Dat’s Way: embryon de projet de mobilité “as a service” à Charleroi

Pratique
Par · 20/04/2022

C’est un sujet qui revient souvent dans les appels à projets orientés smart city, des réflexions des municipalités, un sujet qu’on l’on a à nouveau retrouvé lors du hackathon Citizens of Wallonia organisé par FuturoCité : l’orchestration de la mobilité multi-modale pour fluidifier les transports, déplacements et artères de nos villes (ou territoires).

Deux équipes constituées lors de ce hackathon s’étaient saisies de ce thème, proposé et “parrainé” par la Ville de Charleroi et Alstom. Une seule des deux équipes a été jusqu’au bout du week-end, proposant un début de solution qui a été jugé suffisamment solide et intéressant pour, d’une part, remporter le prix Data du hackathon et, d’autre part – et surtout – convaincre la ville et Alstom de le pousser plus loin. Des contacts ont d’ores et déjà été repris avec le noyau de l’équipe – pour l’essentiel des étudiants en informatique mais aussi en architecture de l’UMons.

Objectif : mobilité multi-modale “as a service”

L’objectif est de développer une véritable solution d’optimisation et de gestion de la mobilité multi-modale non seulement pour la ville de Charleroi mais opérante également sur la totalité du territoire de Charleroi Métropole (30 communes).

Le principe en sera le “MaaS” (Mobility as a Service), c’est-à-dire la possibilité pour chacun (habitants, voyageurs, touristes, professionnels en tous genres) d’hybrider à foison ses modes de déplacements – selon les circonstances, son agenda, ses préférences ou encore ses possibilités.

Dat’s Way

Nom choisi par l’équipe pour le projet: Dat’s Way – le “dat” faisant évidemment référence aux “data”, élément essentiel pour mener le projet à bien. C’était et c’est en effet à la fois le noeud du problème et le premier écueil à surmonter. 

Le but ultime est d’amalgamer, d’associer et de faire interagir des données venant d’opérateurs publics et privés (transports, parkings…), des données concernant les transports terrestres (routier, ferroviaire – métro compris) et aérien (l’aéroport de Charleroi est une pièce immanquable du puzzle tant en termes de destination que de source de trafic), des données générées par les citoyens-utilisateurs, par les dispositifs de collecte de données (caméras, capteurs routiers…), des données météo…

Le tout en temps réel, afin d’offrir à tout moment à l’usager des informations pertinentes sur les meilleures modalités possibles pour le trajet qu’il doit parcourir. De permettre aux exploitants des services de transport de disposer des informations utiles leur permettant d’adapter la fréquence des trains, trams, bus, rames de métro à la demande à tout moment de la journée. De permettre aux autorités locales deréorienter des flux de circulation pour éviter travaux, manifestations, fêtes…

Tout cela est bien connu et scénarisé. Le tout, c’est de le concrétiser.

Pour les besoins de l’exercice de type proof of concept effectué lors du hackathon, Alstom avait mis à disposition des outils issus de sa Mobility Data Platform, ainsi qu’un coach et du support technique pour faciliter l’implémentation d’un premier pré-prototype. Les données, elles, avaient été prêtées par Proximus (pôles de concentration de personnes aux heures de pointe), les TEC et par la Ville de Charleroi. Cette dernière a par exemple fourni la cartographie du réseau cyclable, des données d’accidentologie (venant des services de police de la ville et qui servent par exemple à prioriser les voiries à aménager ou sécuriser).

Un exercice “prise de conscience”

En participant comme promoteur et potentiel destinataire de la solution que l’équipe de Dat’s Way a commencé à esquisser, la Ville de Charleroi a pu mieux cerner les obstacles et difficultés originels à surmonter. 

C’est l’occasion rêvée de vérifier si les jeux de données pouvant potentiellement être utilisés sont de qualité, optimisés, dans un format exploitable, etc. C’est aussi l’occasion de réfléchir plus concrètement aux lacunes persistantes. Xavier Desgain, échevin carolo de la mobilité, constate par exemple que de nombreux types de données pourraient potentiellement être exploités à condition que les dispositifs de collecte soient conditionnés pour le faire. Et ce, sans que le coût soit forcément élevé.

Un projet qui “tombe à pic”

Le hackathon Citizens of Wallonia s’étant, cette année, déroulé pour la première fois à Charleroi (après ses éditions montoises et liégeoises), les édiles de la Ville ne pouvaient évidemment pas passer à côté de cette opportunité. Xavier Desgain, échevin en charge notamment de la mobilité, fut sollicité en amont afin de mettre des jeux de données à disposition mais aussi pour réfléchir à de possibles scénarios d’implémentation.

