Grand Hôpital de Charleroi: Les coulisses du DPI unique

Pratique
Par · 09/03/2020

Lorsqu’un patient confie sa santé et son sort à un hôpital, quelle que soit la raison de sa visite ou de son séjour, il n’a guère conscience du maillage d’opérations de traitement des données et de suivi informatique que cela met en branle. Depuis des années, tous les hôpitaux sont engagés dans une course à l’optimisation des procédures informatiques. Exemple du côté de Charleroi.

En 2018, le Grand Hôpital de Charleroi (GHdC) entamait la dernière mais importante ligne droite d’un long processus de mutation, nationalisation et uniformisation de la gestion des soins. A savoir, la mise en oeuvre d’un DPI (dossier patient informatisé) unique. 

Après la fusion des hôpitaux intervenue en 2008 (Centre Hospitalier Notre-Dame, Reine Fabiola, Saint-Joseph, Sainte-Thérèse et IMTR), la refonte de l’informatique et des solutions de gestion (médicales, paramédicales et connexes) a exigé – comme toujours dans le secteur hospitalier – une quantité impressionnante d’efforts. Désormais, l’évolution vers une solution DPI unique a une nouvelle date-butoir: 2024, date de l’entrée en service du nouveau super-site unifié que le GHdC construit actuellement en bordure de ring carolo, sur le site dit des Viviers.

En coulisses de cette harmonisation DPI, le rôle de la base de données et des mécanismes d’échanges et de mise à jour des données ne saurait évidemment pas être sous-estimé. Depuis que le choix DPI s’est porté sur xCare de Xperthis (produit entre-temps rebaptisé Xperthis Care), l’horizon s’est quelque peu simplifié pour le GHdC. Car, en coulisses, c’est notamment InterSystems qui est désormais à la barre et, plus précisément, la base de données Caché et la sur-couche HealthShare HealthConnect. Manque par contre à l’appel l’EAI Ensemble, pour des raisons de choix antérieurs.

Voyons tout cela plus en détail.

Vers le DPI unique

En 2018, après un long périple d’harmonisation et de rationalisation à la fois de son informatique et de la gestion des données patients, le Grand Hôpital de Charleroi (GHdC) démarrait la migration vers un nouveau DPI (Dossier Patient Informatisé) unique. Son choix s’était porté sur Xperthis Care. Notamment pour des raisons de continuité par rapport au passé (OmniPro et H+) et pour des raisons budgétaires. “Si nous avions pu choisir une Rolls peut-être le choix se serait-il porté sur une solution du genre Epic”, déclare Pierre Jacmin, directeur informatique du GHdC. “xCare, par contre, nous promettait un coût global raisonnable et supportable par l’institution”.

En 2008, le paysage des solutions médicales au GHdC présentait encore une très grande diversité, avec des redondances et des incompatibilités, suite à l’opération de fusion entre hôpitaux…

 

Le choix d’un DPI unique met fin à un éparpillement disparate de solutions informatiques – par discipline, par spécialité, “voire parfois par spécialiste” -, un éparpillement rendu encore plus impressionnant par les opérations de fusion entre établissements hospitaliers Carole intervenus dix ans plus tôt.

 

Pierre Jacmin (GHdC): “Nous étions parti du principe Adopt plutôt qu’Adapt [lisez: le moins de sur-mesure et d’adaptations possible]. En réalité, il subsiste et subsistera une certaine dose d’“adapt”. Par exemple au niveau des formulaires pour l’encodage des données. “Chaque discipline (consultation, hospitalisation…) a ses propres spécificités. Au moins en sommes-nous arrivés à un stade où il n’y a plus désormais qu’un seul formulaire par service alors que par le passé, il y avait quasi un type de formulaire par utilisateur. Mais on n’en arrivera jamais à un seul formulaire pour l’ensemble de l’institution.”

 

En 2018, le travail de simplification et d’harmonisation avait fait son oeuvre mais, en coulisses, il n’en subsistait pas moins encore une assez grande diversité de bases de données: de l’Oracle, en majorité, mais aussi du MS Access, du Postgres (la base de prédilection de la solution H+ Xperthis) et des bases liées à l’AS/400. Sans oublier les simples fichiers Excel. Et tous ces systèmes (serveurs, applications, bases de données) devaient et doivent toujours s’échanger constamment des informations: dossier médical, dossier infirmier, serveur de résultats, prescription informatisée des médicaments, dossier urgences, dossier paramédical…

Une idée du volume? Au niveau de la prescription informatisée des médicaments, le volume annuel de messages dépasse le million et demi. Le serveur de résultats, lui, affiche 300.000 messages au compteur.

Certes, le “spaghetti” d’origine avait effectué une opération minceur mais on imagine le nombre de passerelles nécessaires. Toutes n’étant pas forcément disponibles “off the shelf”.

Bâtir sur l’existant

La migration vers le DPI unique xCare présentait plusieurs avantages. Notamment une récupération structurée d’une grande partie des données existantes. Chez Xperthis, le choix de la base de données sous-jacente avait été fait: ce serait Caché d’Intersystems. Le contrat passé par le GHdC couvre la totalité du chantier de récupération de données – ainsi que toute évolution future des outils Intersystems. Le fournisseur se chargeait des mécanismes de récupération. Même si certaines passerelles ont dû être développées de manière spécifique, le travail a sans doute été plus abordable que ce qu’un choix pour une autre solution DPI aurait impliqué.

