WeLinkCare: partager des savoirs entre professionnels de santé

Portrait
Par · 08/02/2022

Voici environ un an, un nouveau site d’informations et de partage pour professionnels de santé, créé selon un concept de plate-forme collaborative, a vu le jour du côté de Liège. Son nom? WeLinkCare.

Sa cible? Les acteurs du monde de la santé – institutions de soins, médecins généralistes, spécialistes ou hospitaliers, infirmiers, paramédicaux… Sa mantra? “Relier les savoirs de santé, servir de plate-forme de référence pour construire et enrichir les savoirs des professionnels”.

Le monde de la santé est devenu à ce point complexe, foisonnant, les connaissances et informations connaissent une évolution à ce point rapide – sans parler des techniques et technologies médicales – qu’“il n’est plus possible à un seul cerveau ou même à une institution comptant plusieurs centaines de professionnels de maîtriser tous les aspects…”, déclare Kevin Boulanger, l’initiateur de WeLinkCare, lui-même médecin généraliste, à Ans, maître de stage et collaborateur auprès du département de médecine générale à l’ULg.

“Il existait certes des plates-formes d’échanges et d’information créées pour des patients souffrant de maladies rares ou désirant mettre conseils et vécus en commun, se soutenir, s’informer sur la maladie, “mais nulle part, je n’ai trouvé de plate-forme permettant de relier les savoirs de professionnels, de collaborer entre soignants”, explique Kevin Boulanger.

 

Kevin Boulanger (WeLinkCare): “WeLinkCare est une plate-forme d’échange et de construction de savoirs, pas un site-vitrine.”

 

Le but de WeLinkCare est clairement de permettre aux professionnels de santé – débutants comme plus chevronnés – d’accéder à des savoirs, à une expertise, à des connaissances acquises et “blanchies sous le harnais” du terrain. Que ce soit pour dénicher un conseil pratique sur la manière de poser un acte médical. Pour trouver un expert qui puisse venir animer une réunion entre collègues, ou apporter ses lumières sur un cas spécifique. Ou encore pour trouver une formation spécifique.

“WeLinkCare a été créé dans une philosophie d’écosystème qui relie les gens qui savent à ceux qui cherchent le savoir. Le but n’est pas de recréer des savoirs qui existent déjà, que l’on peut trouver facilement. Mais plutôt de mettre à portée de main des savoirs difficiles à trouver.”

Exemples de ce que les professionnels de santé trouvent et partagent sur WeLinkCare:
– les thématiques du moment: maltraitance (des aînés, des enfants), infiltrations, éthique, fin de vie, ventilation par trachéotomie, ventilation non invasive, santé et climat…
des capsules vidéo thématiques en tous genres: méthode de prise de sang veineuse, schéma de médication transmural, jeux vidéo comme univers de revalidation pour les adolescents, thérapie par anticorps monoclonaux neutralisants contre le Covid-19, remédiation cognitive, prise en charge d’une escarre, documentaire sur la pratique de l’avortement…
– des informations du genre “trucs, astuces et gestes techniques”: drainage d’un abcès cutané, examen clinique du genou, retrait d’un implant hormonal, suture simple, résection d’un kyste…
– des conseils ou témoignages sur la gestion d’équipe, les qualités attendues d’un leader, la gouvernance, les étapes du concept de consentement, la supervision clinique…
– des informations sur les dernières publications scientifiques
– des annonces de formations ou d’offres d’emploi
– des infos sur des conférences ou événements liés au monde de la santé

Des contributeurs “autorisés”

Qui alimente la plate-forme WeLinkCare en contenus et quels sont ceux et celles qui l’utilisent? Comment WeLinkCare vérifie-t-elle, valide-t-elle éventuellement la qualité des contenus qu’elle propose?

Côté “contributeurs”, l’authentification de l’identité du contributeur peut se faire de différentes manières, en fonction de sa profession. Pour les médecins, pas de problème: c’est le numéro Inami qui fait office de sésame.

