Du bric, du broc et pas assez de “brug” ? (Dossier Enseignement)

Pratique
Par · 06/06/2018

En préparant ce dossier sur l’enseignement de compétences numériques et en contactant divers acteurs de terrain et/ou observateurs du monde de l’enseignement, il se dégage comme une impression d’incompréhension ou de désynchronisation entre le “terrain”, d’une part, et les autorités publiques, de l’autre.

La question de l’acquisition et de la maîtrise de nouvelles compétences propres à armer les nouvelles générations face aux défis – et opportunités – du numérique demeure souvent dans une sorte de flou artistique au sujet de ce qu’il faudrait faire, de qui doit – ou peut – prendre l’initiative, de la manière de s’y prendre… L’expectative dans laquelle se trouvent encore nombre d’acteurs et d’intervenants sur ce que donnera réellement, dans la pratique, le Pacte d’Excellence contribue et alimente ce sentiment, ce “ressenti”.

Hâtons-nous. Quoique…

Dans le même temps – et il y a là un évident lien de cause à effet -, les initiatives de terrain se multiplient, souvent en ordre dispersé. Ces mêmes initiatives ne sont pas toujours perçues, voire acceptées d’un bon oeil, par les instances publiques ou, du moins, par certaines d’entre elles. Le terrain, souvent, a l’impression que l’intérêt de ces dernières fait défaut. Voire que ce qui vient du terrain est rejeté parce que n’ayant pas reçu l’aval, au préalable, de ces mêmes instances ou autorités.

Mais si le “terrain” prend des initiatives – et est même encouragé par une frange des autorités publiques à le faire -, n’est-ce pas justement pour palier un vide, une lenteur toute administrative des décisions publiques?

L’équation est quasi impossible à résoudre: compte tenu des besoins du quotidien et de l’aujourd’hui, il faut se hâter, sans trop de lenteurs ni de lourdeurs, mais la hâte risque de ne pas correspondre au cadre qui sera finalement défini.

Ce qui fait dire à certains acteurs, côté “instances”  – et le serpent se remord la queue ! -, qu’il faut laisser du temps au temps, laisser le temps au “cadre” de se définir. Du genre “quand le référentiel [de compétences] sera prêt, on y verra plus clair.”

Sera-t-il alors encore temps? N’aura-t-on pas perdu une demi-génération 2.0? Faut-il attendre que le référentiel de compétences à acquérir par les apprenants soit défini avant d’imaginer un cadre de compétences à maîtriser par les enseignants, au risque de prolonger les délais d’une année ou deux? Pourquoi, entre Région(s) et Communauté et en “intra-Fédération”, ne travaille-t-on pas davantage en parallèle et en bonne intelligente sur tous les axes et leviers concernés?

Bric et broc mais pas (assez) de “brug” ?

La Région d’un côté. La Fédé de l’autre. Et vous voudriez que le monde de l’enseignement et son petit bonhomme de chemin vers le numérique tournent rond? Voilà bien une réflexion souvent entendue.

Ne revenons pas sur le problème de financement de la Communauté française. Quoique… En effet, pour pallier certains besoins, la Région a trouvé, depuis de nombreuses années, quelques ficelles pour équiper l’enseignement. Au-delà même de l’infrastructure réseau et des matériels qui sont en effet de sa compétence, elle a toutefois franchi un tantinet la frontière des pratiques pédagogiques.

Et le recours régional demeure bel et bien d’actualité à l’heure où se prépare le Pacte d’Excellence, côté Fédé. Quelques financements permettent à certaines initiatives de terrain de voir le jour. Du genre Kodo Wallonie ou CoderDojo pour ne citer qu’elles. Certes, officiellement, l’aide régionale se fait sous forme de financement de matériels et logiciels mais permet aussi de rémunérer quelques collaborateurs administratifs, dont certains… sont impliqués dans le pédagogique.

Autre exemple de frontière floue en termes de compétences de l’une et de l’autre: la formation des enseignants. En principe (et en réalité), cela relève de la Communauté. Mais alors, comment une initiative telle que Class’Code a-t-elle pu voir le jour, sous la bannière et avec le soutien financier de la Région? A découvrir dans cet autre article.

Plusieurs raisons ou justifications sont évoquées. D’une part, l’existence et la teneur bien réelles de l’accord de coopération Région-Communauté conclu en 2005, qui permet notamment aux centres de compétence de former les enseignants aux compétences numériques (dans le cadre de l’IFC – Institut de la Formation en cours de Carrière). D’autre part, la volonté de la Région d’évoluer vers un environnement et un territoire dignes de l’ère numérique, tel que le prévoit le plan Digital Wallonia. Objectif: procurer au “citoyen” le contexte et les outils dont il a besoin. Et comme apprenants et enseignants sont deux typologies de citoyen…

A la Région, d’ailleurs, on souligne que “la volonté n’est pas de remplacer, de faire quelque chose de formel en matière de formation au numérique dans l’enseignement. Juste d’aider…”

Tout cela n’en ressemble pas moins pour autant à de l’inventivité conceptuelle. Tout cela pour dire que, lorsque les comptes sont mauvais, il y a toujours moyen de s’arranger entre amis. Mais aussi que cela est loin d’être idéal, optimal et tenable.

En Belgique, francophone en particulier, on vit souvent de bric et de broc. Avec un manque de brug (“pont” en néerlandais). Entre la Région et la Communauté, voire même au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’y a pas de grande union objective au bénéfice de compétences numériques en enseignement. Allez plutôt demander aux organisateurs de la conférence EduCode ou à la Maison des Maths comment ils ont perçu des degrés de chaleur très différents selon que l’identité de leur interlocuteur…