Baromètre 2020: chaud et froid pour la transformation numérique des entreprises wallonnes

Pratique
Par · 23/11/2020

L’AdN vient de publier l’édition 2020 de son traditionnel “Baromètre” de la maturité numérique des entreprises wallonnes. L’étude a été réalisée, via questionnaire, auprès de 2.914 sociétés, afin de mieux cerner leurs usages du numérique pendant l’année 2019. A noter que l’enquête a été finalisée en février 2020, soit avant que la crise du Covid ne produise ses effets en termes de recul voire de restructuration d’activités. 

Un second sondage, plus spécifique et touchant moins de sociétés (1.249), a ensuite été effectué, en juin, afin d’identifier certains “effets Covid” sur la mise en oeuvre de solutions ou processus informatisés et/ou numériques. 

Au cours des prochains jours, nous évoquerons plus en détail, au fil de plusieurs articles, certains volets et pans d’analyse de ce Baromètre: évolution des équipements d’infrastructure et adoptions des technologies avancées, (nouveaux) modes de travail, besoins en renforcement des compétences…

Mais commençons par un coup d’oeil sur le score global de maturité numérique des entreprises wallonnes, sur l’annonce de la mise à disposition, via le site de Digital Wallonia, de l’outil d’auto-évaluation DigiScore, et sur quelques déclarations faites par divers intervenants lors de la présentation de ce Baromètre, ce vendredi 20 novembre.

Progrès dans certains axes, statu-quo dans d’autres

Le “DigiScore” est l’outil d’évaluation qu’a élaboré l’AdN pour mesurer le niveau de “maturité numérique” des entreprises, niveau calculé en fonction des “performances” ou taux d’adoption – et d’utilisation – de solutions IT/numériques selon quatre axes: infrastructure informatique, gestion des ressources humaines, transformation numérique des processus métier, et stratégie commerciale.

Quelle est la situation globale des entreprises wallonnes en termes de “maturité numérique”? L’AdN relève une progression moyenne de 5 points en l’espace de deux ans. Nouveau score: 30 sur 100.

Petit bémol: le gain moyen est essentiellement dû une petite frange de sociétés qui ont sensiblement progressé, réalisant un score entre 30 et 50. Autrement dit, la (grande)) majorité n’a guère fait de progrès… Et le score moyen demeure assez faiblard – tout en précisant, comme le souligne André Delacharlerie, co-auteur du rapport Baromètre de l’AdN, qu’un score de 100 est quasiment inatteignable par une quelconque société. “Un score de 70 à 80 serait un sommet raisonnable à atteindre. Mais cela veut en effet dire, en effet, qu’il y a une importante marge de progression [Ndlr: bel “understatement”], en particulier pour beaucoup d’entreprises de petite taille.”

Les scores moyens sur l’axe infrastructure technologique sont (quasi) stables et en progression dans les trois autres: +13 points en gestion des ressources humaines, +2 en digitalisation des processus métier et +3 en digitalisation de la stratégie commerciale.

Les axes 3 et 4 sont clairement les “ventres mous”.  Les auteurs du Baromètre voient plusieurs raisons à cet état de choses.

D’une part, le fait qu’il s’agit d’abord, pour les entreprises, de progresser dans les axes précédents, en particulier le premier (infrastructure et équipement en solutions), avant de passer aux outils et applications métier.

 

 

Ensuite, le fait (du moins en termes de score moyen, toutes entreprises confondues) que le “tissu économique” wallon est très majoritairement constitué de petites PME, voire de TPE, devant faire face à des processus internes moins complexes et à des flux d’informations moins nombreux et éclatés. Il est donc “moins critique” pour elles d’“acquérir de nouveaux moyens de communication internes numériques et collaboratifs.”

Par ailleurs, les TPE “ont plus de difficultés à investir du temps, des moyens et des compétences spécifiques dans la transformation digitale au-delà de la simple adoption des outils numériques.” Ce qui explique plus particulièrement, selon l’AdN, la faiblesse relevée notamment dans l’axe 4 (transformation numérique de la stratégie commerciale).

Et, côté professionnalisation ou numérisation des processus métier et des échanges entre entreprises, “la petite taille des entreprises rend les interconnexions en EDI et/ou via ERP soit inutiles, soit difficilement accessibles. Là où c’est possible, nos entreprises privilégient les extranets et les VPN pour communiquer avec leurs clients professionnels. Ce qui, de facto, diminue les chiffres de vente en ligne au travers des sites Internet, des réseaux sociaux et/ou des e-shops.”

