Swan Insights: vers de l’analytique “prescriptif”

Portrait
Par · 03/06/2014

Créée en 2013, la société bruxelloise Swan Insights se positionne sur le terrain du “big data” en se spécialisant dans l’analyse de gros volumes hybrides de données et l’analyse prédictive et prescriptive. Objectif: procurer à ses clients des indications précises pour la prise de décisions stratégiques.

Ses secteurs-cible: l’automobile, la grande distribution, les télécommunications, l’énergie et les services d’utilité publique, et la banque et finances.

“Nous avons lancé cette société, après plus d’un an de R&D, parce que les données sont le nouveau carburant des décisions stratégiques des entreprises, surtout pour les plus grandes. Traditionnellement, les sociétés se sont concentrées sur leurs données internes mais la masse de données externes ne cesse de croître: données générées par les réseaux sociaux, les équipements mobiles, sans oublier l’open data…”, explique Laurent Kinet, co-fondateur de Swan Insights.

Et c’est grâce à cette variété et diversité, toujours plus abondante, de données que les entreprises peuvent affiner leur connaissance du marché, rendre leurs décisions stratégiques plus pertinentes, souligne-t-il. Qu’elles peuvent renforcer leur position concurrentielle, se différencier, imaginer de nouveaux produits et services qui répondent réellement au besoin de leurs cibles (qu’il leur faut d’ailleurs mieux identifier).

L’exemple qu’il cite souvent? “Les plans tarifaires des opérateurs GSM ne prévoient au plus qu’une dizaine de catégories. En 2013, nous avons construit le graphe des relations sociales [sur réseaux sociaux] des citoyens belges (voir illu ci-contre). En cartographiant les connexions qui se créent ainsi entre individus, nous avons pu caractériser pas moins de 651 “profils”, avec des “clusters” d’importance très variable. Cet exercice nous permet par exemple de déterminer à combien de “clusters” appartiennent les clients de nos clients.”

Au-delà de la vente de sa solution, Swan Insights propose aussi, voire surtout, de la consultance, du développement de projet. Selon le besoin du client, Swan identifie les jeux de données pertinentes, internes et externes. données sociogéographiques, immobilières, financières, “sociales” (puisées dans les réseaux sociaux), données comportementales, informations sur les modes de vie des individus ciblés…

Les raisons et les contextes pour lesquels les entreprises peuvent faire appel à Swan Insights sont très variés: adaptation de la stratégie commerciale, balisage de nouvelles cibles de clientèle, consultance stratégique, échantillonnages…

Question de taille

Son terrain d’action étant le big data, Swan Insights s’adresse à une clientèle qui est confrontée – et a besoin pour ses besoins quotidiens – de malaxer et d’analyser de (très) gros volumes de données. Cela restreint donc le champ d’action de la société aux grandes entreprises. Quoique…

“Le big data s’adresse aussi potentiellement aux PME, dont certaines ont intérêt à traiter de gros volumes de données provenant de diverses sources”, ajoute Laurent Kinet. “Mais, d’une manière générale, les PME ne disposent pas des volumes de données nécessaires pour nourrir nos algorithmes et dégager les résultats attendus.”

Laurent Kinet (Swan Insights): “c’est grâce à la variété et à la diversité, toujours plus abondante, des données que les entreprises peuvent affiner leur connaissance du marché, rendre leurs décisions stratégiques plus pertinentes.”

“Sans parler du fait que nos solutions impliquent un minimum de coûts fixes, qui représentent un budget que ne peut assumer une PME. Nos projets sont très customisés et se matérialisent par des contrats à long terme, avec des fréquences de mises à jour de nos analyses qui varient d’un client à l’autre- quotidienne, hebdomadaire, mensuelle… A terme toutefois, les choses pourraient évoluer. Une réflexion sera engagée pour évaluer l’intérêt du lancement d’un produit d’entrée de gamme, largement automatisé. Mais ce ne sera sans doute pas avant la mi-2015…”

Pour l’instant donc, cap vers les grandes entreprises. Un positionnement qui, corollaire quasi obligé, a fait se tourner Swan Insights très tôt vers l’international (le peloton de grands comptes belges – ou à pôle de décision situé chez nous – étant relativement maigre).