A ses yeux, le hackathon et le thème de la mobilité tombaient d’autant plus à pic que, non seulement la mobilité multi-modale figure sur l’agenda des défis à relever par la ville depuis déjà quelques années, et que lui-même est impliqué dans la préparation d’un plan de mobilité à l’échelle de Charleroi Métropole, dont il est le vice-président de la Conférence des bourgmestres. “Nous en sommes à la phase de diagnostic. Le but est d’améliorer et d’accentuer le service et, donc, de trouver une application de mobilité intelligente qui permette d’organiser des chaînes de déplacement transparentes sans devoir jongler avec plusieurs applications.”

Des exemples ? “Les caméras ANPR [Automatic Number Plate Recognition] positionnées le long des routes afin de comptabiliser et facturer les kilométrages parcourus par les poids lourds. Mais ce ne sont pas des données de fréquence de circulation selon des créneaux horaires…” Idem pour les boucles aménagées dans le revêtement de la chaussée et qui opèrent de concert avec des caméras placées feux de signalisation [Ndlr: afin de relever des infractions de vitesse].

“De même, il ne serait pas compliqué d’enrichir les fonctionnalités des radars dits préventifs, chargés de signaler des dépassements de vitesse.”

Autre exemple : de nouvelles fonctions dont seraient dotées les “scan cars” qui circulent pour détecter des véhicules en infraction de stationnement ou encore des fonctions qui viendraient se greffer à l’appli Flow Check (solution mobile sur GSM embarqué) utilisée par la Région wallonne dans le cadre du projet de déploiement de bus dits à “haut niveau de service” [les BHNS, en abrégé]. C’est-à-dire des bus devant circuler en site propre, dont la fréquence de circulation peut être plus aisément adaptée selon les besoins.

“Depuis deux ans, via l’appli Flow Check, on a par exemple pu mesurer l’effet qu’a le ralentissement en zones 30 sur les flux de déplacement des véhicules”. Une extension à d’autres scénarios et usages serait parfaitement envisageable.

Les premières pièces du puzzle

48 heures chrono pour développer un début de solution, c’est évidemment fort court. Ce que l’équipe Dat’s Way a réussi à faire, c’est plutôt d’ébaucher un proof of concept, en amont d’un prototype, et de concevoir quelques premières pièces de ce qui s’annonce comme un vaste puzzle à charnières multiples.

S’appuyant sur les données de Proximus, l’équipe a ainsi développé un outil d’analyse des données (basé sur le principe des réseaux neuronaux) pour prévoir, sur base des données historiques, les points de concentration de personnes selon les créneaux horaires.

Deux autres ébauches de solutions ont vu le jour lors du hackathon.

D’une part, à l’usage de la Ville, un tableau de bord affichant divers paramètres doublé d’un potentiel de génération de rapports, opérant sur base de données diverses (celles déjà mentionnées provenant de Proximus, de la police – tels que les statistiques d’accidents impliquant des cyclistes…). “L’outil développé permet par exemple de représenter sur la carte du Grand Charleroi, par le biais de touches de couleurs, les zones accidentogènes pour cyclistes…”

D’autre part, une ébauche d’application mobile destinée au citoyen qui, à terme, pourrait lui concocter son parcours multi-modal idéal sur base de ses intentions spécifiques.

Faire aboutir le projet

Tant la Ville de Charleroi, par le biais de son échevin de la mobilité, qu’Alstom ont jugé les idées portées par l’équipe Dat’s Way suffisamment intéressantes et originales pour décider de poursuivre l’effort et de les transformer, si possible, en projet viable. 

Dat’s Way est loin d’être le premier projet Mobilité auquel pense Charleroi. La preuve…

“Nous restons en contact avec les étudiants en informatique (3ème année) de l’UMons afin de poursuivre l’exercice sous une autre forme, peut-être un projet de fin d’étude”, déclare Pierre Meunier, directeur Innovation chez Alstom Belgique. “Les étudiants sont clairement motivés à poursuivre. Nous comptons donc aller plus loin, avec eux et avec la Ville, pour exprimer les besoins et développer un prototype.”

Même volonté exprimée dans la bouche de l’échevin carolo de la mobilité: “Nous avons aimé le travail qu’ils ont fourni. Ils ont par ailleurs su croiser leurs compétences respectives [IT, développement, architecture…]. Nous serions heureux de voir le projet se poursuivre et gagner en consistance.