A noter aussi un chiffre qui peut paraître surprenant. Si les auteurs de l’étude parlent de “stabilité” dans l’axe Infrastructure, les chiffres réels signalent… un recul de deux points (passant de 40 à 38 en l’espace de deux ans). Explication? “En fait, nous avons quelque peu modifié les paramètres utilisés pour la constitution de l’axe 1 [Infrastructure technologique]“, explique Hélène Raimond, co-responsable de l’étude. “Nous avons par exemple désormais intégré l’utilisation de technologies avancées (blockchain, intelligence artificielle, drones, impression 3D…) dans cette dimension. Ce qui a eu pour effet de faire reculer certaines sociétés et, donc, la moyenne globale”.

A noter également au passage que les paramètres d’analyse pour l’axe 2 (ressources humaines) ont également été étoffés: “En 2018, nous y avions surtout intégré le concept de new world of work – travail à distance, recours à des coworking… Pour le Baromètre 2020, nous y avons ajouté l’utilisation d’outils de collaboration numérique, l’analyse de l’implication des travailleurs dans les projets et la conduite du changement, le facteur formation, ou encore la présence en interne d’un responsable informatique…”.

L’ajout de ces critères rend donc une comparaison par rapport aux chiffres de 2018 (progression de 13 points) plus délicate…

Ne mettons pas tout le monde dans le même panier

Le score moyen global des entreprises wallonnes (tous secteurs et toutes tailles confondus) est donc de 30 (sur 100). Mais, comme indiqué, les entreprises de plus de 10 employés enregistrent un score un tantinet voire sensiblement supérieur:
– sociétés de 10 à 19 travailleurs: score moyen de 37
– sociétés de 20 à 49 travailleurs: 39
– sociétés de 50 à 99 travailleurs: 40
– sociétés de plus de 100 travailleurs: 49.

Il y a toutefois des sociétés qui sont, de manière inquiétante, réellement à la traîne: pas moins de “36% des sociétés réalisent un score se situant entre 0 et 20”, souligne Hélène Raimond. “28%  présentent réellement un risque important de fracture numérique.” Mais, dans la foulée, elle modère l’analyse: “il s’agit souvent de sociétés évoluant dans l’horeca, dans le secteur agricole ou de détail, où l’usage du numérique est moins ancré, où le traitement des données ne fait pas ou pas encore partie du coeur de métier. Elles sont par ailleurs souvent dirigées par des personnes ayant un niveau de formation inférieur.

Mais cela n’empêche nullement qu’il faille les soutenir dans la mesure où ces sociétés sont confrontées à un manque de compétences et n’ont pas les moyens de faire face à l’urgence. Une solution serait de mutualiser davantage solutions et accompagnement, avec un rôle certain à jouer par les fédérations sectorielles…”

DigiScore par secteur.

DigiScore perso

L’outil d’évaluation “DigiScore” est désormais disponible en-ligne afin de permettre à toute entreprise de s’auto-évaluer en termes d’adoption – et d’utilisation – de solutions IT/numériques selon les quatre axes pré-cités: infrastructure informatique, gestion des ressources humaines, transformation numérique des processus métier, et stratégie commerciale.

Pour déterminer son niveau, il suffira désormais à chaque entreprise (disposant d’un numéro BCE) de remplir un questionnaire en-ligne… En une demi-heure chrono, promet Digital Wallonia.

Elle pourra ainsi se comparer à la moyenne régionale, telle qu’établie par l’étude “Baromètre” de l’AdN, ou aux scores réalisés par des sociétés évoluant dans le même secteur qu’elle, et/ou employant un nombre similaire de personnes. Et, dans la foulée, l’outil lui “suggérera quelques pistes d’amélioration concrètes”.

Les questions auxquelles les entreprises sont invitées à répondre pour calculer leur score sont les mêmes que celles dont l’AdN s’est servi pour calculer le DigiScore global. Logique, si l’on veut une comparaison pertinente.

 

Benoît Hucq (AdN): “Le DigiScore est un outil important pour les entreprises, non seulement pour pouvoir se comparer leur maturité numérique avec celle de leurs pairs mais aussi pour initier une action, par l’entreprise elle-même, et pour baliser les actions de terrain par les acteurs de l’animation économique.”

 

Les questions portent donc sur les processus de l’entreprise, la présence et l’utilisation de systèmes et outils numériques, la mise en oeuvre d’une formation continue (générale ou axée sur le numérique), sur la manière dont l’entreprise envisage l’innovation, a recours ou non à des technologies avancées (blockchain, IA, IoT…), quelles sont les caractéristiques de son site Internet (transactionnel ou non, mis à jour ou non…), etc.

