Smart Gastronomy Lab: quand l’IT met son grain de sel en cuisine

Portrait
Par · 26/01/2015

Ce 22 janvier, le premier “living lab” de Wallonie a officiellement été inauguré dans le namurois (Gembloux, Namur).

Fruit d’un appel à projets initié voici 2 ans dans le cadre du programme Creative Wallonia, il a pour thème l’expérimentation et l’innovation gastronomique et technologique, au service de la santé, du design et du développement durable.

Objectif: générer des innovations de rupture.

Un deuxième living lab sera inauguré, à Liège cette fois, à la mi-février. Thématique: l’e-santé, plus proche des sujets que couvre traditionnellement notre média. Son nom: le WeLL – Wallonia eHealth Living Lab.

Le SGL et le WeLL sont deux initiatives-pilote. Ils serviront de lieux d’expérimentation dans l’espoir de susciter d’autres “living labs” wallons, exploitant d’autres thématiques.

Nom de baptême: Smart Gastronomy Lab ou “SGL” pour les intimes et accros d’acronymes.

Gastronomie, agro-alimentaire… Pourquoi parler du SGL dans Régional-IT alors que le thème semble bien éloigné du monde de l’IT et du numérique?

Justement parce qu’il sera un creuset d’expérimentation faisant se rencontrer et “cross-fertiliser” différents univers et parce que les nouvelles technologies (numérique, communication, collaboration, développement…) y joueront un rôle loin d’être périphérique ou folklorique.

Kesako?

C’est quoi ce “machin”? Une nouvelle néo-cuisine? De l’expérimentation loufoque? Le fruit d’une lubie locale?

En réalité, le SGL se veut un précurseur et innovateur pour repenser, donner une dimension nouvelle, des espoirs de renouveau et de durabilité à nos modes et habitudes conso-alimentaires. Depuis les aliments eux-mêmes jusqu’aux applications, technologies et procédés utilisés pour les produire, préparer et consommer, en passant par la création éventuelle de nouveaux équipements.

Le living lab SGL sera un lieu de cogitation, de création communautaire multi-sectorielle entre consommateurs, chercheurs, chimistes, informaticiens, industriels, psychologues de l’alimentation, artistes…

Une série de lieux complémentaires, ayant chacun leur rôle et spécificité, se mettront en place pour couvrir tous les maillons de la chaîne – co-création, prototypage, définition des usages, test, mise en oeuvre. Au fil du temps, des ponts seront jetés et explorés vers et avec la biotechnologie, la science des aliments…

Sang-Hoon Degeimbre (chef étoilé de L’Air du Temps et l’un des initiateurs de l’association Generation W): “Generation W est aussi un générateur de tendances, en ce compris en termes d’évolution technologique et d’analyse de son impact.”

Voici comment se présentera cette chaîne imbriquée de “labs”:

  • Creative Lab: le lieu où les idées brutes seront imaginées, dégrossies, avec séances d’idéation, ateliers, sessions de formation
  • Fab Lab: espace de prototypage rapide, de création, de développement de nouveaux outils et applications
  • Cooking Lab: un labo culinaire, “mi-cuisine professionnelle, mi-labo scientifique”, où se créeront produits, procédés de transformation, équipements, usages… Il fonctionnera comme un Fab Lab, ouvert deux fois par semaine au public, et réservera un espace privatif aux sociétés privées et industriels intéressés
  • Creative Kitchen: une cuisine expérimentale, servant à la création, aux tests mais aussi de véritable cuisine pour le restaurant
  • restaurant expérimental où de vrais clients pourront venir tester, commenter produits et concepts en situation réelle.

S’y ajoutera encore un espace de coworking, pour cocréer, tester, échanger, réseauter, se former.

Et l’IT, le numérique dans tout ça?

Le Creative Lab, situé à terme au Trakk de Namur, s’appuiera sur des outils de communication pour favoriser la création collaborative – sur site ou à distance. Le Fab Lab, hébergé également au Trakk, sera notamment équipé en solutions numériques favorisant lui aussi la création collaborative.

Le Cooking Lab et le restaurant expérimental, qui, dès 2016, seront installés sur le campus de Gembloux Agro-Bio Tech, seront équipés et connectés entre eux par diverses solutions IT: tablettes, caméras, capteurs… Objectif: tester les produits en situation réelle, scénariser les recettes et usages, collecter le feedback des utilisateurs et hôtes.

