Tessares: agréger les infrastructures télécoms existantes pour libérer les débits

Portrait
Par · 08/05/2015

Nous vous en parlions lors de l’annonce faite par Proximus: Tessares, jeune spin-off de l’UCL qui a notamment été incubée au WSL, a séduit l’opérateur par sa solution d’optimisation des capacités de connexion Internet (fixe/sans-fil). Une solution destinée tout à la fois au marché des particuliers, à celui des professionnels, de l’industrie et des data centers.

La solution de Tessares vise en effet à optimiser les capacités des réseaux en brisant les compartimentages actuels: si un réseau fixe est surchargé, désengorger le trafic en faisant appel instantanément à une infrastructure mobile sans-fil — ou vice versa — n’est pas encore chose possible. Par ailleurs, les usagers, qu’ils soient privés ou professionnels, sont inégaux devant les infrastructures déployées, déficientes ou insuffisantes dans certaines zones. Or, en aménager d’autres peut impliquer de très gros investissements et des délais peu compatibles avec l’impatience et les exigences d’utilisateurs qui ne jurent plus que par le toujours-connecté, avec une charge données/fonctions qui ne cesse de croître, pour ne pas dire exploser.

Doper l’existant

La solution de Tessares, explique Denis Périquet, directeur général de la société, tend à fournir une solution à 4 besoins actuels:

  • des besoins qui explosent en termes de débit, pour cause de multiplication de dispositifs mobiles et d’applis toujours plus gourmandes “alors que, dans certains endroits, notamment en zones rurales, il n’est pas toujours possible d’augmenter la taille des “tuyaux”
  • les exigences croissantes des utilisateurs en termes de connectivité mobile: “on a pris l’habitude de basculer entre réseau 3G et WiFi mais le basculement exige de se connecter et de se reconnecter; nous voulons rendre la procédure plus fluide”
  • l’“hyper-dépendance” des entreprises vis-à-vis de leur connectivité à Internet: impensable, désormais, pour une société d’être privée, ne serait-ce que quelques minutes, de son accès à la Toile. Pour se prémunir contre toute interruption de services, les sociétés ont donc tendance à multiplier le nombre de leurs fournisseurs d’accès mais, là encore, passer de l’un à l’autre exige quelques manipulations manuelles…
  • la sécurité. Ici, l’argument avancé par Tessares au bénéfice de sa solution est le fait qu’“il est plus difficile pour un hacker d’intercepter des données lorsqu’elles prennent plusieurs chemins.”

Si l’usager – privé ou professionnel – est, au final, le principal bénéficiaire potentiel de la solution de Tessares, la clientèle à laquelle s’adresse directement la société est celle des opérateurs et, plus particulièrement encore, ceux d’entre eux qui disposent à la fois d’infrastructures et de services fixes et mobiles qu’ils veulent pouvoir agréger en vue d’optimiser la bande passante.

L’argument est en effet celui d’une optimisation des performances de trafic et d’accès Internet en gérant avec une plus grande souplesse la répartition du trafic sur les diverses infrastructures (IP) exploitables en fonction de la charge réseau et des contraintes de trafic.

Les promesses d’un nouveau protocole

La solution Tessares plonge ses racines dans les travaux menés successivement, lors de leurs thèses respectives, par deux doctorants de l’UCL: Gregory Detal et Sébastien Barré que l’on retrouve désormais en binôme à la tête du département R&D de la jeune pousse.

Thème commun de leur thèse: la redondance et/ou l’agrégation de trafic Internet en vue de mieux exploiter les infrastructures existantes. Socle de la solution: le protocole Multipath TCP (MP-TCP) que l’équipe du Prof. Bonaventure de l’UCL (département ICTEAM- Institute of Information & Communication Technologies, Electronics and Applied Mathematics) a contribué à définir.