Marchés prioritaires visés (après la Belgique et le Grand-Duché): l’Allemagne (“c’est, pour nous, le plus important marché en raison du nombre de grandes sociétés et de l’importante traction qui s’y fait jour en matière d’analyse de big data”), le Royaume-Uni et la France.

Des antennes devraient ainsi bientôt s’ouvrir à Düsseldorf, Londres et Paris. Au-delà de ces pays, Swan Insights mène une politique de captation d’opportunités, “en Espagne, au Chili, aux Etats-Unis… mais sans démarche stratégique.”

Un tout autre DOS

La société a développé un “framework” technologique baptisé Data Operating System (ce qui donne l’acronyme… DOS) qui se compose de trois volets complémentaires:

 

“Un data scientist est avant tout un scientifique, un docteur ou doctorant qui a utilisé du big data dans le cadre de ses travaux”, souligne Laurent Kinet, co-fondateur de Swan Insights. “C’est un ingénieur qui écrit l’algorithme. C’est lui qui apporte la caution scientifique. Il doit penser en termes d’applications. Ce n’est pas un expert technique. Ces deux profils, toutefois, sont nécessaires dans une équipe, le data expert étant là pour “manipuler” les données.”

Les data scientists de Swan Insights viennent d’horizons divers. Leurs spécialités? Les mathématiques appliquées, la paléoclimatologie, la physique des particules, les réseaux complexes.

 

  • des mécanismes de structuration de data sourcing (pour l’identification et la sélection de données extérieures pertinentes): “DOS est un véritable framework à cet égard dans la mesure où d’autres types de données – générées par exemple par des capteurs ou des balises – pourront venir enrichir la palette lorsqu’ils seront disponibles”
  • des librairies de méthodes d’analyse du ‘big data’, développées par son équipe de data scientists venus de divers horizons, habitués à manipuler de grands volumes de données, versés dans l’art algorithmique et qui transposent ces compétences dans le monde du business (voir encadré ci-contre)
  • le design de produits spécifiques, personnalisés, destinés aux divers départements d’une entreprise (ventes, marketing…), qui exploitent les autres outils et ressources du DOS: DataGraph (prédiction de marché, customer intelligence…), Data Graph B2B (prédiction stratégique), DaTalent (analyse centrée sur les ressources humaines).

Une interface de visualisation est également en cours de développement mais elle ne sera pas commercialisée. La société s’en servira comme front end de son DOS, pour des démos ou pour les besoins de clients qui n’auraient pas encore de solution de tableaux de bord. “Mais la plupart de nos clients utilisent déjà des solutions du genre QlikView ou Tableau. Nous ne voulons pas leur imposer un outil supplémentaire. Les résultats de nos analyses leur sont donc livrés sous forme de fichiers plats (format csv ou autre) qu’ils peuvent injecter dans leurs propres logiciels.”

Selon les circonstances, Swan Insights a recours à diverses méthodes d’analyse – microsegmentation, “customer intelligence”, modélisation prédictive, analyse prescriptive, analyse de sentiments, prédiction comportementale… Diverses méthodes sont ainsi “assemblées” selon le résultat à atteindre. Cette bibliothèque de méthodes est en constante évolution. Elle continuera notamment de s’enrichir à mesure que l’équipe de “data scientists” s’étoffera. “Chacun vient avec son bagage, avec la vision qu’il a développée dans le cadre de sa spécialité. L’arrivée parmi nous par exemple d’une spécialiste en paléoclimatologie a permis d’améliorer l’algorithme parce qu’elle recourait à des méthodes que nous n’utilisions pas encore.”

Bon grain et ivraie

Le premier client de Swan Insights fut d’Ieteren. La société a utilisé ses solutions afin d’optimiser sa relance commerciale de clients.

“Nous avons caractérisé leurs quelque 60.000 leads en combinant les données avec l’environnement social. A savoir, les connexions sociales que ces personnes ont par exemple avec d’autres propriétaires de voitures dans leur région”, explique Laurent Kinet.

“Nous y avons également ajouté des open data, à savoir des chiffres de ventes de véhicules par période, par marque, par commune… remontant à 1920. Nous avons ainsi pu en déduire des degrés d’affinité, la propension de chaque lead à pouvoir être converti en acheteur. Nous avons classé la liste des 60.000 prospects par degré de propension.