De notre côté, nous allons continuer à mettre des données à disposition, en améliorant leur qualité. L’intérêt est aussi que les jeunes identifient les types de données nécessaires. En interne, il sera plus facile de motiver nos équipes à collecter et organiser les données s’ils voient concrètement ce que les jeunes en font.

Personnellement, participer à ce hackathon m’a servi de prise de conscience que le service public peut générer des données et en tirer des choses intéressantes.”

 

Xavier Desgain (Ville de Charleroi): “Personnellement, participer à ce hackathon m’a servi de prise de conscience que le service public peut générer des données et en tirer des choses intéressantes.”

 

La poursuite du projet ne se limitera évidemment pas au maintien des contacts avec l’équipe étudiante. Alstom a ainsi pris contact avec les responsables des TEC, “afin de les impliquer davantage à la fois comme utilisateurs et comme générateurs de données”.

Il faudra aussi impliquer d’autres opérateurs. Comment les convaincre? “Il faut aller les chercher, les convaincre en leur démontrant une valeur: diminution des coûts, diminution des consommations d’énergie, amélioration de la qualité, nouveaux services…”, raisonne Pierre Meunier.

“Il faut employer la méthode douce. A l’issue du hackathon, nous disposons de quelque chose de minimal. Il s’agit désormais de tester des choses simples pour aboutir à un prototype. Tester. Investir peu mais malin. Et changer de direction si l’on constate qu’on n’avance pas dans la bonne direction. Nous disposons déjà d’un socle minimal pour que le projet puisse continuer.”

Quel “pilote” pour la multi-modalité?

L’un des enjeux futurs sera de s’attaquer à un élément-clé: le centre de contrôle appelé à concentrer et réconcilier les données venant des multiples acteurs immanquablement impliqués dans tout plan multi-modal.

Alstom dispose déjà par exemple d’un centre de contrôle qui assure la supervision de tous les véhicules connectés fournis à la Ville. Un centre qui collecte, peut analyser et tirer des enseignements de données telles que vitesse des véhicules, nombre de passagers (calculé par analyse d’image ou comptage par capteur, voir mesure de masse), défaillances techniques…

Problème : chaque opérateur de transport (ou de mobilité au sens large – aires de parking et consorts) dispose potentiellement de ce genre d’infrastructure de contrôle.

 

Pierre Meunier (Alstom): “L’ajout de solutions orientées MaaS, à commencer par exemple par les taux d’occupation des véhicules de transport en commun, représente un coût négligeable par rapport aux coûts d’infrastructure et des véhicules eux-mêmes mais peut par contre générer une valeur phénoménale.”

 

Le défi, tel que souligné par Pierre Meunier, est de “coaliser les données pour obtenir une vision multi-opérateur à l’échelle non seulement d’une ville mais d’un territoire, d’une zone géographique, d’une région…” Objectif – et nécessité : obtenir une “information complète, unifiée, pour analyses, simulations, optimisation de la mobilité en mode MaaS”.

“Il est essentiel de ne pas adresser le problème par petites touches. L’élément fondamental est la concentration. Sans cela, on en reste à un ensemble de taches de peau de léopard.”

Console de surveillance Alstom

Qui dit par ailleurs collecte et amalgame de données venant de diverses sources et systèmes, dit anarchie potentielle de formats.

Signalons au passage que, lors du hackathon, l’un des avantages dont a bénéficié l’équipe Dat’s Way est de ne pas avoir dû se soucier de ce genre de “détails”, Alstom ayant mis à sa disposition des outils de conversion de données.

Qui devrait ou pourrait prendre les rênes de ce super centre de contrôle unifié? La Ville? Un opérateur? Une instance à un niveau (géographique) supérieur?

Impossible de le déterminer au stade actuel – même si on peut imaginer divers scénarios. Xavier Desgain imagine toutefois que ce rôle pourrait potentiellement être dévolu à la Centrale locale de Mobilité qui, pour l’instant, n’intervient encore que pour l’aide au transport à la demande. Un organisme qui opère essentiellement en milieu rural. Mais dont la mission pourrait évoluer. “Dans le cadre de notre Plan de Mobilité pour Charleroi Métropole, la Centrale locale de Mobilité pourrait devenir ensemblier.” Mais bien du chemin semble encore nécessaire pour y arriver. Pour l’instant, les véhicules sollicités pour ces transports “personnalisés, à la demande”, par exemple pour les déplacements de personnes devant se rendre à l’hôpital, sont encore sous-exploités. “95% des trajets se font à vide parce que, notamment, la Centrale ne dispose pas d’une vision sur les flux. Les demandes de transport sont en effet gérées par les mutuelles…”