Pour tous les autres professionnels de santé qui ne disposent pas d’un numéro Inami, il faut, lors de l’inscription, montrer patte blanche en déclarant et en pouvant prouver, par exemple, que l’on enseigne dans tel établissement, qu’on travaille pour telle ou telle institution ou organisation. “Nous n’exigeons toutefois pas la production d’un diplôme, cela pourrait être un facteur freinant”, déclare Kevin Boulanger.

Une fois “identifié”, l’utilisateur – qu’il se destine à être contributeur ou simple visiteur et “échangeur” – est affilié en tant que membre individuel ou qu’institution. Avec possibilité pour certains d’avoir un double profil. Exemple: un assistant social pourrait s’inscrire à titre individuel et comme “représentant” d’une institution de soins auprès de laquelle il intervient comme coordinateur. Ce principe “permet aussi par exemple à un médecin hospitalier de publier en son nom propre, et non au nom de son hôpital…”.

Une inscription n’ouvre toutefois pas forcément un boulevard pour publier tout et n’importe quoi. “Certains contenus proposés sont considérés comme fiables en raison du profil de celui ou celle qui les proposent mais il ou elle devra toujours pouvoir prouver ce qu’il avance – par exemple, s’il déclare “les études que j’ai pu mener prouvent que…”.

Par ailleurs, tous les savoirs partagés doivent être liés à un profil. Une vidéo d’hémodialyse proposée par le CHU de Charleroi, par exemple, sera considérée comme fiable sur base de l’identité de l’institution qui l’a produite. Nous serons plus vigilance si elle vient d’un contributeur lambda.”

Du peer review spontané (pour l’instant)

Pour l’instant, la “modération”, la “régulation” des contenus se fait donc à la fois via authentification du profil et via intervention de la communauté. L’équipe de WeLinkCare est en effet réduite (4 personnes, en comptant le responsable comm’ et la personne chargée de gérer techniquement le site). Certains contenus peuvent donc présenter l’une ou l’autre lacune ou être remis en question. C’est la “communauté” des membres qui entre alors en jeu. En mode spontané et bénévole.

“Cette méthode est actuellement efficace. On trouve à ce jour environ un millier de contenus sur la plate-forme. Mais il est clair que si ce volume devait augmenter sensiblement, nous envisagerions de mettre sur pied un comité scientifique. Nous évoluerons et nous améliorerons selon les besoins…”.

Kevin Boulanger (WeLinkCare): “Le désaccord est l’adn-même d’une démarche scientifique. Quand on doute, on cherche…”.

Si, jusqu’ici, certains contenus publiés sur la plate-forme ont suscité des réactions, c’était essentiellement pour apporter quelques nuances ou des éléments supplémentaires. Pas de gros désaccord sur un sujet, une méthode de traitement, un geste technique préconisé… Mais la chose peut évidemment toujours se produire. Comment WeLinkCare compte-t-il dès lors procéder dans de tels cas?

“L’une des valeurs fondamentales de la plate-forme est la démarche scientifique”, tient à souligner Kevin Boulanger. “On peut être en désaccord mais la démarche scientifique doit être limpide pour être démontrable. Il faut pouvoir justifier sur base d’études, d’expérience démontrable. Si discussion il devait y avoir, la question serait à l’avenir soumise soit au futur comité scientifique, soit à un panel pluridisciplinaire restreint. Composé par exemple, pour une mise en doute dans le domaine dermatologique, d’un dermatologue, d’une académique et d’un généraliste.”

Comment les réactions et commentaires sont-ils relayés vers la plate-forme? Pas de chat, pas de canal vidéo. Du moins pas jusqu’ici. Les réactions doivent donc se faire via envoi d’un courriel privé (via l’espace de messagerie aménagé), via commentaire en bas de page, ou via contact direct avec Kevin Boulanger qui, le cas échéant, endossera alors un rôle d’entremetteur entre celui ou celle qui réagit et l’auteur du contenu.