Au total, ces passerelles sont au nombre de plusieurs dizaines: admissions/transferts, radiographie, prescriptions et résultats de laboratoire, OmniPro, H+ Result (serveur de résultat)…

 

Pierre Jacmin (GHdC): “Le choix de Caché nous garantit en outre de disposer d’une base de données qui est un choix de bien des hôpitaux à l’échelle internationale. Ce qui, à plus long terme, peut s’avérer intéressant pour des finalités de recherche”.

Migration en cours

L’exercice de migration démarré en 2018, devant remiser aux oubliettes d’anciens outils et applications, a été structuré selon le principe du basculement successif de “pôles médicaux”, en privilégiant une approche de cohérence métier et en tenant compte du volume de travail que cela représente pour les équipes (en termes de paramétrage et de formation à l’outil), à volume de ressources humaines constant.

Treize “pôles médicaux” ont ainsi été définis. Exemple: cardiologie et chirurgie vasculaire se retrouvent dans le même lot. Idem pour la rhumatologie et la pneumologie. Et ce, à l’échelle de tous les sites hospitaliers concernés (rappelons en effet au passage que le GHdC, avant son futur déménagement vers le site des Viviers, en construction, est actuellement “dispersé” sur cinq sites hospitaliers: Saint-Joseph, Notre-Dame, Sainte-Thérèse, Reine Fabiola et IMTR.

Pierre Jacmin (GHdC): “Parmi les plus-values et avantages apportés par le choix Xcare/InterSystems, une plus grande sérénité pour la période transitoire, la récupération des données existantes, la maîtrise des coûts, une transition douce et progressive et la perspective de pouvoir à l’avenir créer, encoder et utiliser des données structurées, en vue d’une gestion et analyse atomiques.”

Pendant toute la phase de migration, le travail de “pompage”, de récupération et de mise en cohérence des données qu’assume la solution InterSystems continuera. Certaines données sont encore générées dans OmniPro ou dans H+, avec duplication vers xCare et génération systématique d’un lien contextuel. Par contre, lorsque les données sont créées directement dans xCare (pour les portions fonctionnelles déjà migrées), elles ne sont pas dupliquées dans une des autres solutions plus anciennes.

Pour l’instant, certaines fonctionnalités continuent d’être gérées par les “anciennes” solutions en attendant que la version Xperthis Care permette de les gérer efficacement. “Les volets gestion des hospitalisations, prescriptions de médicaments, de labos, d’examens sont bien pris en charge par Xperthis Care. Par contre, pour la gestion des consultations, nous continuons d’utiliser OmniPro”, indique Pierre Jacmin. “Lorsque la solution Xperthis Care donnera toute satisfaction dans ce registre, nous basculerons vers elle et nous récupérerons les données.”

D’autres solutions demeurent “extérieures” au champ fonctionnel géré par le DPI. La gestion du bloc opératoire par exemple. Bien que connecté à la solution, il n’est pas intégré à proprement parler au DPI. Contrairement à la gestion des urgences ou des soins intensifs.

“Les solutions de gestion du bloc opératoire et de la stérilisation demeureront des systèmes spécifiques. D’une part, parce que Xperthis Care ne les couvre pas et, d’autre part, parce que ces deux “métiers” demandent une gestion spécifique, en termes de processus, d’organisation des ressources humaines…” 

Cinq environnements

L’arrivée de la solution InterSystems a par ailleurs permis au GHdC de modifier sensiblement la manière dont les déploiements s’effectuent. Par le passé, aucun environnement de test, par exemple, n’avait été mis en oeuvre. Désormais, ce sont pas moins de cinq environnements qui sont à la manoeuvre: environnement de développement et test (tests et paramétrages avant mise en production), environnement d’acceptance (pour validation finale des versions avant mise en production), environnement de production, environnement de formation (“bac à sable” pour la formation des utilisateurs), environnement de démonstration (à des fins de “showcasing” sur base de paramétrage neutre).

“La mise en place de ces environnements a pour but d’accélérer les processus et d’éviter les lenteurs en cas de bug lors de l’ajout d’une fonction ou d’une modification”, souligne Pierre Jacmin.

La méthode s’est donc professionnalisée. Elle se justifie notamment par le caractère continu des développements de la solution Xperthis Care, avec ses ajouts progressifs de fonctionnalités et, du côté d’Xperthis, l’évolution encore en cours de la transposition OmniPro/H+ dans le nouveau DPI et l’ajout de nouveaux potentiels à la nouvelle version. “Cela nous permet de migrer les lots [services et pôles médicaux], d’assurer le suivi des lots migrés tout en préparant les futures migrations sur base de l’existant. Et par ailleurs d’expliquer aux utilisateurs les nouvelles fonctionnalités que promet la société pour sa prochaine version de Xperthis Care.”

Il est un élément, majeur, du catalogue InterSystems que le GHdC n’utilise pas (ou pas encore), en l’occurrence l’EAI Ensemble. “Nous avons choisi de continuer à utiliser la solution open source Mirth. Elle est certes limitée, en termes fonctionnels, dans la mesure où nous utilisons la version gratuite et ne bénéficions donc pas des fonctionnalités payantes du genre gestion de haute disponibilité et redondance.” Mais il s’agit là d’un compromis volontaire de la part de l’hôpital qui ne voulait pas changer dans l’immédiat d’EAI afin de ne pas avoir à apprivoiser une solution de plus. “Lorsque l’exercice de migration [DPI] sera terminé, on en reparlera sans doute…”