Nous avons pu par exemple conseiller à d’Ieteren de négliger sciemment les 2.000 premiers, ceux qui étaient les plus susceptibles d’acheter. En effet, rien ne servait de les inclure dans une campagne de relance commerciale puisqu’ils procéderaient, quoi qu’il arrive, à l’achat d’un nouveau véhicule de la même marque. De même, nous avons déconseillé à d’Ieteren d’investir dans un démarchage vers les 2.000 derniers: la relance se ferait en pure perte. Ils ne se laisseront jamais convaincre. En procédant de la sorte, nous avons pu réduire sensiblement le coût que représentent les campagnes de relance…”

Parmi les autres clients de Swan Insights, on peut également citer Volkswagen, Stepstone, Axel Springer, la Deutsche Bank, BMW, et “un acteur majeur du secteur électrique belge”…

 

Se différencier face aux ‘major’

L’ancrage scientifique dont Swan Insights se prévaut pour sa R&D, la “validation scientifique” de ses algorithmes et l’existence d’une équipe interne de “data scientists” sont, aux yeux de Laurent Kinet, un gage d’avance sur les autres acteurs qui commencent à se multiplier sur la scène de l’analytique big data. “Il s’agit souvent de jeunes start-ups créées soit par de purs scientifiques qui ne disposent pas de l’acquis nécessaire pour simplifier le message ou par des gens venus du marketing digital à qui il manque la qualité scientifique.”

Laurent Kinet: “La combinaison intelligente de données internes, d’open data et de graphes sociaux par des algorithmes B2B est quelque chose d’unique sur le marché.”

Quid des “majors”, venus du monde de la BI (business intelligence)? “Des algorithmes de graphisation, tels les nôtres, ne sont pas encore utilisés par ces grands acteurs. Nos algorithmes sont plus pointus. Et nous avons l’avantage d’être une jeune entreprise flexible. Les SAP, IBM, SAS ont certes plus de ressources mais leur inertie est bien plus grande. Nous sommes en outre en avance sur eux en termes de variété de big data. Nous avons fait un gros effort en termes d’envergure de portefeuille de sources et nous avons développé une capacité d’analyse prescriptive – au-delà de l’analyse et de la prédiction.

La combinaison intelligente de données internes, d’open data et de graphes sociaux par des algorithmes B2B est quelque chose d’unique sur le marché.”

Autre facteur différenciateur selon lui: l’approche personnalisée que déploie Swan Insights, face au “box moving” et au “one size fits all” d’autres acteurs. “Notre règle est de connaître à fond le client, de procéder à une customisation radicale. Nous adaptons nos algorithmes. Avec HANA [SAP], vous recevez le produit tel quel, qui sera configuré par un consultant. Nous nous situons entre la consultance et l’offre de produit. Nous proposons une consultance stratégique qui utilise les données comme outil stratégique.”

La véritable concurrence, selon Laurent Kinet, pourrait venir d’un autre point de l’horizon. Des data brokers, le jour où ils proposeront éventuellement de l’analyse, des spécialistes de l’analyse de data marketing ou d’autres pure players de l’analyse big data.

Levée de fonds

Une levée de fonds est actuellement en cours. Laurent Kinet ne souhaite pas citer de chiffres mais “elle ne sera pas spectaculairement énorme. Elle ne dépassera en tout cas pas le million d’euros. Nous ne voulons pas de dilution trop importante quand cela n’est pas nécessaire. C’est avant tout un kick boost.” En attendant d’éventuels futurs tours de table pour de futures expansions.

La levée de fonds sera par contre internationale, avec sans doute des fonds d’investissement, business angels et venture capitalists venus de Belgique, de France et  d’Allemagne.

Objectif: financer la croissance, rapidement, surtout en international. “Jusqu’à présent, nous avons fonctionné sur fonds propres. Mais pour nous développer sur cinq pays et pour pouvoir répondre à l’importante demande, nous avons besoin de nouveaux moyens.”

L’équipe sera donc étoffée. Composée actuellement de 7 personnes et de 6 freelances sous contrat, elle devrait s’enrichir à court terme d’au minimum 5 personnes: deux data scientists, un mathématicien qui sera responsable de l’infrastructure technologique et deux business consultants, dont un qui opérera en Allemagne. “Le pool scientifique, lui, restera à Bruxelles”, confirme Laurent Kinet.