3S-HomeCare: comment faire adhérer des patients âgés à leur traitement

Pratique
Par · 06/04/2018

Le but du projet-pilote 3S-HomeCare [voir la fiche du projet en fin d’article] était de “tester en conditions réelles, sur un territoire défini, à savoir la Province de Namur, les fonctionnalités et l’acceptabilité” d’une solution de suivi thérapeutique à distance de patients âgés et/ou chroniques.

La solution concernée est celle de la société Intersysto, qui l’a développée au départ d’une autre solution de télémonitoring et d’insertion sociale imaginée par la désormais défunte start-up CareSquare. Petit rappel des origines de la solution en fin d’article.

Le projet 3S-HomeCare visait donc à déterminer si et dans quelle mesure la solution est applicable, acceptable par le patient et son entourage ainsi que par les prestataires de soins, et si elle est utile en termes de confort, de soins et de santé publique.

C’était l’occasion de tester non seulement un nouveau mode de collecte de l’information, des procédures de suivi à distance, mais aussi les implications de l’arrivée de nouveaux “métiers” tels celui de télésurveilleur et de case manager…

Un (petit) pas de plus

Jusqu’ici, la solution HomeCare n’avait été testée qu’auprès d’un nombre limité de personnes, par petits groupes de 6 ou 10. Et il n’y avait pas réellement eu d’accompagnement ou de suivi d’utilisation. “L’écran avait été fourni, avec quelques rapides explications, mais l’utilisateur devait se débrouiller seul”, explique Claudio Colantoni, conseiller Soins à domicile à la FCSD (Fédération des Centres de Services à Domicile), l’un des partenaires du projet.

“On avait pu constater que par manque de suivi et d’accompagnement, le patient arrêtait souvent de s’en servir. Il était donc nécessaire de passer à une étape d’analyse du degré et des conditions d’acceptation de la solution, à la fois par les patients eux-mêmes, par leur entourage et les personnes impliquées dans le trajet de soins.”

L’appel à projets m-health était donc l’occasion d’étendre les tests. Toutefois, le budget alloué n’a pas permis de procéder à un test sur un grand nombre de patients. Seuls 28 ont participé, comme on le verra plus loin. “Le budget devait en effet couvrir toute une série de coûts: le call center, la formation d’une coordinatrice, la mise à disposition de l’outil et l’analyse de l’impact.”

Des résultats à affiner

Comme bien d’autres dans le cadre de l’appel à projets m-health, les responsables du projet 3S-HomeCare en sont venus à la conclusion suivante: “Il n’est pas possible de présenter sur 6 mois des données statistiquement pertinentes qui démontreraient un impact sur la santé des patients. Aucune analyse sérieuse ne peut en être faite. L’impact sur la consommation de médicaments n’a pu être démontrée pour les mêmes raisons.” D’autant plus, comme on l’a vu, que le nombre de patients participants était plutôt limité.

Toutefois, des effets bénéfiques ont pu être constatés…

Dans la suite de cet article, réservé à nos abonnés Premium, découvrez:

– les enseignements tirés de la phase-pilote

– les intentions futures – deux dossiers de financement ont été déposés, l’un auprès de la Région wallonne, l’autre dans le cadre d’un projet européen Interreg

– l’émergence du métier de “case manager santé”. 

Des effets ont été notés au niveau de l’efficacité des soins auprès des patients participants. Notamment une “amélioration de la qualité de vie” induite par le fait que la solution rend le patient “plus réactif et plus à l’écoute de ses symptômes, ce qui évite les variations de glycémies.

“La solution confère au patient une meilleure maîtrise de l’instabilité de sa maladie. Il devient plus réactif et à l’écoute de ses symptômes, ce qui prévient les variations de glycémies.”

Dans le document de synthèse de l’évaluation du projet, on peut notamment lire: “De manière générale, pour le patient mais surtout pour son entourage et l’aidant proche, la tablette a renforcé le sentiment de sécurité et diminué le degré d’anxiété. L’application semble également jouer clairement son rôle en matière d’évolution de l’autonomie du patient atteint d’une maladie chronique, en permettant à celui-ci d’être moins dépendant des professionnels qui le soignent et en valorisant son rôle actif dans le processus de soins.

[…] Le renforcement de l’éducation thérapeutique du patient via une prise de décision partagée et une plus grande participation aux actions qui influent sur sa santé (empowerment) sont les aspects les plus positifs dégagés par l’évaluation menée.”

Un outil sous-exploité

La manière dont la solution a été utilisée n’a pas forcément été optimale. A l’occasion des sondages réguliers (deux fois par mois) effectués en cours de projet, “environ la moitié des bénéficiaires” ont estimé que l’utilisation de la solution 3S-HomeCare “n’a que peu ou pas d’effet sur une amélioration de l’état de santé.” 18% donnaient même carrément une mauvaise note…

Questionnés pour savoir si la solution les rassure ou non, 68% des patients ont répondu par l’affirmative mais 22% “sont plus mitigés et se sentent peu ou très peu rassurés par l’utilisation du produit vis-à-vis de leur maladie.”