Les travaux de l’équipe de l’UCL ont notamment eu pour objectifs de modifier la couche supérieure de TCP en vue de minimiser les déperditions de performances lorsque l’on aiguille des paquets par divers chemins simultanés et de développer un mécanisme qui n’implique pas la mise au rebut d’équipements réseau existants (passerelles, pare-feu…). C’est à cela qu’a également servi le projet européen Trilogy: “réfléchir à un modèle de déploiement qui tienne compte des impératifs de rentabilité et de facilité de déploiement”, souligne Sébastien Barré. D’autres travaux de recherche et protocoles – tels le SCTP- Stream Control Transmission Protocol (défini en 2000) – n’y étaient pas parvenu, ou n’avaient pas pris cette dimension en compte. “Le SCTP ne résolvait pas le problème de la déployabilité et imposait de modifier ou remplacer les éléments de l’infrastructure… Le MP-TCP, lui, est une extension du protocole TCP existant.”

Le principe de la solution logicielle Tessares? Une agrégation des canaux potentiels d’accès et de transfert, qu’ils soient fixes ou mobiles, câblés ou sans-fil.

Tessares permettra aux communications d’emprunter automatiquement l’infrastructure la plus avantageuse (en termes de performances, de disponibilité et/ou de coût) – qu’elle soit fixe, mobile, câblée ou sans-fil. “La solution effectue un calcul automatique des packets afin d’en optimiser le transfert en fonction des caractéristiques des moyens disponibles.  ”

Là où, actuellement, les infrastructures sont exploitées en silo, Tessares ouvre la voie à leur mise en commun, à l’exploitation optimale des divers chemins potentiels, que ce soit en exploitant les deux paires DSL qui connectent le moindre domicile (une seule, pour l’instant, est exploitée par les opérateurs) ou en réalisant des couplages hybrides (fixe/mobile), quelle que soit la technologie concernée (DSL, câble, fibre, du côté fixe; 3G/4G, WiFi ou WiMax, côté sans-fil).

La solution procède par analyse permanente des disponibilités et du taux de chargement des ‘tuyaux’. Le fait de pouvoir dépêcher le trafic, en la distribuant, sur plusieurs infrastructures permet de gagner en performances. Le gain n’est toutefois pas tout à fait proportionnel au nombre de chemins empruntés. Ainsi, doubler un chemin procure une performance de 190%. Une petite déperdition est toujours au rendez-vous mais est mineure. Sur les infrastructures Proximus, par exemple, il a été démontré lors des tests que combiner du DSL à 25 Mbps à du LTE à 30 Mbps permettait d’obtenir du 50 Mbps.

L’apport de Proximus

Denis Périquet: “Proximus va nous aider à ouvrir des portes.”

Le partenariat passé avec Proximus est double: d’une part, un apport de capitaux (pour une somme non divulguée mais se chiffrant en millions d’euros); de l’autre, une collaboration technologique. Tessares demeure le maître d’oeuvre, la source de R&D (avec l’UCL) et le responsable de l’évolution du produit mais Proximus intervient pour tester et valider la solution en situation réelle.

Lors de la phase initiale de développement du logiciel, l’opérateur a permis à l’équipe de Tessares de vérifier la validité des mécanismes imaginés et le potentiel de déploiement commercial du logiciel. Ce rôle persistera pendant la phase d’industrialisation.

Que retire Proximus en échange de ses “bons offices”? Aucune exclusivité, prétend Tessares (même si l’affirmation semble moins convaincue lorsque l’on restreint le champ au marché belge).

Par contre, le fait que l’opérateur belge soit devenu un partenaire financier permettra à la société de bénéficier de cet “ambassadeur” sur d’autres marchés, Proximus jouant en quelque sorte les représentants de commerce et les ouvreurs de portes. Actionnaire de Tessares, il a, lui aussi, intérêt à ce que d’autres acteurs adoptent la solution…

Licence ou location?

La solution Tessares se compose de plusieurs éléments: d’une part, un logiciel (ou une mise à jour de logiciel) destiné aux équipements clients (routeurs) et qui traduit du trafic TCP en trafic MP-TCP (apte à prendre plusieurs chemins) et, de l’autre, un logiciel destiné aux équipements de l’opérateur, qui réagrège les flux MP-TCP, les retransforme en TCP pour, de là, prendre la direction d’Internet.

