Qover: une “assurtech” pour compte de tiers

Portrait
Par · 26/04/2017

Qover, jeune pousse belge positionnée sur le terrain des solutions technologiques pour assurances (l’“assurtech”), a convaincu le fond d’investissement Anthemis, très orienté acteurs financiers, d’investir 5,5 millions d’euros dans la société.

En avril 2016, alors qu’elle n’avait encore que 4 mois, la start-up avait déjà réuni 1,5 million d’euros auprès de BelCube, le fonds d’investissement créé notamment par Jean Zurstrassen et Grégoire de Streel, et de Callataÿ & Wouters Ventures.

Voilà donc un joli petit pactole sur lequel la société pourra s’appuyer pour lancer ses activités (son premier produit fait ses débuts sur le marché belge en ce mois d’avril) et les déployer à l’international. Bien que porteur et multi-forme, le marché belge de l’assurance ne saurait en effet suffire à assurer la pérennité de Qover. Aussi sa volonté est-elle de proposer des “produits européens” et de se lancer, dès 2018, sur de premiers marchés à l’exportation (“sans doute deux ou trois et probablement des pays limitrophes” – mais le choix doit encore être fait).

D’ici là, le marché belge servira de “proof of concept”. Voir plus loin.

Fintech mais pas cannibale?

Les “fintechs” et “assurtechs”, autrement dit les jeunes start-ups à la fibre numérique qui se positionnent sur le terrain des solutions financières, bancaires, boursières ou assurancielles, ambitionnent souvent de bousculer les acteurs en place.

Chez Qover, l’histoire est quelque peu différente. Certes, son ambition est d’offrir un portefeuille d’assurances via des canaux dématérialisés mais, même si ses moyens de départ sont importants, ils ne sauraient suffire à se positionner en assureur au sens plein du terme, c’est-à-dire en endossant la pleine responsabilité des risques couverts. Voilà pourquoi, la jeune société bruxelloise a fait alliance avec la Lloyd’s et MunichRe (réassureur), se positionnant en “agent assuranciel non lié” et en mandataire. “Lloyd’s et Munich Re nous octroient une autorité totale sur l’offre”, indique Jean-Charles Velge, l’un des deux co-fondateurs.

Jean-Charles Velge (Qover): “Nous créons nos propres produits, nos algorithmes, les systèmes IT.”

Son terrain d’action: les assurances en non-vie, à commencer par le domaine automobile. Et ce, pour le compte de tiers, d’intermédiaires. “Nous nous positionnons, en quelque sorte, comme des grossistes de produits blancs numériques d’assurance”, expliqueJean-Charles Velge, produits que les intermédiaires pourront proposer sous leur logo.

En effet, la cible commerciale de Qover ne sera pas le client final mais des intermédiaires, selon un modèle B2B2C. Premiers visés: les courtiers et les concessionnaires automobiles. “Nous voulons aider les courtiers traditionnels à se numériser, à ajouter une couche numérique à leurs activités.”

Au-delà de ces premières cibles, n’importe quel acteur économique peut potentiellement ajouter une corde Assurances à son arc. Quel que soit son domaine d’activité.

Le co-fondateur de Qover prend l’exemple d’un vendeur de… vêtements ou d’articles de sport. “Imaginons un commerçant qui possède déjà un site ou une appli. Il lui devient facile d’intégrer des produits d’assurance Qover. Par exemple, une assurance voyage, ou une assurance ski.”

Il pourrait certes se tourner vers d’autres assureurs “mais les acteurs classiques ne lui permettraient d’intégrer ce genre d’offre qu’au prix d’un projet d’intégration durant de 6 à 12 mois. Nos API rendent la chose immédiate.”

Le contenu et le contenant

Qover propose un “package” complet à sa clientèle d’intermédiaires (classiques ou nouveaux).

D’une part, un portefeuille de produits d’assurance (Jean-Charles Velge préfère l’expression “librairie de produits assuranciels numériques”), proposés via des canaux dématérialisés (sites Internet, portails, applis…), et qui ont la particularité d’être hypermodulables (voir ci-dessous).

D’autre part, l’infrastructure informatique qui permettra à ces intermédiaires et aux nouveaux acteurs opportunistes du monde de l’assurance d’inclure cette offre dans leurs processus existants.

Qover développe en effet les solutions numériques assurantielles mais propose aussi les outils d’intégration nécessaires. Ses API permettront ainsi d’intégrer ses produits dématérialisés d’assurance dans des plates-formes Internet ou mobiles préexistantes.

Venons-en à ce qui fait l’une des particularités majeures de l’offre de Qover: les polices d’assurance proposées seront de type “sliced” (lisez: modularisées et granularisées) et “on demand”. Voire même conçues sur-mesure, sur base des indications et préférences des intermédiaires.

Le but est de proposer des formules d’assurance hyper-personnalisées, selon les contraintes du contexte et les désidératas de l’assuré. “Contrairement à ce que font les assureurs traditionnels, nous ne nous sommes pas contentés de dématérialiser la vente d’un produit d’assurance. La totalité de la composition de produits et de l’expérience utilisateur a été repensée”, explique Quentin Colmant, l’autre co-fondateur de Qover. “Notre ambition est de numériser entièrement l’assurance.”

