comportant, selon Gratiago, des avantages supplémentaires. A commencer par la création et l’animation structurée d’une communauté autour du patient.

Raoul Ullens, Gratiago (à gauche sur la photo aux côté de ses cofondateurs Sevan Holemans, Alexandre Pirson et Frédéric Besançon): “Il existe actuellement peu de tokens qui créent de la valeur tangible. En favorisant l’adhésion aux traitements, la solution que nous envisageons pourra générer une vraie valeur pour le système [de santé]”.Les points deviendront alors des “tokens”, infalsifiables, incessibles, strictement personnels, non dérobables (sauf piratage d’un type nouveau). “Le token deviendra un élément essentiel d’un écosystème qui doit être viable à long terme et qui profite aux trois parties: le patient, la mutuelle et le système social, les partenaires qui accepteraient les tokens”.

Les tokens (ou points 2.0) seront générés par les actions du patient. Mais, à terme, dans la perspective de cette “communauté” ou “écosystème” autour du patient, il se pourrait que d’autres intervenants de la chaîne (médecin généraliste, coach, nutritionniste…) puissent générer leurs propres tokens pour augmenter le “capital” du patient.

Non seulement la valeur, la teneur et la propriété des tokens seront garanties par la blockchain mais ils serviront aussi en quelque sorte d’authentificateurs et d’agents de confiance entre les différents acteurs de santé (ou de péri-santé) impliqués dans la chaîne constituée autour de chaque patient. Il pourra s’agir du médecin traitant, du pharmacien, d’un médecin spécialiste, mais aussi d’acteurs tels que des kinés, des infirmières à domicile ou des magasins de nutrition spécialisée. “Le patient pourra échange ses points ou tokens auprès de ces intervenants, contre des conseils, des services, des produits…”

Selon la vision qu’en a Gratiago, le token et la blockchain, appliqués au principe d’adhésion thérapeutique, sont source de création de “valeur”. Une valeur dont les contours et la teneur font encore l’objet de ses réflexions.

On a déjà évoqué la valeur que représenterait une meilleure adhésion pour la santé… financière de la sécurité sociale. La valeur intrinsèque, garantie, d’un token ou d’un capital de tokens devrait également permettre au médecin traitant de mieux suivre et évaluer les progrès de son patient. Reste à Gratiago à faire preuve d’inventivité et d’originalité pour réellement imaginer un système de partage de valeur entre patients et professionnels de soins. Au-delà des quelques idées évoquées ci-dessus. Au-delà aussi, potentiellement, du principe de confiance totale privilégié actuellement où la création et l’accumulation de points (ou tokens) se font exclusivement sur la base des déclarations et des appréciations personnelles du patient…

La participation récente de Gratiago au programme d’accélération MedTech de Lifetech.brussels lui a en tout cas permis, au-delà de ses tests avec les Mutualités chrétiennes, d’entrer en contact avec neuf hôpitaux, dont certains se sont dit potentiellement intéressés à intégrer la “méthode” Gratiago dans leurs propres applications de suivi de traitement, avec possibilité éventuelle d’ainsi établir un lien vers le monde des médecins généralistes pour le suivi après hospitalisation.

Un marché potentiellement énorme

L’adhésion d’un patient à son traitement est un problème largement documenté. Des chiffres de l’OMS en font état: selon l’organisation mondiale de la santé, 50% des patients adhèreraient mal ou peu à leur traitement.
Ce chiffre se retrouve chez nous où on estime que moins de 50% des patients atteints d’une des principales maladies chroniques (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, bronchopneumopathie chronique obstructive…) adhèrent à leur traitement. Dont coût pour la sécurité sociale: plus de 3 milliards d’euros par an. Et il ne s’agit là que de coûts directs (hospitalisations, soins, interventions…), sans prendre en compte l’impact sur l’absentéisme au travail, les dépressions…
Dans ce domaine de l’application d’un traitement prescrit ou recommandé, on distingue trois notions fort proches:
– “l’adhésion thérapeutique, ou adhésion au traitement (adherence en anglais), qui peut se définir comme l’approbation réfléchie de l’individu à prendre en charge sa maladie, et donc à accepter son traitement, à y participer de manière active et volontaire avec un comportement acceptable pour obtenir un résultat thérapeutique. L’adhésion fait référence à des attitudes et la motivation des patients.
– l’observance” thérapeutique (compliance en anglais) fait référence au respect du traitement médicamenteux en matière de respect de la posologie.
– enfin, la “persistance” se définit comme le respect de la durée du traitement jusqu’à son terme, et ce, sans interruption de celui-ci.” Source: WeLL (Walloon eHealth Living Lab).