Quid s’ił fallait en arriver à supprimer purement et simplement un contenu? Faut-il un certain nombre de réactions pour prendre cette décision? Ou est-elle plus immédiate si le contradicteur à un degré de crédibilité suffisant? “Tout est possible. On verra selon les cas”, déclare Kevin Boulanger.

Des visiteurs aux profils multiples et variés

Côté utilisateurs/visiteurs de la plate-forme, WeLinkCare affiche pour l’instant – début février 2022 – 1.248 membres au compteur, dont 1.115 professionnels et 133 institutions.

“Pour l’essentiel (841), ce sont des médecins et, en majorité, des médecins généralistes”, précise Kevin Boulanger. “Mais j’ai le sentiment, sur base des contacts que je peux avoir notamment avec des jeunes ou avec des écoles de médecine et de soins infirmiers, que les infirmiers et infirmières deviendront à l’avenir la catégorie la plus demandeuse”, déclare Kevin Boulanger. “Le réseau est le plus compliqué à acquérir pour des infirmiers qui démarrent dans le métier.”

“Je pressens aussi une demande, par exemple, du côté des maisons de repos, qui cherchent à former leurs équipes de soignants, que ce soit pour poser des actes de soins ou pour bénéficier de l’expérience d’un(e) expert(e)”.

Dès à présent, les jeunes médecins, les étudiants en médecine, ceux et celles qui sont en formation pour divers métiers de la santé ou qui démarrent dans la profession sont tout particulièrement demandeurs (ils représentent actuellement un dixième de tous les membres enregistrés sur la plate-forme).

Mais la démarche que propose WeLinkCare s’adresse aussi à leurs aînés qui doivent parfois faire face à des situations ou à des cas qui dépassent le cadre de leur pratique habituelle. Comment, par exemple, réagir, agir et trouver la bonne solution face à une maltraitance de personne âgée? Qu’est-ce que la maltraitance? Que faire et comment?

 

Kevin Boulanger (WeLinkCare): “Je me souviens d’un signalement de maltraitance sur personne âgée. A l’époque, 15 professionnels s’étaient réunis pour en parler et trouver une solution. Il a fallu trois semaines pour trouver une institution spécialisée dans la gestion de cette problématique qui puisse apporter ses lumières… WeLinkCare vise à éviter ce genre de recherche interminable, pour offrir l’expérience vécue d’un professionnel avéré.”

 

“Les vidéos que publie WeLinkCare sont utiles que ce soit pour répondre à une interrogation individuelle ou pour animer une réunion. Par exemple, pour les réunions que sont tenus d’organiser régulièrement les GLEM – groupes locaux d’évaluation médicale [Ndlr: “groupes de pairs, médecins ou pharmaciens biologistes, qui partagent et évaluent de manière critique leurs pratiques médicales (peer review) pour promouvoir la qualité des soins”]. C’est l’occasion pour les participants de choisir une vidéo, par exemple, les soins de plaie, pour en discuter, confronter leur expérience, comparer la manière dont chacun aurait procédé…”

La puissance du réseau – de préférence de proximité

WeLinkCare n’a pas l’ambition, ni la volonté, de devenir une sorte d’encyclopédie structurée où l’on trouverait “un peu de tout”. Le but poursuivi se veut nettement plus pragmatique et concret: “renforcer et profiter des connaissances d’un réseau de professionnels de soins, dans un rayon proche”. Cette “proximité” pouvant bien évidemment varier en étendue, selon les cas. Mais l’idée est de créer, consolider, enrichir et partager des connaissances qui ont un cachet d’authenticité et de pertinence locales. 