Côté “refonte de produits”, les assurances Qover se présentent sous forme de modules, plus ou moins granulaires, qui permettent au bénéficiaire de composer sa couverture comme il l’entend. Si l’on reste dans le domaine de l’automobile, cela implique par exemple qu’un client pourrait choisir de ne prendre une omnium que… sur les pneus, ou tout autre élément de la voiture. C’est le principe du “slicing”.

Le concept d’une assurance “à la demande” porte, quant à lui, sur la durée de la couverture. Il devient possible de prendre une assurance à l’année, au mois, à la semaine, “voire à la journée ou pourquoi pas pour une heure ou quelques minutes”, annonce Quentin Colmant.

Exemple: couvrir les risques induits par les nouveaux modes de déplacement. On peut penser aux voitures partagées mais aussi à l’avènement (promis) des voitures autonomes. “Pourquoi ne pas permettre une couverture temporaire démarrant lors de la prise en charge du passager par la voiture autonome qu’il a commandée? On obtient ainsi un scénario d’assurance en temps réel pour un transport ponctuel.”

Quentin Colman: “La totalité de la composition de produits et de l’expérience utilisateur a été repensée. Notre ambition est de numériser entièrement l’assurance.”

Premier produit à faire son apparition sur le marché belge: une couverture automobile “Gap”, autrement dit une clause qui permet à un(e) automobiliste de se faire rembourser la différence entre le montant versé par l’assureur automobile en cas de perte totale du véhicule (valeur du marché avant sinistre, empiétée du montant de la franchise) et la valeur d’origine de ce véhicule (facture d’achat).

D’ici la fin de l’année, le catalogue de produits d’assurance automobile Qover sera complété. Suivra la constitution d’une “librairie” d’autres produits non-vie. Sa composition est actuellement à l’étude, en collaboration avec la Lloyd’s, Munich Re et les investisseurs de la start-up.

En termes de tarification, la start-up fait notamment appel à des techniques de machine learning pour segmenter finement les tarifs proposés, “sans devoir pour autant imposer au client de remplir un long questionnaire.” Ce genre de compétences figure d’ailleurs parmi les profils qui seront recrutés. “Nous proposons des méthodes de tarification plus avancées que ce qui existe jusqu’ici sur le marché.” Mais, pour le reste, la société ne s’engage pas encore dans des techniques de profilage, “attendant de voir comment la législation va évoluer.”

Marché-test

S’il est somme toute naturel pour une start-up belge de se lancer en priorité sur son marché national,  la nécessité quasi immédiate, dans le monde des fintechs et assurtechs, est de se trouver une audience suffisante. L’extension à l’international est donc une obligation. Et il est tout aussi nécessaire de le faire rapidement tant les initiatives, dans ce secteur, se multiplient.

Plusieurs marchés (Etats-Unis, Royaume-Uni, mais aussi Pays-Bas, France et Allemagne) ont d’ailleurs pris de l’avance, faisant naître ou accueillant davantage de jeunes pousses nouvelle vague. La concurrence risque donc d’être rude si Qover tarde trop. Voilà pourquoi, dès 2018, elle compte élargir sa démarche à “deux ou trois autres marchés et probablement des pays limitrophes”. Pour ce faire, elle devrait recourir, au moins en partie, à des groupements ou associations qui seraient désireux de distribuer ses produits.

La société bruxelloise voit un avantage à se lancer d’abord en Belgique. “Le marché belge est un bon terrain pour effectuer le proof of concept”, insiste Jean-Charles Velge. “C’est un excellent pays pour tester. Les règles assurancielles y sont parfois complexes. Cela nous force à rentrer d’emblée dans le vif du sujet. C’est aussi un pays multilingue, ce qui est une bonne contrainte pour qualifier le produit. Par ailleurs, la Belgique compte encore beaucoup de courtiers traditionnels” – lisez: qui n’exploitent que les canaux traditionnels et qui sont donc un cible de prospection intéressante.

Jean-Charles Velge dit, par ailleurs, ne pas craindre la concurrence, déjà nombreuse et qui ne fera que s’amplifier à l’avenir. A la fois parce qu’un afflux de projets participe à légitimer le marché et parce qu’il estime que la plupart des fintechs ou assurtechs, pour l’instant, s’adressent directement au client final. “Qover, elle, crée la couche d’architecture. Une autre assurtech pourrait donc s’en servir pour proposer et déployer sa propre appli…”

Pour ce qui est de la concurrence des assureurs traditionnels, s’ils ont l’avantage des moyens d’action, il se dit persuadé que les start-ups ont l’avantage de la flexibilité, de l’originalité de la vision, de la rapidité de décision et de déploiement et “de pouvoir partir d’une page blanche pour repenser l’assurance.

Ce qu’on a vu se passer en matière de fintech depuis 10 ans est en train de commencer, aujourd’hui, en matière d’assurtech. Mais cela se passera plus vite. On peut donc s’attendre à voir apparaître de très nombreux acteurs. Toutefois, la barrière à l’entrée reste élevée, pour des raisons de réglementations, de gestion des processus numériques…”