Pour fonctionner, la solution a besoin de composants matériels (clé USB, passerelle…) à installer du côté des équipements clients. Ces dispositifs seront fournis par les opérateurs.

Tessares proposera sa solution logicielle sous forme de licence aux opérateurs. Sans rejeter d’autres formules possibles, en mode abonnement par exemple. Elle proposera également des services (intégration dans l’infrastructure des opérateurs, maintenance corrective et évolutive…)

L’Europe d’abord…

Premiers marchés-cible? L’Europe et, par la suite, les Etats-Unis, l’Asie, le Moyen-Orient. “Nous visons en priorité les opérateurs fixe/mobile qui doivent faire face à une réelle concurrence sur leur marché”, indique Denis Périquet. “Notamment des prestataires confrontés à la concurrence de câblopérateurs, comme c’est le cas pour Proximus en Belgique. Ou des pays où, comme en France, plusieurs opérateurs DSL/mobile se disputent le marché.

Nous voulons nous concentrer tout d’abord sur l’Europe pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les objectifs fixés par l’Agenda numérique, qui prévoit que la majorité des foyers soient équipés en connexions 30 Mbps d’ici 2020. Or, cet objectif doit surmonter divers obstacles: difficulté de déploiement du VDSL en raison d’une chute du débit à mesure que l’on s’éloigne de l’infrastructure installée le long des axes routiers, coût élevé des infrastructures fibre… Agréger les infrastructures existantes peut y apporter une solution.”

La concentration sur l’Europe s’explique aussi par la taille et la visibilité encore modestes de la société: “certes notre solution a déjà attiré les regards d’opérateurs un peu partout dans le monde, jusqu’à Singapour, mais reste la nécessité d’évangéliser des marchés lointains. Nous devrons sans doute en passer par le relais de partenaires locaux…”

Outre Proximus, qui va “servir de levier pour le démarchage commercial”, Tessares espère également convaincre des vendeurs de routeurs d’intégrer son logiciel à leurs produits. “Pour eux aussi, notre logiciel est un instrument de différenciation.”

… sans quitter Louvain-la-Neuve

Quelles que soient ses ambitions, Tessares veut demeurer implantée à Louvain-la-Neuve. Essentiellement pour des raisons de proximité avec l’UCL et le département du Professeur Bonaventure qui poursuivent leurs recherches (côté protocole). “Les liens sont bénéfiques aux deux parties et fonctionnent dans les deux sens puisque la société peut procurer à l’université un retour d’expérience au sujet de l’utilisation qui est faite, sur le terrain, des prototypes développés.”

Les dessous du nom Tessares

Si vous avez fait latin-grec, vous vous serez déjà fait une opinion mais voici l’explication de ce nom qui, à première vue, n’a pas de signification particulière.

Tessares est en fait du grec ancien et fait référence au chiffre 4- et a notamment débouché sur des termes tels que tétra ou tétraèdre.

Mais pourquoi ce chiffre 4 dans le contexte de la jeune spin-off néolouvaniste?

“Le chiffre 4 est un nombre qui revient très souvent dans notre projet”, explique Denis Périquet. “[Le protocole] MPTCP [Multipath TCP] est une extension à TCP, qui se situe dans la couche 4 de la pile de protocoles. Il y a par ailleurs 4 bénéfices à faire de l’agrégation de liens: plus de débit, plus de mobilité, plus de résistance au panne et plus de sécurité. Par rapport à des solutions d’agrégation concurrentes, nous avons 4 avantages compétitifs: a) une solution logicielle, b) qui permet l’agrégation de liens hétérogènes, c) qui peut être déployée dès maintenant sans toucher aux infrastructures existantes et d) qui offre un monitoring continu de la qualité de chaque lien pour éventuellement s’adapter en temps réel aux variations. A cela s’ajoute encore que nous avons 4 valeurs pour notre société (excellence, freedom, fluidity et delight) et que nous sommes 4 fondateurs.”

CQFD.