Le SGL en quelques faits et chiffres

Budget: financement venant à la fois de la Région wallonne et de l’université de Liège. Les pouvoirs publics injectent 800.000 euros sur deux ans. Les responsables du projet envisagent par ailleurs de solliciter des fonds européens.

Partenaires: Gembloux Agro-Bio Tech (ULg); Generation W, association regroupant notamment des chefs étoilés locaux, qui oeuvre à la promotion culinaire et gastronomique de la Wallonie; le Trakk, “hub créatif” de Namur; le KIKK, initiative de promotion des “cultures numériques et créatives”; et le BEP, bureau économique de la Province de Namur.

Coordinateur technologique et méthodologique: le CETIC.

Site Internet: www.smartgastronomy.be

Les réactions, avis, commentaires des consommateurs y seront récoltés non seulement via des moyens somme toute classiques, du genre questionnaires à remplir – notamment sur tablettes tactiles. Ils seront aussi enregistrés via les commentaires postés sur les réseaux sociaux et, de manière nettement plus spontanée et directe, par le biais d’applications et de capteurs en tous genres. Exemple de scénario? La surveillance des paramètres physiologiques (rythme cardiaque, élimination de calories, production de sucs buccaux digestifs…) afin d’étudier et de comparer les effets sur le corps et sur la satisfaction gustative de diverses compositions. Imaginez que l’on puisse concevoir des logiciels et algorithmes capables de documenter avec précision l’effet de combinaisons d’aliments ou de molécules sur l’efficacité et l’intensité gustative, ou de mesurer les volatils libérés par l’action de mastication… Le tout en fonction des caractéristiques (physiologiques, métaboliques) de chacun. Avec rétro-acte immédiat vers le labo.

Des capteurs existent déjà pour l’étape test mais sont encore des systèmes alambiqués, fort peu “user friendly”.

A terme, des solutions mobiles seront par ailleurs mises à disposition afin de réunir virtuellement les différents endroits et permettre à tous de participer à des événements.

Eric Haubruge (ULg): “Le rôle d’un living lab tel que le Smart Gastronomy Lab est d’écouter, d’absorber, de comprendre. Il s’appuie sur des concepts tels que proximité avec le conso-producteur, génération des “makers”, économie circulaire, diversité alimentaire.”

Autre technologie “nouvelle”: l’impression 3D mise au service de la production des aliments eux-mêmes mais aussi, éventuellement, de nouveaux ustensiles, instruments et systèmes à utiliser tout au long de la chaîne de créa-production. Le volet expérimentation et recherche du SGL travaillera notamment à l’adaptation et à l’optimisation d’imprimantes 3D pour les besoins de la production de nouveaux aliments.

L’impression 3D est considérée comme l’une des recherches prioritaires du SGL. Au même titre, par exemple, que la conception de nouveaux systèmes “intelligents” (tels des fours capables de détecter et de surveiller la production de volatils en cours de cuisson afin de déterminer les temps optimaux de préparation). Autre piste de recherche: des instruments de mesure évolués. Non seulement à l’usage de l’espace cuisine mais aussi pour le consommateur final. “Histoire de lui apprendre à mieux consommer – pour sa santé, pour le développement durable…”, déclarait Eric Haubruge, premier vice-recteur de l’ULg (responsable des sites délocalisés et des Sciences agronomiques) et notamment professeur d’entomologie fonctionnelle et évolutive.

“Lean cuisine”, nouvelle méthode

Les activités et expérimentations s’organiseront selon une méthode lean: prototypage rapide, succession accélérée de phases de tests itératifs, micro-projets en mode start-up…

Réalisations et encadrement seront certes confiés à des professionnels (aux profils multiples comme on l’a vu) mais aussi, et de manière plus fondamentale, aux consommateurs eux-mêmes qui seront invités à s’impliquer à tous les stades de la chaîne: depuis la naissance de l’idée (ou le questionnement d’un concept) jusqu’à sa concrétisation et à son test final d’acceptation.

Jean-Claude Marcourt: “faire collaborer des cuisiniers, chercheurs en agro-alimentaire, industriels, informaticiens et designers pour bâtir un écosystème unique, porteur de plus-value économique pour la région.”

C’est au CETIC que revient le soin d’imaginer et de concrétiser à terme un modèle économique viable, pouvant être décliné dans d’autres domaines. Déjà chargé de l’appel à projets initial, le centre d’expertise carolo joue aussi le rôle de coordinateur des deux projets-pilote (SGL et WeLL) et de coach méthodologique.