“Des vidéos sur l’utilisation de systèmes de ventilation respiratoire à domicile, on en trouve aussi par exemple sur YouTube mais ces contenus ne sont pas validés, n’ont pas de valeur scientifique établie. Et sur Internet, on ne trouvera pas l’information locale qui doit l’accompagner. Le matériel ne sera pas forcément celui qu’on peut trouver en Belgique. On n’aura pas le formulaire de demande ou le guide de maintenance. Ou on ne saura pas où trouver une formation à proximité. On ne pourra pas voir que l’institution qui la délivre propose aussi des formations intéressantes sur un autre sujet…

La littérature scientifique est naturellement abondante. Les articles publiés se chiffres en millions mais comment trouver l’information? Sans compter que des thèmes tels que l’éthique, les soins palliatifs, le décrochage scolaire, ou des informations sur des gestes techniques spécifiques sont introuvables…

Source : CHU de Charleroi.

Des vidéos, telles qu’une démo d’hémodialyse produite par exemple par l’hôpital de Charleroi, ne se trouvent pas dans des articles scientifiques.”

L’adn de la plate-forme doit donc être en bonne partie la volonté, du côté professionnels de santé et institutions de soins hôpitaux, maisons médicales, centres paramédicaux…), de partager ses connaissances et expériences. Selon le principe du “je connais quelque chose, je  recommande telle ou telle bonne pratique”.

Est-ce là chose habituelle entre médecins (par exemple)? La pratique collaborative gagne-t-elle du terrain au fil des générations? Selon la perception qu’en a Kevin Boulanger, les choses sont en effet en train d’évoluer. 

“Ma perception est que les jeunes ne se battent plus [entre eux] pour se prendre des patients mais collaborent davantage pour leur prise en charge. L’avènement du digital et de la connectivité a changé bien des choses ces dix dernières années. La jeune génération sait que l’on peut désormais trouver l’information en un clic. Pour une information spécifique, le réflexe sera plutôt de rechercher sur une vidéo YouTube ou de faire appel à des pairs plutôt que d’ouvrir un bouquin datant des années 60…”

Les générations plus anciennes doivent encore faire du chemin en la matière, pour exploiter pleinement le concept de plate-forme. Ce qui, selon Kevin Boulanger, n’empêche pas déjà nombre de médecins plus âgés, notamment ceux qui approchent de la retraite, de demander à ce qu’on les aide à produire des vidéos-conseils pour partager leur expérience. “Le partage est aussi dans les gènes d’un médecin plus âgé mais se manifeste à un stade différent selon son stade de carrière…” 

Un modèle économique provisoire

Pour lancer la plate-forme WeLinkCare, Kevin Boulanger a engagé des fonds personnels mais a également pu bénéficier d’une aide auprès de la DGO6, son projet ayant été considéré comme suffisamment innovant pour décrocher un financement. Ce financement lui a servi et continue de servir à financer le développement de la plate-forme et à engager des renforts (communication, webmaster, spécialiste en santé publique).

Il a en outre pu bénéficier de conseils venus du WeLL (le living lab e-santé wallon) et de LeanSquare.

Quel modèle financier compte mettre en place la plate-forme pour assurer sa pérennité et son évolution? “Il est important que l’accès au savoir reste gratuit. L’idée est donc de monétiser via des services périphériques”. Notamment des offres d’emploi [la première est gratuite, les suivantes payantes].

WeLinkCare tente aussi la piste du don via crowdfunding. La piste d’un financement public (régional ou national) est également envisagée – et pourrait être appliquée selon un modèle flexible, différent selon les régions où WeLinkCare développe et anime ses “écosystèmes de savoirs locaux”. “Dans une optique d’écosystème local, autour du patient, dans un rayon déterminé, on peut imaginer une communauté pour la Wallonie et Bruxelles, une autre pour telle ou telle région de France… Les politiques menées par les pouvoirs publics y sont différentes. Le modèle de monétisation pourrait donc fort bien être adapté selon le besoin ou l’environnement…” A valider et/ou concrétiser à moyen ou plus long terme…