Certaines questions sont plus contextuelles, ne débouchant pas sur une pondération chiffrée – par exemple, quels sont les freins à la numérisation. Mais les informations recueillies serviront à mieux cibler les conseils qui seront donnés, directement dans le rapport ou à l’usage de tiers (consultants, fédérations professionnelles…) auxquels l’entreprise pourrait ensuite s’adresser. 

Une fois le questionnaire complété, l’entreprise peut donc visualiser son score, son positionnement sur l’échelle de maturité (représenté graphiquement), par comparaison avec la moyenne générale, la moyenne sectorielle, des sociétés similaires…

Des conseils et pistes d’amélioration sont en oute formulés dans un rapport. Ainsi qu’une liste de ressources potentielles pouvant aider l’entreprise: infos sur l’existence des chèques-entreprise, lien vers me “DigiScan” d’Agoria (orienté sociétés industrielles B2B), liens vers les webinaires et vidéos d’information orientés commerce numérique, liste des prestataires IT de Wallonie…

Les “petites phrases”

En plus des collaborateurs de l’AdN, la séance de présentation du Baromètre Entreprises 2020 a vu l’intervention d’Olivier de Wasseige, patron de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE), et de Willy Borsus, ministre en charge de l’économie et du numérique en Région wallonne.

Voici quelques-unes de leurs déclarations…

Parmi les dossiers et thèmes qui apparaissent comme prioritaires aux yeux de l’UWE, Olivier de Wasseige citait ma couverture du territoire en THD (très haut débit) ; un soutien “sur tous les plans – du pré-diagnostic à l’accompagnement” – pour l’évolution des processus industriels vers le 4.0 ; la disponibilité d’un outil d’évaluation des compétences numériques des collaborateurs – “outil essentiel afin de déployer des formations orientées upskilling et reskilling ; ou encore une approche différente de l’e-commerce

“L’e-commerce a trop souvent été considéré, en Wallonie, comme un outil pour l’exportation. Nombreuses sont les sociétés qui, en raison de la crise sanitaire, ont pris conscience qu’il a également sa place dans le commerce local.”

Olivier de Wasseige ajoute encore quelques autres souhaits: “Le secteur numérique wallon doit se renforcer, doubler de taille. Il faut booster les entreprises existantes et par ailleurs mettre un accent tout particulier sur l’intelligence artificielle, dans le plan de redéploiement économique.

Il faut également progresser plus vite du côté de l’e-learning [pour les entreprises], notamment en accélérant le processus de reconnaissance et en simplifiant les modules de formation disponibles.

Il faut également investir davantage dans l’enseignement au numérique, à tous les stades de l’éducation, et appliquer le principe du DigiScore également au secteur public.”

Petites phrases du ministre Willy Borsus? “L’étude prouve qu’il y a progrès dans différents domaines et c’est une bonne chose mais certains chiffres interpellent. Il y a par exemple un effet évident en termes de taille d’entreprise et de secteur d’activités, ou encore une corrélation avec l’âge des dirigeants. C’est là des éléments qu’il faut intégrer dans nos politiques de soutien et de transformation.”

Autre élément qui retient son attention: le besoin de formations continues. “Si, de manière continue, pour tous les travailleurs, on n’agit pas pour avoir un mouvement contenu et régulier d’investissement massif afin d’améliorer le niveau de compétences, on n’aura pas les outils, en interne, pour faire face aux défis.”

L’e-commerce et la connectivité du territoire sont également épinglés dans ses propos: “Les efforts pour l’e-commerce doivent être plus massifs à l’avenir. Il faut arrimer, articuler l’e-commerce de proximité sur le commerce physique. Face à des plates-formes comme Amazon ou d’autres, il faut des plates-formes locales ou supra-locales professionnelles et pointues, pour nos commerçants et nos producteurs.”

Quant au très haut débit, “on doit progresser. La Wallonie ne peut rester en dehors du débat, ne peut se priver d’une connectivité efficace.”

Et de conclure en disant que, dans le plan de relance et de résilience de la Wallonie, le numérique devra indéniablement trouver une place majeure: “Je veillerai à ce qu’il y ait des crédits suffisants pour la transition, que ce soit à l’usage des commerces, ces entreprises; de l’administration…” On prend d’ores et déjà acte.

A suivre… Dans le deuxième article consacré à l’analyse du Baromètre, nous nous arrêterons sur l’importance de la “perception” qu’ont les dirigeants d’entreprises wallonnes de l’intérêt que représente numérique pour leurs activités et stratégie sur le rythme et les formes de transformation que leur société adopte.