“Un des patients a estimé que l’outil est un excellent outil d’éducation à la santé pour les nouveaux diabétiques. Un autre a déclaré que la relation avec son médecin spécialiste s’est renforcée en raison de la réadaptation rapide d’un traitement.”

Seulement 15 patients sur 28 ont répondu au questionnaire final (fourni à l’issue du projet). Et on note quelques résultats étonnants:

– ainsi 14 personnes sur 15 n’ont pas utilisé la fonction “planification de la journée” (visites de professionnels des soins…).

– un tiers des bénéficiaires n’ont pas utilisé d’appareils connectés, continuant de se servir de leurs appareils de mesure personnels habituels

– la quasi totalité de ceux qui ont eu recours à des dispositifs connectés se sont plaints de la lenteur provoquée par la connexion ; par contre, ils jugent l’utilisation proprement dite de ces appareils “confortable car facile et intuitive” ; leur utilisation contribue à les faire mieux adhérer au suivi de leur traitemen

– la moitié des patients ne se sont pas servis de la fonction Notes, pas plus que de la fonction “Cahier de liaison”, expliquant “qu’ils n’en aient pas eu la nécessité”.

Pour ce dernier point, l’explication se trouve-t-elle du côté de la technologie? Le clavier tactile a souvent été considéré comme trop lent et la prise de notes vocales a été vue comme peu conviviale. Pourtant, cet outil est considéré comme utile par les professionnels: “l’utilisation du cahier de liaison pourrait renforcer la collaboration entre médecins spécialistes et le généraliste et améliorer la continuité de l’information. De même, l’utilisation du cahier de note renforcerait le lien entre le patient et le médecin généraliste.”

Claudio Colantoni propose une autre explication à la faible utilisation de la fonction Notes: “Les médecins qui ont sélectionné les patients-témoin ont insisté pour qu’il s’agisse de patients dont l’état de santé était stable. Ils n’avaient donc pas de raison de noter des informations sans grande valeur ajoutée, du genre “tout va bien”. Les infirmières et aide familiales, par contre, ont davantage utilisé la fonction.

Désormais, les médecins, convaincus de l’utilité de la solution, désirent poursuivre l’expérience avec des patients moins stables. Pour eux, la fonction Notes prendra toute sa valeur puisque cela permettra de signaler plus rapidement des éléments qui peuvent indiquer une dégradation de l’état de santé.”

What now?

Les partenaires du projet ont donc fait le constat que même si des éléments et enseignements positifs et encourageants avaient pu être dégagés, la durée du projet (6 mois) fut trop courte et le nombre de patients participants insuffisamment représentatif pour “mettre en évidence toutes les plus-values d’un outil de télémédecine.”

Ils estiment que “pour objectiver l’impact sur la santé du patient et sur la santé publique, une étude de plus grande envergure devrait être menée sur minimum trois années, impliquant au minimum 300 ou 400 patients sur l’ensemble du territoire des Régions wallonne et bruxelloise”, estime Claudio Colantoni.

C’est pour poursuivre l’analyse qu’ils ont donc introduit deux dossiers de (co-)financement. Premiers destinataires: les Ministres wallons Alda Gréoli et Pierre-Yves Jeholet. “Si nous obtenons le feu vert – et le financement -, nous pouvons commencer les tests à plus grande échelle dès maintenant. Nous avons en effet obtenu, au préalable, l’accord de principe de plusieurs hôpitaux wallons [Ndlr: notamment du côté de Liège et de la province de Luxembourg] et d’une université pour l’analyse des résultats.”

Les deux ministres pourront-ils prendre une décision sur base des résultats préliminaires, trop “étriqués”, des 6 mois du projet financé par le fédéral? Claudio Colantoni veut y croire. “La Région attendra sans doute l’avis de l’Inami mais les résultats obtenus sont conformes aux trois critères imposés par l’Inami: une solution qui correspond à la description de finalité qui en était faite ; des normes de sécurité respectées pour les échanges de données entre prestataires ; et un impact convaincant pour deux cas représentatifs [parmi les 28 patients suivis].

Le suivi d’un de ces deux patients, cardiaque, a permis au cardiologue d’adapter rapidement à deux reprises son traitement, ce qui a évité l’envoi d’un Smur et un passage aux soins intensifs. L’autre patient, diabétique, a pu suivre plus efficacement son taux de glycémie. Le fait de voir s’afficher à l’écran ses taux quotidiens sous la forme d’une courbe de temps, et non plus comme une suite de relevés chiffrés consignés dans un carnet, l’a poussé à prendre davantage conscience de son état et de la nécessité de suivre son traitement.”

Un autre dossier pour tests prolongés a été introduit dans l’espoir de décrocher un financement Interreg pour un déploiement-test transfrontalier franco-belge. Objectif: permettre à des médecins français de suivre plus aisément les soins et traitements de patients venant se faire soigner dans des hôpitaux belges. Le dossier sera introduit en juin, pour décision en fin d’année.

Nouveaux métiers

L’un des nouveaux métiers (ou rôles) induit par une solution de télésurveillance telle que l’a scénarisée le projet-pilote 3S-HomeCare concerne ce qu’on appelle un “case manager”.

Il lui revient de veiller au bon déroulement du projet, de former les patients à l’utilisation de la plate-forme, de les assister et d’être leur interlocuteur régulier. Il lui revient aussi d’assurer le suivi des paramètres collectés et de la réaction des acteurs de soins (“il interpelle le médecin généraliste/spécialiste devant des résultats divergents par rapport à la moyenne habituelle ou devant un paramètre qui aurait tendance à se dégrader”, peut-on lire dans le compte-rendu du projet).

Cela implique ou suppose que toutes les “décisions” (signalements, envois d’alertes…) ne sont pas confiées aux seuls logiciels ou algorithmes. La raison en est la nécessité, selon les porteurs du projet, d’optimiser un climat de confiance entre patient et la solution de télé-suivii, “climat de confiance indispensable à la compliance du patient envers son suivi et pour l’encourager dans son empowerment en tant qu’acteur de sa santé.”

Les professionnels de la santé, eux aussi, votent en faveur d’un intermédiaire humain. “Cette personne de référence est indispensable. La santé est un domaine humain qui a besoin de compréhension et d’adaptation. Seul un humain peut remplir ce rôle.”

Compte tenu de ce rôle de “premier veilleur” et d’intermédiaire ou relais vers le professionnel, il est évident que le case manager doit avoir un minimum de compétences et de connaissances médicales.

Dans le cas du projet 3S-HomeCare, les responsables ont ainsi souligné qu’“il doit absolument être détenteur d’un diplôme en soins infirmiers. Ses connaissances paramédicales le prédisposent à une pré-analyse des données paramétriques et donc à un tri des données demandant un suivi médical afin d’interpeller les médecins concernés.”

________________

Fiche projet

Durée du projet: 1er juin – 31 décembre 2017

Objet du projet: une “plate-forme numérique d’échange d’informations, socialement innovante, installée au domicile des personnes qui souffrent de maladies chroniques susceptibles de générer des événements critiques auxquels il est nécessaire de répondre rapidement.”

Maladie chronique choisie pour les besoins du projet: le diabète.

Parmi les avantages recherchés par le déploiement de la solution 3S-HomeCare: accélérer la rapidité de consultation des paramètres par les médecins, garantir une surveillance et un support 24×7, améliorer les communications entre les prestataires de soins et avec le patient, permettre aux aidants proches de communiquer avec différents prestataires, réduire le nombre ou retarder l’hospitalisation, favoriser les actions préventives “avant l’apparition de symptômes cliniques ou la dégradation de l’état général”…

Equipements: tablettes tactiles, tensiomètres, glucomètres, oxymètres, balances, thermomètres (à noter que tous ces appareils n’étaient pas tous présents auprès de chaque patient-cobaye).

Fonctionnalités: planning des services, télévigilance, prise de paramètres médicaux, partage pertinent et sécurisé d’informations via le Réseau Santé Wallon et/ou un site sécurisé.

Nombre de patients ayant participé au projet-pilote: ils n’étaient que trois au début, avec un nombre qui n’a guère progressé, terminant à 28. Avec une très grande majorité d’hommes (82%). Âge moyen: 61 ans.

La solution 3S-HomeCare

Voici quelques années, Intersysto avait racheté la solution de la jeune pousse carolo CareSquare, spin-off du CETIC qui avait dû mettre la clé sous le paillasson pour cause de modèle économique infructueux.

CareSquare avait imaginé un “compagnon numérique” favorisant le maintien à domicile de personnes malades ou âgées. Il s’agissait en l’occurrence d’un grand écran tactile, servant de relais centralisateur pour les données collectées par divers capteurs de paramètres médicaux (avec renvoi vers une console de gestion centrale pouvant alerter le médecin en cas de risque pour la santé) et de lien vers le monde extérieur grâce à l’offre de diverses applications (mail, téléphonie, visioconférence, jeux…).

Après avoir racheté la solution, Intersysto avait décidé de l’abandonner dans la forme qui était alors la sienne, préférant la redévelopper en mettant davantage l’accent sur le volet suivi de soins à domicile alors qu’au départ, CareSquare avait surtout misé sur des fonctions de préservation du lien social, de bien-être, d’information et de divertissement.

Acteurs santé et établissements hospitaliers concernés: 

CSD (centrale de soins à domicile) de la Province de Namur et fédération des CSD

CHR Namur (site Val de Meuse-Val de Sambre)

RLM (réseau local multidisciplinaire) des Médecins Généralistes

ASPASC (administration de la santé publique et de l’action sociale) de la Province de Namur impliquée dans le projet via Télépronam, service de télévigilance pour surveillance de la sécurité à domicile des personnes

Intersysto, prestataire de services, spécialisé dans le traitement des données techniques, informatiques et téléphoniques des établissements s’occupant de personnes âgées.